Dans un contexte où la défense des droits humains constitue un enjeu plus crucial que jamais, nous avons rencontré une militante engagée de longue date auprès d’Amnesty International France : Anne Thirion. Avec elle, nous avons échangé sur les fondements de son engagement auprès des personnes exilées notamment, et sur ce qui l’anime chaque jour dans son engagement auprès d’Amnesty International.
A quand remontent les racines de votre engagement auprès d’Amnesty International France ?
Depuis mon adolescence, je suis donatrice chez Amnesty International France. J’ai toujours été très sensible au respect de la défense des droits humains, et plus particulièrement à ceux des personnes exilées. Mon père était un exilé espagnol, donc l’exil fait partie de mon héritage. J’avais toujours eu en tête de m’engager de façon plus poussée auprès d’Amnesty International une fois en pré-retraite, et quand l’opportunité s’est présentée, j’ai rejoint le groupe local de Grenoble, où je vis, avec deux objectifs : défendre les droits des migrants et des réfugiés, et m’investir dans la campagne sur la surveillance de masse.
Quel métier exerciez-vous alors ?
Je suis traductrice scientifique de formation, j’étais expert au tribunal de Rouen, puis j’ai voulu découvrir le monde de l’informatique. À l’époque, peu avant que je parte en pré-retraite il y a 10 ans, c’était l’explosion des big data, je voyais tous ces jeunes informaticiens très enthousiastes autour de moi... Mais j’ai très vite perçu les dérives auxquelles cela pouvait mener. J’étais alors déléguée du personnel, membre du CHSCT, donc et j’avais déjà alerté sur les dangers potentiels par rapport à la protection de la vie privée. C’est d’abord par cette porte d’entrée que je me suis engagée auprès d’Amnesty International, qui lançait alors sa 1ère campagne contre la surveillance de masse « Unfollowme ».
Que ce soit en tant que traductrice ou en tant que chargée de communication dans l’informatique, mon travail a toujours été de rendre clair un message qui ne l’est pas au départ. Je retrouve aujourd’hui ce goût pour la recherche documentaire dans le travail de plaidoyer que je mène au sein d’Amnesty International.
Justement, comment se concrétise concrètement votre engagement aujourd’hui auprès d’Amnesty ?
Il y a d’une part cette partie plaidoyer, avec un certain nombre de campagnes nationales et internationales sur lesquelles nous décidons de nous engager ou pas au niveau du groupe local. Ensuite, au sein du groupe, chacun s’empare d’une cause, selon ses affinités. Par exemple, moi j’ai beaucoup travaillé sur l’Iran, l’Afghanistan, l’Ukraine… Ce qui me plait beaucoup grâce à une structure internationale comme Amnesty, c’est que nous disposons de toute une masse de données fiables, issues de tous les rapports, enquêtes et articles publiés par des chercheurs et des journalistes du monde entier. C’est ensuite à nous, militants, de nous en emparer, en les épluchant, en les complétant par des recherches personnelles, et en les vulgarisant.
D’autre part, il y a la partie événementielle en lien avec nos campagnes, où il s’agit de sensibiliser le grand public à travers l’organisation de conférences, de ciné-débats, d’actions en lien avec d’autres associations, d’expos…
Vous avez notamment beaucoup travaillé sur la campagne que l’on mène pour les droits des femmes en Afghanistan, pouvez-vous nous en parler ?
Tout à fait, j’ai notamment organisé plusieurs ciné-débats sur l’Afghanistan, ainsi qu’une conférence lors de la journée des droits des femmes, le 8 mars. Cette conférence était très intéressante, parce que j’ai réussi à contacter contacté une association sur place, qui parvient encore à maintenir à mener des actions d’éducation auprès des femmes afghanes à Kaboul, sous couvert de donner des cours de couture. Nous avons réussi à avoir faire venir une femme réfugiée qui avait pu faire des études de médecine et continuait à consulter à distance, ainsi qu’une sociologue, qui était partie vivre dans des familles pachtounes, là où les femmes afghanes sont les plus enfermées. C’était passionnant parce qu’on parle beaucoup des femmes qui partent, mais peu des femmes qui restent, et elles sont nombreuses bien sûr la majorité !
Il faut aussi savoir que, souvent, celles qui parviennent à partir grâce à la réunification familiale restent sous la coupe de leur mari réfugié, et se trouvent parfois encore plus isolées une fois en France. Donc c’est très important d’aborder tous ces sujets. Localement et patiemment, j’essaie d’en parler avec les exilés afghans que je rencontre à l’accueil des demandeurs d’asile de Grenoble, où je suis bénévole aussi depuis 2015.
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C’était important pour vous de coupler votre engagement avec un travail de terrain ?
Absolument, la partie bénévolat à l’accueil des demandeurs d’asile alimente la partie plaidoyer pour Amnesty International, et vice-versa. Avec Amnesty, j’ai par exemple travaillé en particulier sur la Guinée et la République démocratique du Congo, parce que c’est de là que vient le plus gros quota de demandeurs d’asile à Grenoble, donc j’ai l’occasion d’échanger avec eux très régulièrement, je suis d’ailleurs marraine d’une jeune femme guinéenne.
En Guinée, 95% des femmes sont encore excisées, et on n’en parle peu, donc j’avais organisé une conférence sur ce sujet avec le soutien d’Amnesty International.
Je me suis notamment appuyée sur le rapport que l’organisation avait publié sur les violences faites aux femmes là-bas. Ce travail documentaire m’aide à étayer ce que j’observe concrètement sur le terrain, c’est passionnant totalement complémentaire.
Quel est votre souvenir le plus fort avec Amnesty International ?
Je pense que ça a été l’organisation de mon premier ciné-débat, à l’occasion de la sortie du film Citizen Four, sur Edward Snowden. C’était mon baptême du feu en tant que militante ! Depuis, j’en ai organisé beaucoup, j’adore ça. Cela m’apporte énormément, même à titre personnel. Je rencontre énormément beaucoup de gens très impliqués lors de l’organisation de ces événements, donc et c’est passionnant !
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Comment s’y prend-on aujourd’hui pour mobiliser le grand public sur une cause, quand tant de combats restent à mener ?
Je dirai qu’il faut choisir ses combats, et trouver des portes d’entrée. Nous animons tous les mois des stands de rue, lors desquels les gens viennent discuter avec nous. Beaucoup connaissent Amnesty International de nom, et viennent nous demander ce que l’on fait exactement. Nous arrivons à faire signer beaucoup de pétitions de cette façon. Et il faut aussi parvenir à sortir de l’inter-associatif, justement en organisant des cinés-débats, des expositions… Il y a beaucoup à faire, et c’est ça qui est motivant !
Entretien réalisé par Coline de Silans
Rejoins un groupe local !
Les groupes locaux sont des groupes de militants de tout âge qui se rencontrent et organisent des actions ensemble sur le territoire. Cet échange intergénérationnel peut être très bénéfique : cela te permettra d’acquérir d’autres compétences et de rencontrer des personnes impliquées depuis des dizaines d’années chez Amnesty International.