Porté disparu depuis le 26 juin 2025, Camilo Castro, Français de 41 ans, a été arrêté à la frontière entre le Venezuela et la Colombie, où il vivait. Après plus de quatre mois de détention, il a atterri à Orly ce dimanche 16 novembre, accueilli par ses proches et le ministre français des Affaires étrangères. Son beau-père, Yves Gilbert, raconte l’attente, l’angoisse et le soulagement, et la détermination intacte de Camilo à témoigner pour aider les autres personnes détenues arbitrairement dans les geôles vénézuéliennes.
Dans quel état d'esprit avez-vous retrouvé Camilo ?
Camilo est très inquiet. Il est encore bouleversé. On essaie de le protéger. Il n’a qu’une obsession : aider les détenus qui étaient avec lui, et dont personne ne parle.
Comment vous sentez-vous depuis sa libération ?
Je ne sais pas ! Comment je me sens ? Je n’ai pas le temps de réfléchir. C’est la déferlante !
Comment avez-vous appris la nouvelle ?
Nous étions dans une file d’attente au théâtre. J’ai décroché et j’ai entendu : « Bonjour, c’est Jean-Noël Barrot au téléphone. » C’était le ministre des Affaires étrangères qui m’appelait. A ce moment-là, nous savions qu’il se passait des choses, qu’il y avait des tractations, mais rien de plus. C’est tombé comme ça, par surprise.
Un peu plus tard, nous avons appelé l’Ambassade de France au Venezuela et nous avons pu parler à Camilo.
Que lui avez-vous dit ? Qu’avez-vous ressenti ?
« Oh p*****, Camilo ! Enfin… enfin libre ! »
Camilo était surexcité. Il disait : "Ça y est, je suis sorti ! Je suis sorti, tout va bien, je suis à l’ambassade !" Puis : "Mais j’ai peur. Tant que je ne suis pas dans l’avion, on ne sait jamais ce qui peut se passer."
Nous avons attendu jusqu’à cinq heures du matin. Nous avons reçu une photo de lui, prêt à embarquer. L’ambassade l’avait accompagné jusque-là. À partir de ce moment, on savait qu’il était hors de danger. Ça y est : Camilo était libre.
C’était un soulagement énorme. Cela faisait cinq mois que nous ne pensions qu’à ça. Sa mère ne dormait plus que trois ou quatre heures par nuit. Sa libération, c’était comme si on soulevait la chape de plomb qui nous étouffait. Une respiration.
Comment avez-vous vécu ces mois d’attente ?
Nous nous sommes immédiatement mobilisés. Il y a d’abord eu l’annonce de sa disparition. Où était-il ?
Camilo a disparu jusqu’au 20 juillet. Nous avons remué ciel et terre : Interpol, les forces de police colombiennes, le groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires… À chaque fois, la même question : où est-il ?
Nous n’avons eu la réponse que dans la nuit du 20 juillet : il était en prison au Venezuela. Nous avons immédiatement contacté des associations locales, dont Foro Penal, l’une des plus actives. Rapidement, un réseau s’est formé autour de son cas.
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Helene Boursier, mère de Camilo Castro, s'exprime lors d'un rassemblement avec des militants d'Amnesty International pour protester contre la détention de son fils au Venezuela, à Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 20 septembre 2025. © Lionel BONAVENTURE / AFP
Avez-vous hésité à rendre son cas public ?
Oui, c’était notre plus grande hésitation. Nous avons discuté avec la diplomatie française, avec d’autres personnes ayant vécu la même situation (comme les familles de Cécile Kohler et Jacques Paris), et avec des journalistes habitués à ces dossiers, dont Benjamin Delille. Notre obsession : savoir si rendre public son cas pouvait lui nuire.
Lui nous disait : "Il faut en parler. On va nous oublier. Il faut que le monde sache !". C’est le grand principe d’Amnesty d’ailleurs. Finalement, nous avons rendu public son cas, en prenant certaines précautions. Et ça a tout changé. Les sollicitations ont explosé, l’attention portée à son cas s’est élargie.
Comment s’est organisée la mobilisation en France ?
Ma femme, la mère de Camilo, est militante chez Amnesty International depuis plus de dix ans. Naturellement, nous avons organisé des rassemblements avec la section toulousaine. Nous écrivions aux députés. Puis nous avons échangé avec la section au niveau national, notamment lors de la sortie d’un rapport sur les détentions arbitraires au Venezuela. Amnesty - et en particulier une personne du service Relations extérieures - a joué un rôle crucial de conseil.
De là, la toile militante s’est déployée. Nous nous sommes mis en contact avec d’autres réseaux locaux, notamment à Nantes, où vit notre fille Jeanne. Nous avons organisé des rencontres publiques et une action durant laquelle des militantes et militants se photographiaient avec le message « Libérez Camilo ». Des photos ont afflué de toute la France.
En parallèle, nous poursuivions nos échanges avec la diplomatie française, sans avoir d’informations sur ce qui se passait en coulisses.
Que vous a-t-il dit de sa détention ?
Camilo est en état de choc. Il est sonné. Nous devons le protéger, le "déchoquer". Physiquement, il va à peu près bien : ils avaient à manger.
Mais il n’est pas encore sorti de prison dans sa tête. Il a subi d’importantes maltraitances psychologiques. Comme les autres. Chacun a des armes différentes pour résister à ça.
Ses co-détenus lui disaient : « Si tu sors, il faut que tu nous aides. » Aujourd’hui, il reste focalisé sur ceux qui sont encore là-bas.
Les disparitions forcées au Venezuela
On estime qu’il reste environ 800 prisonniers après l'arrestation de 2 229 personnes, en juillet 2024, à la suite des élections au Venezuela. Principalement des vénézuéliens, mais aussi des binationaux, des étrangers, des femmes, des enfants… Pratiquement toutes ces détentions seraient arbitraires et motivées par des raisons politiques.
Selon les prisonniers libérés, plus de 30 nationalités différentes sont détenues depuis 2024. En plus de ressortissants de pays voisins (Colombie, Uruguay, Argentine …) ou européens (Espagne, Allemagne, France), de nombreux double-nationaux, mais aussi des Yéménites et des Ukrainiens.
Certains prisonniers étrangers sont considérés comme des opposants politiques. Leur arrestation s’inscrit dans une politique systématique et généralisée de répression des dissidents au Venezuela. Souvent, ils sont accusés d’espionnage ou de terrorisme.
Notre rapport : Les disparitions forcées au Venezuela
Camilo a été détenu avec d’autres ressortissants étrangers dans une aile dédiée de la prison d'El Rodeo, à 40 km de Caracas, dans un quartier qui comptait près de 90 détenus étrangers.
Plusieurs par cellule, avec un temps restreint de sortie par semaine, complètement coupés de l’extérieur et laissés sans contact avec leurs proches… Les détenus d’El Rodeo font face à des conditions de détention particulièrement rudes. Souvent, ils ne connaissent même pas les charges retenues contre eux et n’ont pas accès à leurs droits procéduraux (pas d’avocat, pas de visite consulaire, pas de date de jugement…). Des allégations de torture ont déjà été rapportées dans cette prison et dénoncées par Amnesty International.
Et maintenant ?
Aujourd’hui, il pense aux autres. Nous aussi. Aux familles du monde entier dont les enfants sont retenus dans les prisons vénézuéliennes. Aux familles des centaines de français détenus arbitrairement à l’étranger. C’est avec des organisations comme Amnesty qu’elles peuvent s’organiser.
De notre côté, Camilo est libre, mais nous sommes loin d’être sortis de cette affaire. Cette histoire sera la nôtre pour toute la vie.
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