La recherche et l'éducation figurent parmi les nombreuses cibles de l'administration Trump. Nous avons rencontré Brian Sandberg, chercheur et professeur d’histoire dans une université américaine. Il témoigne des attaques et de la peur qui paralyse peu à peu le milieu universitaire et se retrouve propulsé malgré lui comme l’un des seuls porte-parole qui ose dénoncer ces attaques. Les minorités sont particulièrement visées.
Série "Ma vie sous Trump" - épisode 1/6 : Chaque mois, nous donnons la parole à celles et ceux qui, aux États-Unis, subissent l'offensive anti-droits de l'administration Trump.
C’est une nouvelle qui laisse un goût amer de censure. En février 2025, le Washington Post révéle une liste de mots-clés à bannir des projets de recherche qui circulait au National Science Foundation (NSF), l’agence fédérale des États-Unis qui soutient la recherche scientifique. “Femme”, “diversité”, “antiracisme”, “genre”, “changement climatique”, “intersectionnalité”... : ces termes font partie de la centaine de mots déconseillés si l’on souhaite obtenir une bourse de financement pour ses recherches.
“Tout au long de ma carrière, j’ai pu faire mes recherches avec l'aide des bourses”, explique l’historien Brian Sandberg. “Aujourd’hui, je ne peux plus postuler pour les bourses fédérales américaines car mes recherches touchent les mots-clés interdits.”
En mars 2025, Brian Sandberg était présent à l’université d’Aix-Marseille pour animer un atelier sur les conflits religieux et le changement climatique au 16ème siècle. Un sujet de recherche qu’il ne pourrait plus porter aux Etats-Unis, puisque les termes “changement climatique” et “environnement” figurent dans la liste des mots-clés interdits par Trump, révélée par le Washington Post.
Après avoir historiquement été une terre d’accueil pour les universitaires étrangers, les universités américaines sont confrontées à ce qu'on appelle la “fuite des cerveaux”. Face aux attaques du gouvernement, aux vagues de licenciements et aux pertes de financements, les départs se multiplient.
En Europe et dans le monde, de nombreux fonds sont débloqués pour accueillir les chercheur·es issu·es des universités américaines. Mais la compétition est rude.
Pour l’année universitaire 2026-2027, Brian Sandberg a postulé au “Safe Place for Science”, un programme d’accueil de chercheur·es américain·es mis en place par Aix-Marseille Université. Près de 300 chercheur·es issu·es d’institutions prestigieuses comme Berkeley, la Nasa ou Stanford ont postulé, pour seulement 39 candidat·es retenu·es.
Les coupes budgétaires ne concernent pas seulement les sciences humaines, régulièrement soupçonnées de “wokisme” [ndlr : terme péjoratif donné à un courant de pensée américaine défendant les droits de groupes minoritaires] par les affiliés de Donald Trump. Elles concernent aussi les sciences dites “dures” comme la santé, l’environnement ou le climat.
Les attaques touchent tous les chercheurs dans tous les domaines de toutes les universités aux États-Unis.
Brian Sandberg
“On surpasse déjà le maccarthisme. Des historiens spécialistes de la guerre froide et du maccarthisme affirment que l’ampleur de la politique de Trump est déjà plus importante et systématique.”
Les vagues de licenciements actuelles ne sont pas sans rappeler les heures sombres du maccarthisme des années 1950, lors desquelles de véritables purges avaient lieu dans les institutions américaines, soupçonnées d’être infiltrées par la pensée communiste.
La National Science Foundation (NSF), l’agence fédérale qui finance la recherche voit son budget réduit de 56% pour 2026 dans les prévisions budgétaires.
La National Institutes of Health (NIH), l’agence fédérale responsable de la recherche biomédicale et de la santé publique, pourrait voir son budget réduit de 40% par rapport à 2025.
L’Environmental Protection Agency (EPA), l’agence de protection de l’environnement devrait voir son budget réduit de 50%.
La National Aeronautics and Space Administration (NASA) pourrait voir son budget réduit de 25% en 2026.
Le démantèlement de l’USAID, l’aide humanitaire américaine met en danger la vie de millions de personnes.
La peur de dénoncer
“Je connais plein de personnes qui ont déjà perdu leur travail ou perdu leur bourse. [...] Ils sont dans une situation où ils peuvent perdre deux, trois, quatre ans de recherche. Ce qui signifie bien souvent la fin de leur carrière.”
Face aux attaques de l’administration Trump, l’effet de sidération paralyse peu à peu le milieu universitaire, et particulièrement les minorités, que Donald Trump ne manque pas de viser publiquement. “Il y a beaucoup de peurs. Et à raison. Certains universitaires ont déjà perdu leur visa ou leur carte de séjour. Il menace même de retirer leur retirer leur citoyenneté, ce qui est anticonstitutionnel. [...] Cela touche notamment les chercheur·es et professeur·es d'Amérique latine, d'Asie, d'Afrique. Bien qu’elles soient en poste, qu’elles possèdent des cartes vertes [nldr : carte de résidence permanente] ou la citoyenneté américaine, elles sont ciblées quotidiennement par l'administration Trump et ne se sentent plus en sécurité.”
