Le 16 septembre 2022, le décès de Mahsa Amini marquait les débuts d’une mobilisation d’ampleur en faveur des droits des femmes en Iran. Trois ans après, alors que le conflit avec Israël s’est rouvert, que reste-t-il du mouvement « Femme, Vie, Liberté » ? Quelle est la situation des droits des femmes dans le pays et quel espoir subsiste-t-il ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré la défenseure des droits humains et avocate Chirinne Ardakani. Entretien.

© Mahé Elipe
Chirinne Ardakani est avocate. Elle exerce en droit pénal et droit des étrangers. Elle défend, en particulier, les dissident·es politiques à travers le monde, dont la militante féministe et Prix Nobel de la paix 2023 Narges Mohammadi.
À la suite du décès décès de Mahsa Amini, Chirinne a co-fondé en 2022 l’association « Iran Justice ». L’objectif : documenter les exactions du régime iranien pour que les responsables soient traduits en justice. L'association plaide notamment pour la reconnaissance internationale et la criminalisation de l’apartheid de genre.
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Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » est né il y a trois ans maintenant. Quelle lecture faites-vous de cette mobilisation et de ses revendications ?
Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » est né d'un événement : le meurtre de Jina Mahsa Amini. Cette jeune kurde iranienne a été tuée par la police des mœurs, non pas pour avoir mal porté un voile, mais pour avoir refusé de se soumettre à une loi de l'État, qui institue depuis les années 80 le port du voile obligatoire pour toutes les femmes du pays.
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S’en est suivi une mobilisation sociale d'ampleur qui a, pour la première fois depuis des décennies, réuni la société civile iranienne autour de revendications communes. Le mouvement porte un projet de libération à trois niveaux : l'égalité entre les femmes et les hommes mais aussi entre les minorités ethniques et confessionnelles, une justice sociale face à la crise économique majeure que traverse le pays, ainsi qu’une transition vers la démocratie.
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Dans le pays, la société est marquée par un apartheid de genre, c'est-à-dire un système de domination et de ségrégation qui infériorise les femmes dans tous les domaines de leur vie économique, civile et sociale.
Ce mouvement non violent a été réprimé dans le sang. Les chiffres sont vertigineux : on compte des dizaines de milliers d’arrestations arbitraires depuis le début de la mobilisation. En août, on comptait au moins 840 exécutions pour la seule année 2025, un record.
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Dans ce contexte répressif qui a véritablement étouffé les voix de la contestation, s'est ajoutée la militarisation de la société liée à la guerre avec Israël.
Quelles sont les conséquences des récentes attaques israéliennes sur la mobilisation ?
Les attaques israéliennes ont été une aubaine pour le pouvoir iranien. Au nom de la guerre contre l'ennemi extérieur, la répression à l'encontre des dissidents a redoublé. La guerre a permis de justifier le redéploiement massif dans les rues, à la fois des forces paramilitaires avec les gardiens de la Révolution, mais aussi de la police des mœurs.
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Depuis juin, les autorités ont procédé à des purges massives, à des arrestations arbitraires, à des interrogatoires et des aveux forcés. Elles ont eu recours à des traitements inhumains et dégradants à l’encontre de dissidents présentés fallacieusement comme étant des « collaborateurs de puissance ennemie ». Beaucoup ont été accusés d’actes de sabotage, d'espionnage au profit d’Israël.
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Ce contexte sécuritaire est venu aggraver une répression déjà préexistante en donnant l’opportunité aux autorités iraniennes de renforcer la surveillance généralisée de la société. C’est un réel danger pour les femmes, les citoyens en général, mais aussi pour les minorités ethniques et confessionnelles.
La guerre a également entrainé la multiplication des contrôles. Les femmes se font d’autant plus harceler dans l'espace public pour le respect du port du voile obligatoire. Sur les campus universitaires, sur les lieux de travail, la surveillance est justifiée par une véritable traque aux « traîtres à la nation ».
Résultat, les libertés publiques qui étaient déjà bafouées sont encore réduites. La loi martiale ou des lois d'exception servent à justifier la criminalisation de toute expression critique vis à vis du pouvoir.
On se retrouve dans un contexte de « double guerre » : la guerre contre l'ennemi extérieur sert à cacher celle contre la société civile.
Dans ce contexte, la résistance est-elle encore possible ?
Le mouvement « Femme, Vie, Liberté », a nourri des poches de résistance au sein de la société iranienne (syndicats de travailleurs, mouvements étudiants, des mouvements féministes...) qui ont réussi à s'organiser malgré la répression et l’absence de liberté syndicale, d'association, ou de réunion.
Malheureusement, la guerre avec Israël a réduit ces espaces où la résistance pouvait s’exprimer. Sous le vacarme des bombes, l'urgence de la guerre prend le pas sur les possibilités d'organisation et de transition démocratique. La guerre a marqué un coup d’arrêt de la dynamique de résistance enclenchée par la société civile.
Aujourd’hui, le mouvement de résistance est dans une phase de repli, mais cela ne veut pas dire que la contestation est au point mort. Cela signifie plutôt que le mouvement doit se réorganiser dans un contexte de répression redoublée.
Quel rôle doit jouer la communauté internationale pour soutenir les femmes iraniennes ?
Il est primordial de continuer à documenter les crimes commis en Iran pour que ce matériel soit transmis à des juridictions internationales et que les auteurs de ces crimes soient un jour jugés. Avec « Iran Justice », nous essayons de participer à faire la lumière sur les exactions commises par les autorités iraniennes, d’identifier les violations des droits humains et de rassembler des éléments de preuves.
Malgré les nombreuses attaques à l’encontre du multilatéralisme, du droit international et des institutions censées le faire respecter, nous ne devons pas baisser les bras. Les institutions internationales sont essentielles. La mission d’enquête des Nations unies, par exemple, joue un rôle crucial en documentant les violations des droits humains commises par les autorités iraniennes.
En 2023 et 2024, deux rapports de la mission ont établi un lien de causalité, en tout cas d'imputabilité, entre un féminicide, (le fait qu'une femme soit tuée pour être une femme, ndlr) et une loi patriarcale, que l'État coercitif et sa police font appliquer.
Nous devons continuer à faire pression pour que les États mettent un terme à l’impunité des autorités iraniennes.
Quel espoir gardez-vous pour l’avenir des femmes en Iran ?
Depuis trois ans, on constate tout de même des avancées importantes. De nombreuses femmes ne se voilent plus systématiquement dans la rue. Il y a eu une véritable rupture générationnelle avec les autorités iraniennes. Cela laisse entrevoir des évolutions possibles pour la société sur le plus long terme.
Par ailleurs, les Iraniennes ont trouvé des alliés partout dans le monde. Une grande solidarité internationale s’est mise en place entre toutes les femmes, unies par leurs conditions. Françoise d'Eaubonne disait : « la féminitude, c'est la capacité que les femmes ont à exprimer une solidarité pour toutes celles qui ne font pas face à des attaques de la même intensité ».
Toutes les femmes ne sont pas dans la même situation : les droits élémentaires des Iraniennes sont bafoués, les Afghanes voient leur droit d’exister remis en cause, les Américaines voient leur droit à l’IVG reculer, les Françaises subissent encore la loi du viol, de l’inceste et des violences sexuelles malgré une égalité proclamée en droit.
Malgré ces différences, un élan de solidarité est né avec “Femme, vie, liberté”. À l’occasion des trois ans du féminicide de Jina Mahsa Amini, ces solidarités doivent être réactivées à travers le monde pour continuer à encourager la résistance des Iraniennes.
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