La décision tant attendue de la Cour de cassation est en demi-teinte. La Cour confirme que les agents de l’État, y compris les anciens chefs d’État, ne peuvent se réfugier derrière leur immunité pour des crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Mais elle a en revanche, en annulant le mandat d’arrêt de Bachar al-Assad, affirmé que l’immunité des chefs d’État en exercice était absolue.
La décision de la Cour de cassation était scrutée tant en France qu’à l’international, étant donné les enjeux. Un agent de l‘État et un chef d’État peuvent-ils être poursuivis pour les crimes graves commis lors de l'exercice de leurs fonctions ? La justice française vient de trancher cette question à son plus haut niveau.
La Cour de cassation, réunie exceptionnellement en son Assemblée plénière de 19 juges, a validé le mandat d’arrêt contre l’ancien gouverneur de la banque centrale syrienne Adib Mayaleh, et a annulé le mandat d’arrêt envers l’ex-président syrien Bachar al-Assad.
La levée de l’immunité fonctionnelle pour les crimes les plus graves
Poursuivi pour complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, Adib Mayaleh est l’ancien Gouverneur de la Banque centrale syrienne (2005- 2016) avant d’occuper le poste de ministre de l’Économie. Il est poursuivi pour son rôle présumé dans le soutien économique et financier apporté au régime syrien. Dans son pourvoi, Adib Mayaleh arguait de son immunité fonctionnelle, pour rejeter les poursuites.
Elle protège le chef d’État, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères d’un État contre toute procédure judiciaire devant des tribunaux étrangers. Elle s’applique pendant toute la durée de leurs fonctions. Ils bénéficient également de l’immunité fonctionnelle.
Elle protège les agents d’État devant les juridictions d’un autre pays pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Son application n’est pas limitée dans le temps.
La Cour de cassation a décidé le 25 juillet 2025 de lever l’immunité fonctionnelle d’Adib Mayaleh, au motif que cette immunité ne peut s’appliquer dans le cadre de crimes de droit international (crime de génocide, crimes de guerre, crime contre l’humanité). Elle confirme que les agents de l’État ne peuvent se réfugier derrière leur immunité pour les crimes les plus graves commis lors de l’exercice de leur fonction, et alors même qu’ils ne seraient plus en fonction.
La position de la plus haute juridiction française est désormais en conformité avec ses obligations internationales en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves.
La justice française envoie un message d’espoir aux milliers de victimes du régime Syrien en permettant que d’anciens responsables étatiques des crimes internationaux commis en Syrie sur la population civile syrienne puissent être poursuivis en France.
Anne Savinel-Barras, présidente d’Amnesty International France.
Une immunité personnelle absolue pour les chefs d’État
Mais la décision de la Cour de cassation d’annuler le mandat d’arrêt de Bachar el-Assad vient figer l’état de la jurisprudence en matière de lutte contre l’impunité des chefs d’État. Cette décision affirme que tant que les chefs d’État sont en exercice, la justice de pays tiers ne peut les poursuivre, peu importe la gravité des crimes commis.
Aux origines du mandat d'arrêt contre Bachar el-Assad
Les faits enquêtés remontent à août 2013. Le régime syrien est accusé d’avoir mené plusieurs attaques à l’arme chimique dans les villes de Adra, Douma et dans la Ghouta orientale, à l’origine de milliers de morts et de blessés.
En 2021, une enquête est ouverte après la plainte déposée à Paris par des rescapés, dont une Franco-syrienne, aux côtés de plusieurs associations. L’enquête a été déposée au nom de la compétence universelle qui permet à un État de poursuivre les crimes les plus graves peu importe la nationalité de l’auteur, de la victime et le lieu où le crime a été commis.
L’enquête a permis en novembre 2023 la délivrance de mandats d’arrêt internationaux, visant Bachar al-Assad, son frère Maher, ainsi que deux hauts responsables syriens. Bachar al-Assad est alors visé pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. C'est la première fois qu’un mandat d’arrêt est émis par une juridiction nationale contre un chef d’État en exercice.
La bataille judiciaire autour de l’immunité présidentielle
Dès décembre 2023, le Parquet national antiterroriste (Pnat) saisit la Cour d’appel de Paris pour demander la nullité du mandat d’arrêt envers Bachar al-Assad. Le Pnat invoque l’immunité personnelle qui protègerait le chef d’État des actes accomplis lors de l'exercice de son pouvoir.
Le 26 juin 2024 marque une victoire dans le dossier. Le mandat d’arrêt contre l’ex-président syrien est validé par la Cour d’appel de Paris en raison de la gravité des crimes qui lèvent l’immunité personnelle de Bachar al-Assad.
Mais la bataille n’est pas terminée puisque le Pnat se pourvoit en cassation. La Cour a finalement rendu sa décision le 25 juillet 2025. Le mandat d’arrêt contre l’ancien président syrien est annulé.
La Cour a retenu que l’immunité personnelle d’un chef d’État devant des tribunaux étrangers ne connaissait pas d’exception, quel que soit la nature des crimes commis, tant qu’il est en fonction.
Vers un nouveau mandat d'arrêt ?
Après la chute du régime en décembre 2024, Bachar al-Assad a fui en Russie. Aucune immunité fonctionnelle ne peut plus désormais s’opposer à l’émission d’un nouveau mandat d’arrêt à son encontre.
La Cour indique que de nouveaux mandats d’arrêts peuvent être adoptés, laissant l’espoir ouvert que Bachar al-Assad puisse un jour être poursuivi pour ses crimes puisque l’information judiciaire reste ouverte.
Même s’il est regrettable que l’impunité des chefs d’État soit maintenue dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions pour les crimes les plus graves, l’émission d’un nouveau mandat d’arrêt contre Bachar Al-Assad pourrait permettre une avancée contre l’impunité, et ainsi une victoire pour ses victimes et pour la justice internationale .
Anne Savinel-Barras.