Après l’offensive israélienne contre l’Iran, la population civile subit une autre forme de violence : la répression de la société civile s'est considérablement durcie. Depuis la mi-juin, sous prétexte d'une chasse aux espions et aux personnes accusées de « collaboration » avec Israël, les arrestations et les exécutions arbitraires et expéditives se multiplient. Un engrenage alarmant.
Nombre d'exécutions record en 2025
Depuis le début de l’année 2024, plus de 1 000 personnes ont été exécutées par les autorités iraniennes. Il s’agit du nombre annuel d’exécutions le plus élevé que nous avons recensés depuis 15 ans. En moins de neuf mois, le nombre de personnes mises à mort par le pouvoir iranien a déjà dépassé le sinistre total enregistré en 2024.
Depuis le 13 juin 2025, au moins 10 hommes ont été exécutés pour des accusations motivées par des considérations politiques, dont au moins huit pour espionnage pour le compte d'Israël. Parmi, on compte notamment les deux dissidents politiques Behrouz Ehsani et Mehdi Hassani. Ils ont été exécutés arbitrairement le 27 juillet 2025, après un procès totalement inéquitable qui a duré à peine cinq minutes.
Le 17 septembre, les autorités iraniennes ont exécuté arbitrairement Babak Shahbazi. Il a été condamné à mort par un tribunal révolutionnaire à l'issue d'un procès profondément inéquitable, au cours duquel les autorités n'ont jamais enquêté sur les actes de torture qu'il a subis.
Alors que la population iranienne tente de se remettre des effets dévastateurs du conflit armé entre l’Iran et Israël, les autorités iraniennes se livrent à une répression terrifiante. Depuis le déclenchement de l’offensive israélienne Rising Lion dans la nuit du 12 au 13 juin, plus de 20 000 personnes ont été arrêtées par les autorités iraniennes, et au moins neuf hommes ont été exécutés.
Sous couvert de sécurité nationale, les autorités ont mis en place une surveillance généralisée et redoublé la répression et la violence à l’encontre des minorités ethniques et confessionnelles. Les arrestations massives s’accompagnent d’appels officiels à des procès expéditifs et à des exécutions rapides lancés par les autorités judiciaires. Aux abords des points de contrôle routiers, les forces de sécurité sèment la terreur.
Un climat de peur et de torture
Le Conseil suprême de la sécurité nationale a affirmé que toute action « en faveur d’Israël » entraînerait la peine capitale pour des infractions floues telles que l’« inimitié à l’égard de Dieu » (moharebeh) ou la « corruption sur terre » (efsad-e fel-arz).
Le pouvoir judiciaire est allé encore plus loin, en annonçant la création de tribunaux spéciaux pour poursuivre « les traîtres et les mercenaires ». Le Parlement a notamment accéléré l’adoption d’une législation d’exception qui élargirait le recours à la peine de mort.
Depuis juin, des médias affiliés à l’État se sont prononcés en faveur d’une répétition des massacres de 1988 dans les prisons, au cours desquels de hauts responsables avaient ordonné l’exécution sommaire et extrajudiciaire de milliers de prisonniers politiques.
Ces mesures répressives s’inscrivent dans un durcissement autoritaire généralisé, qui s’est renforcé depuis juin avec de nouveaux déploiements militaires, couplés à un quasi-total black-out d’internet.
Les appels officiels à accélérer les procès et exécutions des personnes arrêtées pour des accusations de collaboration avec Israël illustrent l’instrumentalisation par les autorités iraniennes de la peine de mort en vue d’exercer un contrôle et d’instiller la peur parmi la population en Iran.
Hussein Baoumi, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord
Les boucs-émissaires du régime
Opposant·es politiques, défenseur·e·s des droits humains, journalistes, utilisateur·ices de réseaux sociaux ou encore proches de victimes d’exécutions extrajudiciaire… Tous sont actuellement dans le viseur des autorités iraniennes. Le climat d’après-conflit a également servi de justification pour renforcer la répression à l’encontre des minorités ethniques et religieuses.
Depuis juin, la situation des droits humains en Iran s’est encore détériorée, les autorités iraniennes prenant pour boucs émissaires et pour cible les opposant·e·s et les minorités, en relation avec un conflit dans lequel ils n’ont joué aucun rôle.
Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Les provinces où vivent des minorités ethniques telles que les Kurdes et les Arabes ahwazis ont été particulièrement touchées par ces arrestations massives. Au moins 330 personnes issues de la minorité ethnique kurde avaient été arrêtés au 24 juillet, selon le Réseau des droits humains du Kurdistan.
Accusés à tort d’être « une secte sioniste », les membres de la minorité baha’ie ont été particulièrement pris pour cible. Les autorités ont mené une véritable campagne de propagande incitant à la violence, à la discrimination et à la désinformation à leur encontre.
