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© Marcus Perkins/Amnesty International
Afghanistan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Afghanistan en 2024.
Sous le régime des autorités talibanes de facto, les violations des droits humains à l’encontre de la population afghane ont augmenté. Les femmes et les filles étaient victimes de persécution liée au genre, qui constituait un crime contre l’humanité, et se trouvaient de plus en plus privées de leur droit de circuler librement et de leur droit à la liberté d’expression. L’accès aux soins de santé demeurait difficile, et l’éducation des femmes et des filles au-delà de l’enseignement primaire était toujours interdite. Cette année encore, la communauté chiite hazara a subi des attaques et des homicides ciblés, imputables principalement à l’État islamique-Province du Khorassan. Les talibans ont continué à tenir les femmes, ainsi que certains groupes ethniques ou religieux, à l’écart de la sphère politique, des services publics et de l’aide humanitaire.
Cette année encore, les talibans ont soumis d’anciens fonctionnaires, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes et des personnes qui critiquaient le régime à des arrestations arbitraires, des disparitions forcées, des actes de torture et autres mauvais traitements et des exécutions extrajudiciaires. Ils ont également attaqué et arrêté des journalistes et restreint la liberté des médias. Des centaines de personnes détenues étaient condamnées à mort, selon certaines informations.
Les Nations unies et la communauté internationale ont laissé des atrocités impunies, que celles-ci aient été commises au cours de l’année ou par le passé. En dépit d’une aggravation de la crise humanitaire et des droits humains, de nombreux réfugié·e·s afghans ont été renvoyés de force dans leur pays d’origine.
CONTEXTE
Les talibans ont conservé leur pouvoir de facto depuis l’effondrement du régime précédent, en août 2021, dans le contexte du retrait des forces des États-Unis et de l’OTAN. Ils ont déclaré nulles la Constitution et les lois qui étaient en vigueur avant leur prise de contrôle. De nombreux dirigeants talibans étaient sous le coup d’une interdiction de voyager, sanction imposée par le Conseil de sécurité de l’ONU.
En juin, les Nations unies ont indiqué que, dans les provinces de Baghlan, du Badakhchan et du Ghor, des inondations soudaines avaient fait près de 350 morts, détruit ou endommagé plus de 7 800 habitations et contraint plus de 5 000 familles à quitter leur foyer. Sur les 34 provinces du pays, 32 ont été touchées par des inondations de ce type, que l’UNICEF a qualifiées de « signes de l’intensification de la crise climatique ».
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Les talibans ont continué à étendre les restrictions draconiennes imposées aux femmes et aux filles. En mai, ils ont annoncé des baisses de rémunération pour les femmes qui n’avaient plus le droit de travailler pour l’État mais demeuraient en poste, réduisant leur traitement mensuel à 5 000 afghanis (70 dollars des États-Unis). En milieu d’année, ils ont promulgué une « loi sur la prévention du vice et la promotion de la vertu », qui interdisait aux femmes de faire entendre leur voix en public et d’emprunter les transports sans mahram (chaperon masculin). Cette loi répressive conférait aux « inspecteurs des mœurs » (police) du régime le pouvoir de menacer et d’arrêter les personnes qui ne respectaient pas le code de moralité et de les déférer aux tribunaux talibans afin qu’elles fassent l’objet de poursuites judiciaires.
Des restrictions sévères étaient toujours en place – en dépit d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU d’avril 2023 demandant leur levée rapide – et ont continué à se répercuter sur tous les aspects de la vie des femmes et des filles. Celles-ci n’étaient toujours pas autorisées à poursuivre leurs études au-delà de l’enseignement primaire (classe de sixième dans le système local). En décembre, on a appris que les talibans avaient pris une nouvelle mesure à leur encontre, les excluant de l’accès aux études de santé. Elles avaient toujours l’interdiction de participer à des activités sportives, de se rendre dans des parcs ou des bains publics, et de parcourir plus de 72 kilomètres ou d’apparaître en public sans mahram.
