Les autorités américaines utilisent des outils de surveillance automatisés et dopés à l’intelligence artificielle qui ciblent délibérément les migrant·es et les étudiant·es internationaux, en particulier ceux qui s’expriment en faveur des droits de la population palestinienne. Cet arsenal technologique déployé par le gouvernement américain bafoue de nombreux droits fondamentaux.
Depuis 2024, les autorités américaines ont renforcé un programme baptisé « Catch and Revoke » (« Attraper et révoquer »). Celui-ci vise à identifier et expulser rapidement les citoyen.es non américains qui violeraient des lois américaines, quel que soit la gravité de l’infraction, en combinant :
la surveillance des réseaux sociaux,
le suivi automatisé des statuts de visa,
l’évaluation automatisée des comportements jugés “à risque”.
Deux entreprises jouent un rôle central dans ce dispositif qui contribue à identifier les personnes, ainsi que leurs comportements et leurs déplacements, pour déterminer si leur visa doit être révoqué :
Babel Street, avec son outil Babel X, est capable d’analyser à grande échelle les publications sur les réseaux sociaux et d’attribuer une « intention », ou un « sentiment » aux internautes. Grâce à l'IA, Babel X peut par exemple parcourir très rapidement les plateformes de réseaux sociaux à la recherche de contenus liés au « terrorisme ».
Palantir et son nouveau système Immigration OS automatise le suivi, l’arrestation et l’expulsion des personnes ciblées.
Ces technologies permettent de tracer et de cibler rapidement les étudiants étrangers et d'autres groupes de migrants marginalisés à une échelle et une ampleur sans précédent. Cela se traduit par des détentions illégales et des expulsions massives, créant un climat de peur et exacerbant ’l’effet paralysant’ sur les migrants et les étudiants internationaux dans les écoles et sur les campus universitaires. - Erika Guevara-Rosas, directrice générale de la recherche et du plaidoyer à Amnesty International

Comment fonctionnent ces outils ?
🔎 Babel X (Babel Street)
Collecte de données à partir d’un nom, d’une adresse e-mail ou d’un numéro de téléphone.
Accès aux publications sur les réseaux sociaux, historiques professionnels et données de géolocalisation.
Analyse automatisée des sentiments pour qualifier un contenu comme « extrémiste », « radicalisé » ou « lié au terrorisme ».
Exemple : un post en soutien aux droits des Palestiniens peut être interprété comme « antisémite » par l’algorithme, entraînant la révocation d’un visa.
🔎 Immigration OS (Palantir)
Prolonge un ancien système de gestion de dossiers de l’ICE (service fédéral d’immigration).
Centralise les données personnelles de plusieurs agences et forces de l’ordre.
Automatise l’ensemble du cycle : identification, suivi, détention, expulsion.
En avril 2025, Palantir a signé un contrat de 30 millions de dollars pour renforcer ce système.
⚠️ Les technologies probabilistes employées pour tirer des déductions sur les intentions des individus présentent d'importantes marges d'erreur et s’avèrent souvent discriminatoires et biaisées ; elles peuvent conduire à présenter à tort des contenus propalestiniens comme antisémites.
Des technologies contraires aux droits humains
Nous constatons que l’usage de ces technologies sape de nombreux droits fondamentaux :
le droit à la vie privée
la liberté d’expression et l’accès à l’information
le droit de circuler librement
les droits à l’égalité et à la non-discrimination
le droit à manifester
L’initiative coercitive “Attraper et révoquer” risque d’amplifier les annulations de visas, les détentions, les expulsions et les violations arbitraires et illégales de nombreux droits humains.
- Erika Guevara-Rosas, directrice générale de la recherche et du plaidoyer à Amnesty International

Des cas concrets de répression
🔸Mahmoud Khalil, ancien étudiant de Columbia, arrêté illégalement le 8 mars 2025 pour avoir été porte-parole des manifestations étudiantes pro-palestiniennes. Peu après, neuf étudiant·e·s étrangers ayant participé à des manifestations ou dénoncé le génocide israélien à Gaza ont vu leur visa ou leur statut de résident révoqué.
🔸Rumeysa Ozturk, doctorante turque à l’Université Tufts, arrêtée sans motif valable après avoir co-écrit un article critiquant la gestion des mobilisations étudiantes.
Dans les deux cas, les autorités ont invoqué des soupçons « d’activités liées au Hamas », sans fournir de preuves.

Non à la complicité des entreprises technologiques
Palantir et Babel ont une responsabilité. Il est primordial que les entreprises ne contribuent pas ou ne soient pas directement liées à des atteintes aux droits humains.
Nous estimons que Palantir et Babel Street auraient dû refuser de collaborer à ce programme, en raison des risques prévisibles pour les droits humains.
L'utilisation de cette technologie risque d’accroître la capacité du gouvernement de Donald Trump à prendre des décisions arbitraires s’agissant d’expulser des personnes marginalisées sur un coup de tête et en masse, tout en offrant un accès limité, voire inexistant, à une procédure régulière. - Erika Guevara-Rosas, directrice générale de la recherche et du plaidoyer à Amnesty International
Pour ces raisons, nous appelons :
le Congrès américain à renforcer ses mécanismes de surveillance et de réglementation afin de garantir le respect des droits humains ;
les entreprises technologiques à assumer leurs responsabilités en cessant toute activité en lien avec des politiques d’expulsions massives.
Nos équipes ont analysé de nombreux documents :
des archives publiques du Département américain de la sécurité intérieure (DHS),
des documents d’évaluation des achats et politiques de confidentialité obtenus précédemment par d’autres organisations,
les contrats publics passés avec les entreprises Palantir et Babel Street,
les réponses officielles fournies dans le cadre de la loi américaine sur la liberté d’information (Freedom of Information Act – FOIA).
Nos chercheur·es ont également étudié les projets d’intelligence artificielle actuellement déployés par les agences fédérales (ICE, CBP, DHS), recensant au moins 80 projets actifs d’IA.
Cette approche méthodique nous a permis de documenter de manière indépendante l’utilisation de technologies de surveillance et d’en révéler les implications sur les droits des migrant·e·s, des demandeur·euses d’asile et des étudiant·e·s internationaux.
⚠️ Avant la publication de notre enquête, nous avons contacté Palantir Technologies et Babel Street pour obtenir leurs commentaires sur ses conclusions. Babel Street n'a pas répondu. Palantir Technologies a répondu le 24 juillet et a démenti que son produit soit utilisé pour faciliter l'initiative du Département d'État américain « Attraper et révoquer ».
Depuis son retour à la Maison-Blanche, en janvier 2025, Donald Trump s’en prend ouvertement aux universités et aux campus qui se sont mobilisés contre l’offensive israélienne à Gaza, assimilant ces mouvements de soutien à des actes antisémites. Plusieurs établissements, dont la prestigieuse université Harvard, ont ainsi vu leurs subventions de recherches tout simplement supprimées ou ont reçu l’interdiction de recevoir des étudiants étrangers.
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