Au moins 35 membres de la communauté juive de Chiraz et de Téhéran ont été interrogés au sujet de leurs liens avec des parents en Israël, selon Human Rights in Iran. D’après les témoignages d’un député juif, Homayoun Sameyeh Najafabadi, plusieurs membres de la communauté juive iranienne ont été arrêtés et certains jugés devant un tribunal révolutionnaire à Téhéran.
Le 17 août, les médias d’État ont par ailleurs diffusé les « aveux » de détenus chrétiens, accusés d’être des « mercenaires du Mossad », laissant craindre qu’ils aient été obtenus sous la torture. Le 24 juillet, un groupe de défense des droits humains a signalé l’arrestation d’au moins 54 chrétiens depuis le 24 juin 2025.
Enfin, les autorités ont également mené une campagne d’arrestations et d’expulsions massives contre des Afghan·>es. Le nombre d'Afghan·>es exécuté·>es dans le pays a plus que triplé, passant de 25 en 2023 à 80 en 2024. Ce phénomène inquiétant coïncide avec la recrudescence des discours racistes et xénophobes de la part du pouvoir iranien.
La répression brutale menée par les autorités iraniennes contre un peuple encore sous le choc de la guerre laisse présager une catastrophe imminente en matière de droits humains, en particulier pour les groupes les plus marginalisés et persécutés du pays.
Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Le recours à la peine de mort touche de manière disproportionnée les minorités marginalisées, en particulier les membres des communautés afghane, baloutche et kurde. Au moins deux femmes kurdes, la travailleuse humanitaire Pakhshan Azizi et la dissidente Verisheh Moradi, sont condamnées à mort et risquent d'être exécutées.
Terreur aux postes de contrôle
Les postes de contrôle routiers mis en place depuis le conflit de juin sont devenus un autre instrument de répression. Les autorités ont procédé à des fouilles intrusives de véhicules et de téléphones portables, arrêtant des personnes pour « collaboration » avec Israël, souvent sur la base de simples publications sur les réseaux sociaux, selon des médias d’État.
Le 1er juillet, deux personnes ont été tuées par les forces de sécurité de Tarik Darreh sous prétexte qu’elles fuyaient le poste de contrôle. Le 17 juillet, dans la province de Markazi, quatre membres d’une même famille ont été abattus, dont une fillette de 3 ans. Elle s’appelait Raha Sheikhi.
D’après les déclarations de représentants de l’État, rien n’indique que les personnes abattues dans ces affaires représentaient une menace imminente de mort ou de blessures graves. En vertu du droit international, le recours à une force potentiellement létale à des fins d’application des lois est une mesure extrême ne devant être prise qu’en cas de stricte nécessité, afin de protéger des vies ou de prévenir des blessures graves résultant d’une menace imminente.
Ces postes de contrôle ont également été utilisés pour arrêter des ressortissants « non autorisés », un terme discriminatoire utilisé par les autorités pour désigner les Afghan·es.
En danger immédiat
Nous sommes également particulièrement inquiets pour les personnes condamnées à mort, à l’issue de procès manifestement iniques pour des affaires distinctes des accusations d’espionnage et de collaboration avec Israël.
Parmi celles qui se trouvent actuellement dans le couloir de la mort et qui courent un danger imminent, figurent l’universitaire suédo-iranien Ahmadreza Djalali, détenu depuis 2016 et condamné à mort à l’issue d’un procès fondé sur des « aveux » arrachés sous la torture. Le refus persistant des autorités de révéler son lieu de détention fait craindre un danger imminent d’exécution secrète.
Au moins trois femmes risquent également d'être exécutées : la défenseuse des droits des femmes Sharifeh Mohammadi, la travailleuse humanitaire kurde Pakhshan Azizi, et la dissidente kurde Verisheh Moradi.
Neuf personnes risquent aussi la pendaison en lien avec les manifestations « Femme Vie Liberté », et six autres en raison d'une prétendue affiliation à l'Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI). En plus de ces 19 cas documentés par notre organisation, nous avons reçu les noms de 13 autres personnes également menacées d'exécution.
La peine capitale est le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit, et elle ne devrait jamais être infligée, quelles que soient les circonstances. Chercher à exécuter au plus vite des personnes après des “aveux” obtenus sous la torture et à l’issue de procès manifestement iniques constituerait un grave abus de pouvoir et une atteinte flagrante au droit à la vie.
Hussein Baoumi, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
L’Iran est le deuxième pays, après la Chine, à avoir commis le plus d’exécutions en 2024.
Ce que nous demandons :
L’aggravation de la crise en Iran met en évidence l’urgence pour la communauté internationale de mener des enquêtes sur les crimes relevant du droit international commis par les autorités iraniennes et d’engager des poursuites contre celles-ci, en vertu du principe de compétence universelle. Nous exhortons par ailleurs les autorités iraniennes à :
Instaurer immédiatement un moratoire sur les exécutions à titre de première étape vers l’abolition de la peine de mort, libérer toutes les personnes détenues arbitrairement
Veiller à ce que toutes les autres personnes incarcérées soient protégées contre les disparitions forcées, la torture et les autres formes de mauvais traitements.
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