Le Népal connait un mouvement de contestation sans précédent. Révoltée contre la corruption et contre l’interdiction gouvernementale des réseaux sociaux, la jeunesse est descendue massivement dans les rues pour exiger le respect de ses droits. Les mobilisations ont entrainé la chute du gouvernement en seulement deux jours. Quelle est la situation actuelle ? Quel rôle a joué la « Génération Z » dans cette mobilisation ? Comment expliquer sa colère ? Le point sur la situation avec Nirajan Thapaliya, directeur d’Amnesty International Népal.

Nirajan Thapaliya est spécialiste des droits humains. Il a travaillé auprès des Nations unies et d'autres organisations internationales pendant plus de 13 ans à différents postes. Aujourd'hui, il occupe le poste de directeur à Amnesty International Népal.
Comment expliquez-vous l’escalade de la violence depuis le début des protestations ?
La mobilisation était d’abord pacifique, mais elle a rapidement dégénéré. Lorsque des manifestants ont pénétré l’enceinte du Parlement, les forces de l’ordre ont répliqué en tirant à balles réelles sur la foule. Au moins 19 manifestants ont été tués et des centaines d’autres personnes ont été blessées.
Ces violences ont profondément choqué la population. C’était non seulement disproportionné, mais aussi illégal et inutile. La démission du Premier ministre KP Sharma Oli et la levée de l’interdiction sur les réseaux sociaux n’a pas suffi à calmer la colère.
Le lendemain, de nombreuses attaques ont eu lieu dans tout le pays. Des bâtiments du pouvoir comme le Parlement ont été incendiés. Nous nous sommes retrouvés dans une situation d’anarchie totale. Entre le 8 et le 9 septembre, les autorités estiment que 73 personnes ont perdu la vie durant les violences.
En vertu du droit international relatif aux droits humains, le recours à la force meurtrière ne peut être justifié que lorsqu’il est strictement nécessaire pour protéger des vies.
Les recherches d’Amnesty International au Népal montrent que les forces de l’ordre utilisent régulièrement une force illégale contre les manifestants, entraînant des blessures et, dans certains cas, des décès.
L’impunité pour ces cas de recours excessif à la force est généralisée dans la région, les responsables étant rarement tenus pour responsables des violations des droits humains qu’ils commettent. Il est essentiel que ces abus fassent l’objet de mesures de responsabilisation.
Comment est née cette mobilisation et quel rôle a joué la "Gen Z” ?
Cette mobilisation a été largement portée par la “Gen Z”. Chez les jeunes, la frustration est présente depuis des années dans le pays. Mais elle a atteint son point culminant avec l’interdiction de 26 réseaux sociaux par le gouvernement.
Cette décision visait justement à étouffer une contestation naissante sur les réseaux sociaux. Elle a été perçue par les jeunes comme une atteinte directe à leur liberté d’expression. Elle a poussé la jeunesse à descendre massivement dans les rues, non seulement pour demander la levée de l’interdiction mais aussi pour dénoncer plus largement la corruption endémique dans le pays.
Comment expliquez-vous la colère de cette “Gen Z” ?
Les jeunes représentent une part importante de la population népalaise. Or, l’avenir est très incertain pour eux. Le taux de chômage est extrêmement élevé et les diplômes ne leur garantissent pas la possibilité de trouver du travail ou de connaître une ascension sociale.
La jeunesse est désabusée face au manque d’opportunités économiques, à l’aggravation des inégalités et à l’enrichissement des élites dans le pays. Cette mobilisation est une véritable révolution contre l’inefficacité du système, contre ses promesses non tenues et contre ses institutions. Il y a une réelle volonté de rupture avec le système en place.
Quelle place occupent les réseaux sociaux dans ce mouvement ?
La contestation est d'abord apparue sur les réseaux sociaux. En amont des manifestations, le hashtag #nepobabies a beaucoup circulé en référence aux enfants des classes favorisées. Il visait à dénoncer leurs trains de vie luxueux affichés sur les réseaux sociaux.
À l'origine, il s’agissait surtout d’un mouvement informel et spontané sur Facebook, Instagram et TikTok. Mais progressivement, la “Gen Z” s’est organisée. La plateforme de discussion en ligne Discord a joué un rôle central. Elle a participé à former l’opinion publique et à offrir aux jeunes un espace de discussion pour débattre et s’accorder sur différents sujets de politiques publiques.
C'est sur cette plateforme que la “Gen Z” a nommé leurs représentants, via un vote en ligne. Ces représentants ont participé aux dialogues avec l’armée et le président qui ont abouti à la nomination d’un nouveau Premier ministre par intérim.
La jeunesse à l’origine des manifestations a par ailleurs veillé à prendre ses distances avec les violences commises durant les premiers jours des mobilisations. Elle a notamment affirmé que le mouvement avait été « détourné par des infiltrés opportunistes ».
Quelle est la situation actuelle à la suite de la démission du Premier ministre ?
Plusieurs groupes tentent de tirer profit de la crise et de la vacance temporaire du pouvoir pour faire avancer leurs propres agendas. Certains réclament notamment la fin du républicanisme, du fédéralisme et du sécularisme. D’autres ont appelé à une révision de la Constitution.
Il ne faut pas non plus négliger la dimension géopolitique dans cette crise. Le Népal est une zone d’influence stratégique notamment pour l’Inde, la Chine et les États-Unis, ce qui ajoute une couche de complexité à la situation.
Les négociations ont finalement abouti à la nomination de l’ancienne Juge en Chef de la Cour suprême Sushila Karki, comme Premier ministre par intérim. En parallèle, la Chambre des représentants a été dissoute et le gouvernement est désormais tenu d’organiser des élections d’ici le 5 mars 2026.
Le pays est à un tournant. Si les revendications des jeunes ne sont pas prises en compte et institutionnalisées, le Népal risque de sombrer dans un cycle de violences et de graves violations des droits humains.
Quel rôle joue la section népalaise d’Amnesty International dans ce contexte et quelles sont vos demandes ?
Nous sommes une petite équipe. Étant donné la violence de la mobilisation durant les deux premiers jours, nous n'avons pas pu nous rendre sur le terrain. Mais nous rassemblons actuellement le maximum d’informations, nous authentifions les preuves collectées et nous enquêtons sur les possibles violations des droits humains durant les mobilisations.
Nous condamnons fermement les violences commises par la police et celles de certains manifestants. Les autorités doivent sanctionner et poursuivre tous les responsables de ces violences. Mais elles doivent veiller à bien à distinguer les auteurs de violence et les manifestants pacifiques.
Pour construire l’avenir, la première étape est de mettre fin à l’impunité du passé, qu’il s’agisse des violations des droits humains ou de la corruption. Il est indispensable que les autorités écoutent réellement les demandes des jeunes et qu’elles respectent la loi dans le cadre des discussions et des processus constitutionnels à venir.
loading ...