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Michel Forst © Lola Ledoux

Michel Forst © Lola Ledoux

Liberté d'expression

Michel Forst l’obstiné

L’un des parrains du sommet des défenseurs de 1998 sillonne le monde pour les protéger.

Bordelais et protestant, d’origine anglaise par sa mère et allemande par son père, Michel Forst a pourtant tout d’un aventurier breton. Silhouette athlétique, carrure de marin, mâchoire de pêcheur, regard d’amiral : à 67 ans, l’homme est certes un ami des bateaux.

Au-delà de la mer et de ses horizons infinis, il y la terre et ses habitants. La beauté de notre planète mais aussi ses plaies. Guerre, injustice, arbitraire, exploitation, mépris : il a fait de la défense de ceux qui les combattent son combat. Michel Forst plaide sans relâche en faveur des défenseurs. Une cause noble, mais un job à risques.

Michel Forst a débuté son parcours militant dans les années 1970 aux Amis de la Terre, la première organisation sur l’écologie politique en France. Se battre pour les femmes et les hommes qui s’engagent est la poursuite de ses choix de jeunesse.

Depuis vingt ans, des centaines de paysannes et de paysans ont été assassinés en Indonésie, au Brésil, aux Philippines, en Colombie et dans bien d’autres pays, pour avoir voulu protéger leurs terres.

Mais beaucoup d’autres ont eu la vie sauve grâce à ce bouclier protecteur que représente la Déclaration de 1998 sur les défenseurs, grâce aussi aux missions sur le terrain et aux interventions du Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme.

Michel Forst exerce ce mandat depuis mars 2014, et jusqu’en 2020.

Croyez-moi, il y a vingt ans, au moment du sommet de Paris, le concept de défenseur n’était pas connu du tout. On ne ­s’appelait pas défenseur. On était militant d’ONG, par exemple pour les familles de disparus, en Algérie, en Colombie. Maintenant le concept est bien établi, les militants se définissent comme des défenseurs.

Michel Forst

La campagne de la Russie

Adoptée en décembre 1998, à l’occasion du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), la Déclaration sur les défenseurs affirme dans son article premier que «  chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international ».

La mission du Rapporteur spécial est à la fois simple sur le papier et extraordinairement complexe dans les faits. « Protéger et continuer à faire grandir le mouvement des défenseurs, leur accorder s’il le faut une protection internationale », résume Michel Forst. Son mandat vient de la communauté des nations. Que Poutine et la Russie, dont la morgue à l’égard des ONG est connue, soient à la tête de la croisade contre l’existence même du statut de défenseur est pour lui un signe supplémentaire de sa pertinence.

« La Russie a été suivie par 14 pays, dont le Venezuela, Cuba, le Nicaragua, le Burundi, pour essayer de défaire cet instrument qui a été adopté voilà vingt ans et permet de qualifier de défenseurs des personnes qui par le passé n’avaient pas de personnalité juridique permettant de les défendre ».

Si le rapporteur exerce une fonction diplomatique ultra politique, qui le conduit dans les salons des ambassades et les bureaux des ministères, Michel Forst n’est pas un apparatchik des droits humains.

Chaque année, il écrit 450 lettres à différents gouvernements, qui reçoivent toutes une réponse, officielle et publique. « Cela permet de connaître l’argumentaire de part et d’autre », précise le rapporteur. Il effectue deux à trois missions officielles par an, d’une quinzaine de jours, et une dizaine de missions dites académiques.

En vingt ans, on a changé d’échelle mais pas de combats

Ces missions de soutien et d’enquête sur les défenseur.e.s ne sont pas simples. « Je demande à être invité, via l’ambassade du pays à Genève. La plupart du temps je ne le suis pas. Alors, je m’invite moi-même. Je propose le plus souvent à une université, à une ONG, une ambassade, un centre culturel, de m’inviter. Et quand je suis dans le pays, je demande toujours un entretien officiel avec le gouvernement ».

Si les Nations unies lui fournissent l’assistance technique, les voitures, les gardes du corps, le Rapporteur spécial dispose d’un statut spécifique.

Il est en effet bénévole et, outre un budget de base, dispose de ressources supplémentaires qu’il a lui-même négociées, de l’Union européenne et de la Norvège notamment. Cela lui permet de salarier une collaboratrice, de programmer plus de missions. Mais Michel Forst vit de sa fonction à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et de sa retraite.