Les restrictions draconiennes imposées par les talibans ont compromis encore davantage l’indépendance financière des Afghanes, plongeant plus profondément dans la pauvreté les ménages dirigés par une femme et créant des difficultés à celles qui exerçaient une activité professionnelle à domicile. Les femmes n’étaient toujours pas autorisées à travailler dans le secteur public, sauf dans des domaines comme l’enseignement primaire ou la santé et dans certains établissements liés à la sécurité. Les talibans leur interdisaient toujours de travailler pour un organisme des Nations unies ou une ONG.
En raison des restrictions concernant la liberté de réunion pacifique, 94 % des manifestations de femmes « se sont tenues en intérieur », a indiqué Afghan Witness, une équipe de recherche indépendante.
Violences fondées sur le genre
Le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan [ONU] a signalé en août que des femmes détenues avaient été agressées sexuellement et attaquées par des talibans. De leur côté, Afghan Witness et des médias ont indiqué que les talibans avaient lancé en janvier une campagne d’arrestation des femmes et des filles qui ne respectaient pas l’obligation du port du voile. Cela a donné lieu au placement en détention de dizaines de femmes et de filles, « dont beaucoup ont dénoncé des traitements dégradants, des actes de torture et même des viols ».
Cette année encore, on a constaté une forte augmentation des violences fondées sur le genre ainsi que des mariages forcés ou précoces. À partir des informations en accès libre que son équipe a pu consulter, Afghan Witness a recensé 840 cas de violences fondées sur le genre commises à l’encontre de femmes et de filles, dont 332 homicides, pour la période allant de janvier 2022 à juin 2024. L’impunité était toujours de mise, étant donné que les institutions et le cadre juridique conçus pour traiter les violences fondées sur le genre ont été jetés à bas par les talibans.
En juin, Amnesty International s’est jointe aux appels lancés par les défenseures des droits humains afghanes en faveur de la reconnaissance de l’apartheid fondé sur le genre en tant que crime de droit international. Cependant, les militantes ont été exclues de la troisième réunion sur l’Afghanistan organisée par les Nations unies les 30 juin et 1er juillet au Qatar.
En septembre, l’Allemagne, l’Australie, le Canada et les Pays-Bas ont annoncé qu’ils intentaient une action contre l’État afghan devant la Cour internationale de justice pour des violations de la Convention sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes commises par les autorités talibanes de facto.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
Les talibans ont annoncé en août qu’ils n’autoriseraient plus le rapporteur spécial sur l’Afghanistan à entrer dans le pays. Dans une résolution sur l’Afghanistan adoptée en septembre, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a prolongé le mandat crucial du rapporteur spécial et fait état de graves lacunes quant à l’obligation de rendre des comptes. Toutefois, il n’a pas créé de mécanisme international indépendant d’établissement des responsabilités chargé d’enquêter et de recueillir et préserver des éléments de preuve sur les crimes de droit international et les autres violations graves des droits humains, qu’il s’agisse de faits passés ou actuels. Pourtant, 90 organisations nationales ou internationales de défense des droits humains, dont Amnesty International, avaient demandé la mise en place d’un tel mécanisme pour rompre le cercle vicieux de l’impunité dans le pays. En août, plusieurs titulaires de mandats des procédures spéciales [ONU] ont souligné que les voies d’accès à la justice étaient « pratiquement inexistantes » en Afghanistan.
L’enquête de la CPI sur la situation dans le pays était toujours lente et sa portée limitée. Elle excluait les membres des forces américaines et des autres forces étrangères engagées dans le conflit avant 2021, ainsi que les membres de l’ancien gouvernement afghan.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
Sur tout le territoire, les chiites hazaras ont été systématiquement la cible d’attaques et d’homicides sur leurs lieux de culte, dans leurs établissements scolaires et dans des endroits fréquentés par des civil·e·s. L’État islamique-Province du Khorassan (EI-K) a revendiqué la plupart de ces attaques. La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a recueilli des informations faisant état de plusieurs attaques dans une zone peuplée essentiellement par des Hazaras à l’ouest de Kaboul, la capitale, entre janvier et mars. En septembre, 14 Hazaras qui étaient en déplacement ont été tués illégalement dans le centre de l’Afghanistan.
