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Femmes lavant l'or dans le lac Malo,près de Kolwezi, RDC. © Amnesty International and Afrewatch
République Démocratique du Congo
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en République Démocratique du Congo en 2024.
Le conflit entre groupes armés et forces gouvernementales s’est intensifié et les attaques contre des civil·e·s se sont poursuivies. Une centaine de civil·e·s au moins ont été tués lors de pilonnages aveugles menés par les forces militaires de l’État et par des groupes armés. Les forces gouvernementales ont procédé à l’exécution extrajudiciaire de 250 personnes. Le nombre de cas signalés de violences sexuelles ou fondées sur le genre, notamment de violences sexuelles liées aux conflits, a augmenté de façon inquiétante. Le pays comptait plus de sept millions de personnes déplacées, qui vivaient dans des conditions effroyables ; 80 % d’entre elles avaient fui un conflit armé. L’expansion de projets miniers a conduit à des expulsions forcées de grande ampleur et à la privation de certains droits, notamment au logement, à la santé, à l’eau et à d’autres services de base. Les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ont été restreints, en particulier dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, où une forme de loi martiale était en vigueur. Des militant·e·s, des membres de l’opposition, des journalistes et d’autres personnes ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires et ont été privés de leur droit à un procès équitable. Un membre d’un parti d’opposition a été condamné à une peine d’emprisonnement après avoir déclaré qu’il avait été violé pendant sa détention arbitraire. Plus de 120 détenu·e·s sont morts et des centaines de prisonnières ont été violées à la prison de Makala lors de ce que les autorités ont décrit comme une tentative d’évasion. Le nombre de condamnations à mort est monté en flèche après l’annonce par le gouvernement d’une future reprise des exécutions. Le ministre de la Justice a demandé au procureur général d’engager des procédures judiciaires à l’encontre de celles et ceux qui défendaient les droits des personnes LGBTI. Le procureur de la CPI a annoncé la réactivation des enquêtes sur les crimes relevant du Statut de Rome commis dans la province du Nord-Kivu depuis janvier 2022.
CONTEXTE
Le président, Félix Tshisekedi, a prêté serment en janvier pour un deuxième mandat à la suite des élections présidentielle et parlementaires de décembre 2023. Le nouveau gouvernement a été investi six mois après les élections, avec à sa tête une Première ministre, ce qui était inédit.
Le conflit armé dans l’est du pays a persisté et les processus politiques étaient au point mort. Des combats ont eu lieu en septembre entre les forces gouvernementales et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé, dans la province du Nord-Kivu. Parallèlement, les forces ougandaises et les forces gouvernementales ont poursuivi leurs opérations militaires dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri contre les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe armé ougandais, et ont libéré au moins 500 personnes qui avaient été enlevées par ce groupe. Ces opérations militaires ont entraîné de nouveaux déplacements de population et aggravé la crise humanitaire.
Des manifestations ont eu lieu dans tout le pays, notamment à Kinshasa, la capitale, en lien avec le conflit armé opposant, d’un côté, le Mouvement du 23 mars (M23), un groupe armé soutenu, semble-t-il, par le Rwanda, et, de l’autre, les forces gouvernementales de la République démocratique du Congo (RDC) et leurs alliés. Les manifestations portaient aussi sur le soutien présumé apporté au Rwanda par des pays occidentaux, dont la France, les États-Unis et le Royaume-Uni.
Les violences intercommunautaires se sont étendues dans les provinces du Kasaï, du Kwango, du Kwilu, du Maï-Ndombe et de la Tshopo et ont donné lieu à d’autres graves atteintes aux droits humains.
En octobre, le président, Félix Tshisekedi, a annoncé son intention de réviser la Constitution de 2006. L’Église catholique et d’autres acteurs de la société civile ont mis en garde contre le fait que cette mesure déstabiliserait encore davantage le pays.
L’OMS a déclaré en août que la recrudescence des cas de variole simienne (mpox) était « une urgence de santé publique de portée internationale ».
Dans plusieurs provinces, les enseignant·e·s ont fait grève pour réclamer des hausses de salaire.
ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX
Dans le contexte de l’escalade du conflit entre groupes armés et forces gouvernementales, les attaques contre des civil·e·s se sont poursuivies, faisant des centaines de morts et un nombre encore plus élevé de blessés. Des affrontements entre, d’une part, les forces gouvernementales et, d’autre part, les groupes armés M23, Coopérative pour le développement du Congo (CODECO) et ADF ont été à l’origine de la plupart des homicides de civil·e·s.
Les pilonnages aveugles de zones habitées auxquels ont procédé toutes les parties dans le Nord-Kivu ont fait au moins 100 morts et un nombre encore plus élevé de blessés au sein de la population civile. Les forces gouvernementales et le M23 ont utilisé des armes explosives dans des zones habitées pour mener des offensives et défendre leurs positions.
Le 25 janvier, 19 personnes ont été tuées et au moins 25 autres blessées à Mweso, une ville de la province du Nord-Kivu, lorsqu’une roquette, tirée, semble-t-il, par les forces de la RDC, a touché une maison d’habitation.
Le 4 mars, au moins 17 personnes ont été tuées et 12 autres blessées par un obus qui s’est abattu sur un groupe de civil·e·s qui fuyait les combats à Nyanzale (Nord-Kivu). Selon des témoins, l’obus a été tiré depuis une colline contrôlée par le M23.
Les ADF étaient responsables de certaines des attaques les plus meurtrières contre la population civile. Au moins 28 civil·e·s ont été tués en avril dans des attaques menées par ce groupe armé à la suite de l’annonce de l’homicide de deux de leurs dirigeants, selon l’ONG Armed Conflict Location & Event Data. En juin, les ADF ont pris pour cible et tué plus de 200 civil·e·s dans deux attaques distinctes dans les territoires de Beni et de Lubero. Ces actes ont été condamnés par des institutions nationales, régionales et internationales (dont la Commission de l’UA) qui ont demandé à ce que la population civile soit réellement protégée.
Neuf civil·e·s ont été tués en août dans la chefferie de Bwito (Nord-Kivu) par des rebelles du M23 qui poursuivaient, semble-t-il, des membres des FDLR. Entre octobre et novembre, dans le village de Binza (territoire de Rutshuru, Nord-Kivu), le M23 a tué 15 civil·e·s, selon des organisations de la société civile et des responsables locaux cités dans les médias.
En août, les forces gouvernementales ont tué au moins neuf manifestant·e·s pacifiques à Kilwa (territoire de Pweto, province du Haut-Katanga), d’après un représentant d’une organisation de la société civile et plusieurs médias. Les victimes étaient soupçonnées d’appartenir aux Bakata Katanga, un groupe politico-religieux combattant sporadiquement contre les forces gouvernementales.
EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES
Au moins 250 personnes ont été soumises à une exécution extrajudiciaire par les forces gouvernementales, selon le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme.
Le 19 mai, l’armée a exécuté deux prisonniers qui étaient soupçonnés d’avoir participé à une tentative de coup d’État visant à renverser le gouvernement en mai.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Des organisations locales et internationales ont fait état d’un nombre inquiétant de cas signalés de violences sexuelles, notamment liées aux conflits. Selon un rapport des Nations unies publié en avril 2024, 133 000 cas ont été enregistrés en 2023 et le nombre de cas liés aux conflits a doublé au premier trimestre de 2024 par rapport à la même période en 2023.
En septembre, Médecins sans Frontières a indiqué avoir pris en charge plus de 25 000 victimes de violences sexuelles en 2023 et a précisé que les chiffres avaient suivi la même tendance dans les premiers mois de 2024. La plupart des cas ont été traités dans des camps pour personnes déplacées de la ville de Goma (province du Nord-Kivu) et aux alentours. Environ 40 % des victimes étaient de très jeunes filles, selon l’UNICEF.
Physicians for Human Rights, qui a interrogé 16 organisations s’occupant de victimes de violences sexuelles, a constaté que la progression de ces violences était liée à divers conflits, et en particulier à la résurgence du M23 et à l’intensification des combats entre ce groupe armé et les forces gouvernementales.
DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], quelque 7,3 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, dont 80 % avaient fui en raison d’affrontements entre différents groupes armés. Plus de la moitié d’entre elles étaient des femmes. La plupart des personnes déplacées vivaient dans des conditions déplorables ; elles n’avaient notamment qu’un accès limité à l’éducation, à la santé et aux services en matière de sexualité et de procréation. Cette situation était en partie imputable au manque de financement de la part de la communauté internationale face à la crise humanitaire et aux attaques continuelles de groupes armés contre les camps de personnes déplacées.
EXPULSIONS FORCÉES
À Kolwezi (province du Lualaba), des entreprises ont poursuivi l’expansion de leurs activités d’extraction industrielle du cobalt et du cuivre, minerais essentiels à la transition des combustibles fossiles vers des énergies renouvelables. Comme les années précédentes, ces opérations ont donné lieu à des expulsions forcées et à d’autres atteintes aux droits humains. Des habitant·e·s touchés par ces mesures ont exprimé, individuellement ou collectivement, leur colère face aux expulsions forcées incessantes et à l’absence d’indemnisation juste des pertes subies. Des représentants de ces populations ont expliqué à Amnesty International que les personnes concernées étaient aussi victimes d’atteintes aux droits humains liées à leur déplacement, et se trouvaient notamment privées d’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau et à d’autres services de base.
LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique restaient soumis à des restrictions. L’« état de siège » (une forme de loi martiale) en vigueur depuis mai 2021 dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu restreignait encore davantage ces droits. Son application et son renouvellement systématique bafouaient la Constitution et allaient à l’encontre des obligations régionales et internationales du pays en matière de droits humains.
Des militant·e·s en faveur de la démocratie, des membres de l’opposition, des défenseur·e·s des droits humains et de l’environnement et des journalistes ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires (voir Détentions arbitraires et procès inéquitables), de harcèlement judiciaire et de mesures d’exil.
En février, les forces de sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser des manifestations pacifiques contre le soutien présumé de certains pays occidentaux aux opérations militaires de l’État rwandais en RDC et à son appui au M23.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
En septembre, Jacky Ndala, membre du parti d’opposition Ensemble pour la République, a relaté publiquement pour la première fois ce qu’il avait vécu pendant sa détention arbitraire dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) en 2022. Il a affirmé avoir été violé et détenu dans des conditions inhumaines. Une membre du parti au pouvoir a déclaré sur les réseaux sociaux en septembre qu’elle avait ordonné à des agents de l’ANR de le violer. Les autorités ont ouvert une enquête sur ces allégations, qui intervenaient sur fond de nombreuses déclarations de militant·e·s faisant état du recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements dans les centres de détention gérés par l’ANR. Le 18 décembre, Jacky Ndala a été condamné à deux ans et demi d’emprisonnement pour « propagation de faux bruits » en lien avec ses allégations.
DÉTENTIONS ARBITRAIRES ET PROCÈS INÉQUITABLES
De jeunes militant·e·s étaient toujours détenus illégalement et des dizaines d’autres personnes, dont des membres de l’opposition et des journalistes, ont été arrêtées arbitrairement pour avoir critiqué les autorités ou simplement mené leurs activités légitimes.
Seth Kikuni, dirigeant de l’opposition et homme d’affaires, a été arrêté le 2 septembre et détenu au secret pendant plusieurs jours, avant d’être déféré au parquet. Il a été transféré à la prison de Makala, à Kinshasa, le 28 septembre et inculpé d’« incitation à la désobéissance civile » et de « propagation de fausses informations ».
Le 19 mars, le journaliste Stanis Bujakera a été libéré de prison après avoir purgé la peine de six mois d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné pour « diffusion de fausses informations », sur la base d’accusations fallacieuses. Il avait été arrêté en septembre 2023.
King Mwamisyo, membre du mouvement de la société civile Lutte pour le changement, se trouvait toujours derrière les barreaux. Il avait été déclaré coupable d’« outrage à l’armée », une accusation forgée de toutes pièces, et condamné à cinq ans d’emprisonnement en juin 2023 pour avoir critiqué l’état de siège.