Ruptures et convictions

L’homme est tout sauf un carriériste. Il n’aime pas beaucoup parler de lui mais on comprend vite que c’est un homme de choix, et que tout choix implique des ruptures, même si Michel Forst ne cherche pas à établir une cohérence dans son parcours :

C’est un peu facile quand on a mon âge de reconstituer les choses, c’est aussi le fil de la vie qui vous emmène.

Après des études d’allemand et de théologie « par appétit personnel et par curiosité », il est prof au collège de l’île d’Oléron. « C’était un peu le paradis, j’ai eu une classe avec une seule élève, la fille du gendarme. La pauvre devait tout apprendre par cœur, je l’interrogeais à chaque fois, elle ne pouvait pas y couper ».

Au bout de cinq ans, il renonce à l’enseignement et travaille pour une association protestante d’aide aux personnes en grande difficulté. Quelques années plus tard, il feuillette L’Express chez le dentiste et découvre une annonce pour le poste de directeur d’Amnesty International en France. « Je me suis dit voilà un job qui me plairait beaucoup. J’étais l’un des fondateurs de l’ACAT. Je suis resté pendant dix ans à Amnesty, dix années intenses ! En 1998, on a fait le grand sommet des défenseurs, et l’année suivante je suis parti. Il y avait aussi eu des moments difficiles, il était temps de passer à autre chose ».

D’abord directeur de la Ligue contre le cancer, d’où il est viré du jour au lendemain après qu'il eut découvert des irrégularités comptables, il entre ensuite à l’Unesco où Pierre Sané, l’ancien Secrétaire général d’Amnesty, le fait venir pour être son directeur de cabinet. Après un petit tour de dix-huit mois par la Cimade, il devient Secrétaire général de la CNCDH pendant dix ans.

En 2008, « j’ai été approché par Louis Joinet, qui était à l’époque le Rapporteur spécial sur Haïti, pour le remplacer. J’ai fait cela pendant cinq ans et puis j’ai eu un conflit avec le Premier ministre d’Haïti, qui voulait abolir mon mandat ».

Ces conflits, professionnels et politiques, ces ruptures parfois violentes ont forgé sa conviction qu’il fallait d‘abord s’engager au plus près de ceux que la Déclaration de 1998, prolongeant la DUDH, protège. « Je me souviens, quand la Déclaration a été lue au Palais de Chaillot, de la clameur des défenseurs qui se disaient : enfin on a un instrument international qui servira à mieux nous protéger ».

Au fil de son mandat, les thématiques qu’il rencontre évoluent.

Le réchauffement climatique, l’accélération des crises migratoires, les inégalités sociales, les droits LGBTI, les guerres menées par les cartels de la drogue, les massacres d’indigènes et de peuples autochtones, autant de territoires pour le Rapporteur spécial. « Mon mandat est très spécifique, très précis, sur les défenseurs du droit. Toute personne qui se mobilise pour défendre des droits en fait partie.

Partout, les défenseurs des droits LGBTI font l’objet d’attaques violentes de la part d’acteurs multiples, églises, courants religieux, fondamentalismes, médias, politiques, bien-pensants, etc. Et même, et c’est plus grave encore, de la part de certains défenseurs.

En Afrique, où j’ai effectué plusieurs missions, quand j’ai voulu réunir l’ensemble des défenseurs, on m’a dit : ben non, n'écoutez pas les LGBTI, ils ne sont quand même pas comme nous, etc. ».

Obtenir davantage d’engagement des États

Pour faire tomber les tabous et consolider la protection des défenseurs, Michel Forst attend beaucoup de la rencontre de Paris. « Il reste des trous béants à partir desquels il faut construire. J’espère qu’on en sortira avec un document proclamatoire. Le 9 décembre à New York, des chefs d’État et de gouvernement rencontreront une délégation des défenseurs du sommet de Paris devant l'Assemblé générale de l'Onu. Elle sera invitée à s’exprimer sur la protection des défenseurs, et sur ce qu’elle attend ».

Pour Michel Forst, « il manque d’abord un engagement des États. C’est trop facile de se défausser sur d’autres. Les États ont la responsabilité de protéger les défenseurs. Il manque aussi des protections physiques dans des pays où ils sont pour l’heure assassinés. Des voitures blindées, des gardes du corps, des boutons de panique  »…Et son bilan plus personnel des dernières années, dans un contexte devenu plus tendu pour les défenseurs ? « Je suis plutôt un optimiste. Je vois des batailles gagnées partout, même s’il reste bien des combats à mener. Il y a certes une bataille féroce autour des idées, mais je ne crois pas qu’elle soit ­perdue ».

— Jean Stern pour La Chronique d'Amnesty International

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