L’EI-K a également lancé des attaques-suicides contre des membres des autorités talibanes de facto, faisant des victimes civiles. Cette année encore, des civil·e·s ont été blessés par des mines terrestres ou d’autres restes explosifs du conflit précédent. La MANUA a signalé que des civil·e·s avaient été blessés et d’autres tués en mars, du fait de frappes aériennes lancées par l’armée pakistanaise et d’affrontements terrestres entre les forces talibanes et l’armée pakistanaise le long de la frontière.
DISPARITIONS FORCÉES, ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Selon certaines informations, il y avait en juin 20 000 personnes emprisonnées sous le régime taliban, dont 1 500 femmes.
Les talibans ont continué de soumettre les personnes considérées comme des opposant·e·s politiques à des arrestations arbitraires, des disparitions forcées et des détentions illégales. Parmi les personnes visées figuraient d’anciens fonctionnaires, des lettrés religieux ayant critiqué les politiques du régime, des militant·e·s de la société civile ainsi que des défenseur·e·s des droits humains et de nombreux journalistes. L’organisation afghane de défense des droits humains Rawadari a par exemple recensé 614 cas de détention arbitraire pendant les six premiers mois de l’année. Elle a également indiqué avoir recueilli des informations sur 35 cas de disparition forcée dans neuf des 34 provinces du pays au cours de la même période.
Le ministère taliban de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice (« inspecteurs/police des mœurs ») a annoncé en août avoir arrêté 13 000 personnes en un an pour non-respect des règles de moralité. Ahmad Fahim Azimi, un militant en faveur des droits en matière d’éducation, a été libéré en septembre, après 11 mois d’emprisonnement. Accusé d’avoir organisé des manifestations et « incité les femmes à manifester », il avait été arrêté arbitrairement et soumis à un procès inique.
EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les personnes détenues, notamment les membres de l’ancien gouvernement et celles et ceux qui critiquaient les talibans, risquaient toujours d’être soumises à la torture et à d’autres mauvais traitements, ainsi qu’à des exécutions extrajudiciaires. La MANUA a recensé 98 cas d’arrestation et de détention arbitraires d’anciens fonctionnaires entre janvier et juin, ainsi que 20 cas de torture et autres mauvais traitements et neuf homicides illégaux commis sur ces anciens responsables.
Cette année encore, des châtiments corporels s’apparentant à des actes de torture ou à d’autres mauvais traitements ont été infligés en public par les talibans dans tout le pays. La MANUA a indiqué que de tels châtiments avaient lieu dans au moins une province chaque semaine. Elle a dénombré pour la période avril-juin 179 condamnations à des châtiments corporels (147 hommes, 28 femmes et quatre garçons). Parmi les accusations figuraient l’« adultère » et la « fugue » – qui concernaient de manière disproportionnée les femmes et les filles – ainsi que la pédérastie.
La MANUA a également recueilli des informations sur 1 033 cas de recours illégal à la force (205 visant des femmes ou des filles et 828 des hommes ou des garçons) par des membres du ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice entre août 2021 et mars 2024.
PEINE DE MORT
Les talibans ont continué à procéder à des exécutions publiques de personnes qui avaient été condamnées à mort par leurs tribunaux, en dépit de sérieux doutes quant au respect des droits en matière d’équité des procès. La MANUA a indiqué que trois hommes avaient été exécutés en public en février et un en novembre. En juillet, des informations ont cité une fourchette de 300 à 600 personnes détenues condamnées à mort par les tribunaux talibans. En mars, des médias ont rapporté que les talibans allaient peut-être rétablir les « exécutions par lapidation » en cas d’« adultère ».