CONDITIONS DE DÉTENTION INHUMAINES
En septembre, au moins 129 prisonnières et prisonniers ont été tués lors de ce que les autorités ont décrit comme une tentative d’évasion de plusieurs détenu·e·s de la prison de Makala. Selon le ministre de l’Intérieur, 24 des victimes ont été abattues par les forces de sécurité, tandis que les autres sont mortes étouffées par la foule à l’intérieur de la prison surpeuplée. Cet établissement, doté d’une capacité maximale de 1 500 personnes, en accueillait entre 14 000 et 15 000 à l’époque. Plus de 250 détenues ont été violées lors de cet épisode, d’après les Nations unies.
PEINE DE MORT
La dernière exécution connue remontait à 2003. Cependant, en mars, la ministre de la Justice a annoncé que les exécutions allaient reprendre afin de lutter contre la « trahison » au sein de l’armée en cette période d’intensification des conflits armés, principalement due à la résurgence du M23, et pour faire reculer la violence dans les zones urbaines, notamment à Kinshasa. Des organisations internationales et nationales se sont opposées à cette décision, jugeant qu’elle constituait une violation du droit fondamental à la vie et que le système judiciaire avait montré ses limites dans l’application des normes régionales et internationales en matière d’équité des procès. Avant l’annonce de la ministre, le président avait qualifié le système judiciaire de « malade ». Le HCDH a exprimé en octobre ses préoccupations quant à la décision de la ministre et a constaté une hausse considérable du nombre de condamnations à mort prononcées par des tribunaux militaires depuis mars.
En septembre, un tribunal militaire a condamné à la peine capitale des personnes déclarées coupables d’avoir participé à la tentative de coup d’État du mois de mai. En octobre, un tribunal militaire de Kinshasa a condamné à mort un policier impliqué dans l’homicide de Gires Mukungi Manzanza, membre du parti politique Engagement pour la citoyenneté et le développement, survenu en septembre.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Quelques semaines après sa prise de fonctions, en juin, le ministre de la Justice a demandé au procureur général d’engager des procédures judiciaires à l’encontre de celles et ceux qui défendaient les droits des personnes LGBTI. Il avait déclaré en avril avoir présenté, en sa qualité de député, une proposition de loi érigeant en infraction les relations consenties entre personnes de même sexe.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
En avril, le Fonds au profit des victimes [CPI] a mis fin au programme de réparations de l’affaire Katanga, mis en place au bénéfice des victimes d’une attaque armée menée le 24 février 2003 dans le village de Bogoro (province de l’Ituri). La chambre de première instance II de la CPI avait rendu une ordonnance de réparation en 2017, laquelle avait été confirmée en appel en 2018, et les réparations avaient été mises en œuvre entre 2017 et octobre 2023.
En septembre, le président, Félix Tshisekedi, a nommé un nouveau directeur général à la tête du Fonds national des réparations des victimes de violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (FONAREV). Des voix critiques, comme celle du lauréat du prix Nobel de la paix Denis Mukwege, se sont élevées pour déplorer l’inefficacité du FONAREV, créé en 2022 et placé sous l’égide du cabinet de la première dame. Le FONAREV avait annoncé en juin le lancement d’un processus visant à identifier les victimes de violences sexuelles liées au conflit dans le territoire de Beni, en vue de leur accorder une indemnisation.
Le 14 octobre, le Bureau du procureur de la CPI a fait savoir qu’il comptait « réactiver [les] enquêtes » en RDC. Cette annonce faisait suite au renvoi soumis à la CPI par les autorités en mai 2023. Dans sa déclaration, le procureur de la CPI a souligné que les enquêtes « porter[aient] en priorité » sur les crimes commis dans la province du Nord-Kivu depuis janvier 2022 par tous les acteurs, et pas uniquement par des groupes armés en particulier.
En novembre, le ministre de la Justice a organisé des états généraux de la justice. Les autorités participaient aussi à des discussions sur de nouvelles initiatives visant à résoudre les crimes liés aux conflits et envisageaient notamment la création d’un tribunal spécial qui serait chargé de statuer sur les crimes de droit international.
En juillet, des membres du comité directeur du Fonds spécial de répartition de l’indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC ont été suspendus et remplacés à la suite d’allégations de détournement de fonds. Des procédures judiciaires ont été engagées à l’encontre de ces anciens membres.

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