Si Brian Sandberg prend la parole au nom des chercheur·es attaqué·es, c’est aussi parce qu’il se considère relativement en sécurité par rapport à ses collègues issus de minorités.
“Je ne suis pas issu d'une communauté qui est directement ciblée par Trump. Même si toutes les institutions avec lesquelles je travaille sont touchées, ce n'est pas la même chose que si j’étais une femme, une personne gay, trans, afro-américaine ou latino-américaine sans papier. Elles sont toutes bien plus touchées que moi. C'est pourquoi j'essaie de parler aussi au nom des personnes qui ne sont pas en sécurité et pour dénoncer ce qu’il se passe.”
De multiples droits et libertés touchés par les attaques de Donald Trump envers l’éducation
Droit à l’éducation : avec la suppression des bourses fédérales, de nombreux élèves issus des classes défavorisées ne pourraient plus payer leurs frais de scolarité et accéder à l’enseignement supérieur.
Droit à la liberté d’expression : protégée par le Premier amendement de la Constitution des États-Unis, la liberté d’expression des étudiant·es qui expriment leur solidarité envers le peuple palestinien est attaquée. C’est en particulier le cas des étudiant·es internationaux qui sont menacés d’expulsion pour tout soutien public envers les droits des palestinien·nes.
Droit de manifestation pacifique : par la détention de l’étudiant et activiste propalestinien Mahmoud Khalil ou par la suspension des subventions aux universités où se sont déroulées des manifestations pour la défense des droits des Palestinien·nes, le gouvernement bafoue la liberté à manifester.
Droit à l’égalité et à la non-discrimination : ce droit est menacé par Donald Trump notamment lorsqu’il s'attaque aux programmes de “diversité, équité et inclusion” qui visent à améliorer l’accès des minorités à l’éducation aux États-Unis.
Liberté académique : la fuite de la liste de mots-clés désormais interdits de bourses de recherche révèle l’ampleur des pressions que subissent les universitaires dans leurs activités de recherche et d’enseignements.
Faire plier les universités et leur imposer le contrôle
Au-delà de la recherche, les universités dans leur ensemble sont attaquées par l’administration Trump. Le gouvernement agite régulièrement la menace de suspendre leurs subventions fédérales.
L’université de Columbia [nldr : université de New York faisant partie du groupe de l’Ivy League, les huit plus prestigieuses universités américaines] en a récemment fait les frais. Le gouvernement a ouvert une enquête sur l’université américaine accusée d’antisémitisme pour avoir permis l’organisation des manifestations propalestiniennes sur son campus, et l’a menacé de lui faire perdre ses accréditations pour bénéficier des subventions fédérales. Columbia a fini par signer un “deal” avec le gouvernement : elle a payé plus de 220 millions de dollars d’amende pour que cessent ces enquêtes et dégeler les subventions.
Dans le cas de Columbia, on constate qu'il y a une volonté de contrôle politique, surtout sur le centre des Etudes sur le Moyen-Orient, dont les étudiants et professeurs étaient impliqués dans les manifestations contre la guerre à Gaza.
Brian Sandberg
Le cas de Columbia est loin d’être isolé. James Ryan, président de l’Université de Virginie, a été forcé à démissionner après l’ouverture d’une enquête par l’Etat fédéral sur les pratiques du campus pour favoriser la diversité. L’Université de Penn a quant à elle accepté de limiter la participation d’athlètes transgenre après s’être publiquement excusée d’avoir permis la participation de la nageuse américaine transgenre Lia Thomas dans l’équipe de natation féminine en 2022.
La faculté de droit de Harvard est l’un des rares exemples de contre-attaque qui a fonctionné. Alors que le gouvernement a tenté de bloquer les visas de ses étudiant·es étranger·es, l’université a porté plainte. Résultat : la décision du gouvernement a été suspendue par la justice en juin 2025. L’université d’Harvard a remporté une bataille judiciaire, lorsqu’une juge fédérale a estimé dans une décision le 3 septembre que la suspension des subventions (à hauteur de 2,6 milliards de dollars) est illégale. Comme dans le cas de Columbia, Harvard était accusée d’avoir laissé se propager des discours antisémites lors de manifestations propalestiniennes.
Levier financier : gel des subventions, perte des accréditations, suppression des exemptions fiscales.
En janvier 2025, Donald Trump a signé un décret imposant de renoncer aux politiques de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI) dans l’administration américaine. Des universités soupçonnées de ne pas respecter ce décret ont été victimes d’enquêtes.
Le 20 mars 2025, Donald Trump a mis en scène la signature d’un décret visant à dissoudre le ministère de l’éducation. Ce décret a été suspendu en mai par un juge qui a ordonné la réintégration de tous les fonctionnaires licenciés.
Des dizaines d’établissements universitaires, soupçonnés d’antisémitisme, sont la cible d’enquêtes. Ces lourdes procédures les poussent à accepter des “deals” avec le gouvernement comme dans le cas de Columbia.