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Les talibans ont réprimé sans relâche la liberté d’expression en interdisant à des médias de mener leurs activités et en imposant des restrictions à leurs programmes. Reporters sans frontières (RSF) a classé l’Afghanistan parmi les trois pires pays quant à la liberté de la presse en 2024. En avril, au moins deux chaînes de télévision privées locales (Noor et Barya) ont été suspendues pour avoir critiqué les talibans. En mai, RSF a dénoncé le fait que des journalistes et des analystes s’étaient vu interdire de travailler pour Afghanistan International, une chaîne de télévision d’information très suivie et basée à l’étranger, et de collaborer avec elle.
Les talibans auraient aussi instauré des restrictions concernant les émissions politiques en direct, notamment des mesures déterminant qui il était possible d’interviewer et ce que ces personnes avaient le droit de dire. Des médias se sont fait l’écho en octobre de l’interdiction imposée par les talibans dans la province du Takhar de filmer des « êtres vivants » et d’en diffuser les images, au motif que cela allait à l’encontre de la loi sur la prévention du vice et la promotion de la vertu. Dans un rapport publié en novembre, la MANUA a indiqué avoir recensé 336 professionnel·le·s des médias soumis à une arrestation arbitraire, à des actes de torture ou autres mauvais traitements, à des menaces ou à des manœuvres d’intimidation entre août 2021 et septembre 2024.
LIBERTÉ DE RELIGION ET DE CONVICTION
Les talibans ont continué de restreindre l’enseignement de la jurisprudence chiite dans le système éducatif. Ils ont promulgué des décrets et des lois qui instauraient une discrimination religieuse et appliquaient une doctrine religieuse monolithique. Des informations ont fait état de conversions forcées à l’islam sunnite de membres de la communauté musulmane chiite. Les restrictions des talibans concernant la commémoration de l’Achoura, fête célébrée principalement par la communauté chiite, ont été maintenues. En outre, les talibans ont qualifié Norouz (célébration du nouvel an solaire) de non islamique.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
La pauvreté, qui s’est aggravée depuis l’arrivée au pouvoir des talibans en 2021, s’est encore accentuée du fait de phénomènes météorologiques extrêmes ainsi que des déplacements de population internes et de la crise économique en cours. Selon le PNUD, 85 % des Afghan·e·s vivaient avec moins d’un dollar par jour. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU a indiqué que quelque 23,7 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population du pays, avaient besoin d’aide humanitaire. Environ 12 millions d’entre elles souffraient d’insécurité alimentaire, tandis que 2,9 millions étaient en proie à la faim à un niveau d’urgence. L’UNICEF a estimé que 2,9 millions d’enfants se trouvaient dans un état de malnutrition aiguë en 2024, ce qui mettait en danger la vie de 850 000 d’entre eux. Le programme d’assistance humanitaire présentait toujours un important déficit de financement.
Selon Rawadari, les talibans ont privé intentionnellement des groupes religieux ou ethniques marginalisés d’assistance humanitaire et d’aide au développement et les ont empêchés d’accéder à des services essentiels et aux emplois de la fonction publique.
L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a alerté sur le fait que le système de santé publique était au bord de l’effondrement, et l’UE sur le fait que les services de santé de base n’étaient accessibles qu’à 10 % des femmes. La MANUA a signalé que les restrictions entravant l’accès à la contraception bafouaient le droit des femmes et des filles à la santé sexuelle et reproductive.
Cette année encore, de nombreux Afghans et Afghanes ont fui leur pays, en raison à la fois de l’aggravation de la crise humanitaire et des restrictions draconiennes imposées par les talibans. Dans le même temps, des pays de la région, dont l’Iran, le Pakistan et la Turquie, ont continué à renvoyer de force des centaines de milliers de personnes réfugiées d’Afghanistan. Ces hommes, ces femmes et ces enfants sont venus s’ajouter aux 1,1 à 1,3 million d’autres qui, selon l’OIM, avaient déjà été reconduits en 2023. Plusieurs pays européens ont eux aussi expulsé des réfugié·e·s d’Afghanistan vers leur pays d’origine.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Les personnes LGBTI restaient en butte à la discrimination et à d’autres violations des droits humains, notamment des menaces et des détentions arbitraires. Les relations consenties entre personnes de même sexe demeuraient illégales et passibles de la peine de mort.
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