Les étudiants étrangers et leur statut sont pris pour cible. Nous avons dénoncé les outils de surveillance dopés à l’intelligence artificielle qui ciblent les étudiant·es internationaux, en particulier celles et ceux qui s’expriment en faveur des droits de la population palestinienne.
La démocratisation de l’éducation attaquée, les minorités ciblées
Ce n’est pas un hasard si l’éducation est prise pour cible aux États-Unis. Dès 2021, le vice-président JD Vance a déclaré “Les universités et les professeurs sont nos ennemis” alors qu’il était candidat pour être élu sénateur dans l’Ohio. Ces propos font écho à ceux de Richard Nixon qui déclarait “Les professeurs sont nos ennemis” en 1972, alors qu’une vague de protestation contre la guerre du Vietnam déferlait sur les campus des universités américaines.
“C’est une tentative de démanteler le système démocratique d'éducation.” Si attaquer les universités, c’est réduire les capacités de résistance au pouvoir, c’est aussi cibler les classes sociales défavorisées.
“Ils ont bien compris que l'éducation, c'est le moteur le plus important dans la société pour donner la mobilité. L'éducation supérieure aux États-Unis donne des opportunités à toutes les personnes de toutes les classes.” Si les universités ont tendance à être dépeintes par l’administration Trump comme le lieu de fabrication des élites qui seraient enfermées dans leur “tours d’ivoire”, Brian Sandberg rappelle que l’éducation représente aussi un moyen d’ascension sociale pour les personnes issues de classes les plus défavorisées. “Près de la moitié des étudiants ne paient pratiquement aucun frais d'inscription grâce aux bourses fédérales. Mais Trump et ses alliés veulent éliminer ces aides, ce qui serait un désastre pour les étudiants des classes ouvrières.”
Ils transforment les administrations comme une arme contre les personnes non-blanches, contre les femmes, contre les personnes LGBTQIA+.
Brian Sandberg
Mettre fin aux politiques de diversité, équité et inclusion, menacer de retirer les visas aux étudiant·es internationaux, interdire les mots-clés comme “antiracisme”, “LGBTQIA+”, “femmes”. Tous les moyens sont mis en œuvre par l’administration Trump pour attaquer les minorités.
“Les actions de l'administration de Trump et celles d’Elon Musk quand il était aux commandes du DOGE [nldr : département de l’efficacité gouvernementale] sont des actions anticonstitutionnelles et anti-démocratiques, motivées par une politique qui est ouvertement raciste et raciale.”
Lire aussi : Surveillance de masse : l’IA utilisée pour cibler les migrants et les étudiants étrangers aux États-Unis
La puissance des résistances étudiantes
Les attaques violentes et récurrentes de l'administration Trump contre l’éducation et la recherche ont provoqué la sidération.
Mais des résistances s’organisent aux États-Unis. Dans sa faculté, Brian Sandberg continue avec ses collègues de maintenir leur “mission de donner l’accès démocratisé à l’éducation. [...] Même si Trump veut éliminer l'idée de diversité, d'égalité et d'inclusion, on continue de promouvoir tout cela parce que c'est dans notre mission. Une université publique doit être là pour le bien commun.”
Dans le milieu de la recherche, des bibliothécaires et des archivistes se mobilisent pour sauvegarder toute l’information et les données qui sont supprimées par le gouvernement fédéral, notamment pour les recherches sur le changement climatique.
La résistance passe aussi et surtout par les manifestations étudiantes sur les campus universitaires. Les mouvements actuels n’oublient pas que d’autres avant eux ont réussi à changer le cours de l’histoire américaine, à l’instar du mouvement des droits civiques pour mettre fin à la ségrégation raciale aux États-Unis dans les années 1950-1960. Le “Mouvement pour la liberté d’expression”, né sur le campus de l’université de Berkeley en 1964, symbolise la mobilisation étudiante pour protéger la liberté d’expression et de manifestation.
Amnesty International aux côtés des étudiant·es aux États-Unis pour protéger leurs droits
Face aux attaques du gouvernement Trump contre l'éducation, notre section américaine a lancé en avril, en collaboration avec l’association American Civil Liberties Union, une campagne pour aider les étudiant·es à défendre leurs droits.
Nous avons lancé une boite à outils destinée aux étudiant·es pour les aider à impliquer la direction des universités dans la défense de leurs droits mais aussi à s’organiser à travers des manifestations et des actions directes.
Lire aussi : Découvrir notre boîte à outil pour défendre les droits des étudiant·es
Les protestations de la jeunesse sont puissantes. Elles peuvent faire basculer une société. Et c’est pourquoi Donald Trump et ses alliés cherchent à les affaiblir. Le combat mené par le gouvernement envers la science, les savoirs et la recherche est aussi un combat contre les faits et la réalité, sur fond de climatoscepticisme et de révisionnisme.
“Il faut que chacun, à son niveau, trouve des moyens de résister.”. Au-delà des manifestations étudiantes et de la résistance des chercheur·es, c’est un élan de résistance et de solidarité mondiale qui doit émaner des citoyen·nes pour protéger les droits humains.
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