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©Agoes Rudianto/Anadolu Agency/Getty Images

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Indonésie

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Indonésie en 2024.

La police a eu recours à une force excessive et injustifiée lors de manifestations. Des journalistes ont été pris pour cible. La liberté d’expression était toujours réprimée dans le cadre de lois problématiques. Des homicides illégaux et des actes de torture ont été commis cette année encore en Papouasie, où l’impunité régnait toujours. Des projets de développement ayant une incidence sur des populations autochtones étaient en cours sans que les personnes concernées aient donné préalablement leur consentement libre et éclairé. Des préoccupations ont été exprimées concernant la politique énergétique du gouvernement et son plan visant à réduire à zéro les émissions nettes. Des recherches ont montré que des logiciels espions intrusifs et des technologies de surveillance avaient été importés et utilisés par les pouvoirs publics.

CONTEXTE

Prabowo Subianto a été élu à la présidence en février. Il était accusé d’être responsable de violations des droits humains commises à la fin des années 1990, notamment de la disparition forcée de militant·e·s. De nombreux doutes ont été exprimés quant à l’indépendance du processus électoral, et des critiques ont en particulier été émises à l’égard du président sortant Joko Widodo, qui a fait campagne en faveur de son fils, Gibran Rakabuming Raka, alors que celui-ci ne satisfaisait pas aux conditions requises pour se présenter. La Cour constitutionnelle a confirmé dans un arrêt ultérieur la validité des critères existants.

LIBERTÉ DE RÉUNION

Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive et injustifiée contre des manifestant·e·s.

Le 20 mai, des membres d’un groupe paramilitaire local sont intervenus violemment contre le Forum des peuples pour l’eau et ont réclamé l’annulation de cet événement rassemblant des personnes et organisations du monde entier qui se battaient pour le droit humain qu’était l’accès à l’eau. Des images vidéo tournées sur place ont montré les assaillants détruire des banderoles et des panneaux installés pour la manifestation et s’en prendre physiquement à des participant·e·s. Ils accusaient le Forum des peuples pour l’eau de détourner l’attention du 10e Forum mondial de l’eau, qui se tenait au même moment à Nusa Dua (Bali). Non seulement les autorités n’ont rien fait pour empêcher cette attaque, mais, à la fin de l’année, elles n’en avaient toujours pas identifié les auteurs présumés.

Des milliers de personnes sont descendues dans la rue du 22 au 26 août dans plusieurs provinces du pays pour protester contre des initiatives à la Chambre des représentants visant à modifier la loi électorale pour faire échec à un arrêt de la Cour constitutionnelle. L’objectif de la modification envisagée était de durcir les conditions de présentation de candidat·e·s aux élections locales. Elle aurait d’autre part permis à l’un des fils du président sortant, qui n’avait pas l’âge requis pour faire acte de candidature, de se présenter à un mandat régional. Face à la levée de boucliers, le Parlement a retiré la proposition de loi.

Les forces de sécurité sont intervenues contre ces manifestations, baptisées « #AlerteD’Urgence » (#PeringatanDarurat), en faisant usage d’une force excessive et injustifiée et en procédant à des arrestations arbitraires. Au moins 344 personnes ont été arrêtées, 152 ont été blessées et 17 ont subi les effets de gaz lacrymogènes. Un homme au moins a fait l’objet d’une disparition forcée, pendant une courte période, et 65 personnes ont subi des violations de leurs droits fondamentaux (arrestation arbitraire, détention au secret). La plupart des personnes arrêtées ont été remises en liberté. Quatorze hommes ont été inculpés de manifestation de haine et de violences contre des biens. Sur une vidéo dont les éléments ont été authentifiés par Amnesty International, on pouvait voir des policiers poursuivre des manifestant·e·s non armés à Bandung (province de Java-Ouest), les frapper à coups de matraque et les piétiner alors qu’ils étaient à terre. Le 26 août, une quinzaine d’étudiant·e·s de l’université ont été hospitalisés à Semarang (province de Java-Centre) après que la police a utilisé du gaz lacrymogène pour disperser des manifestant·e·s. Des enfants ont par ailleurs été exposés à des gaz lacrymogènes dans des zones résidentielles.

DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS

Au moins 123 cas d’agression physique, d’attaque numérique, de menace ou d’autres types de représailles contre des défenseur·e·s des droits humains ont été signalés cette année, visant 288 personnes au total. Insuffisamment protégés par la loi, les militant·e·s étaient exposés aux menaces et aux actes d’intimidation. Très peu d’auteurs présumés de ces actes étaient traduits en justice, et un petit nombre seulement ont été condamnés par les tribunaux.

Le 17 juillet, Yan Christian Warinussy, militant des droits humains et avocat de premier plan en Papouasie, a été blessé par balle par une personne non identifiée à Manokwari (province de Papouasie occidentale). L’attaque s’est produite alors qu’il venait d’assister à un procès organisé au tribunal anticorruption de la ville dans une affaire de corruption impliquant des auditeurs publics locaux. À la connaissance d’Amnesty International, l’enquête n’avait pas progressé à la fin de l’année.

LIBERTÉ D'EXPRESSION

La deuxième loi portant modification de la Loi relative aux informations et transactions électroniques, qui comprenait un certain nombre de nouvelles dispositions, jugées insuffisantes par la société civile, est entrée en vigueur en janvier. Ce nouveau texte prévoyait toujours de sanctionner pénalement la diffamation, disposition fréquemment utilisée pour réprimer les activités de défenseur·e·s des droits humains et de figures de l’opposition depuis l’adoption initiale de la loi en 2016, ce qui suscitait bien des préoccupations.

Le 8 janvier, le tribunal de district de Djakarta-Est a acquitté Haris Hazar et Fatia Maulidiyanti des charges de diffamation qui pesaient contre eux. Le militant et la militante des droits humains avaient été inculpés de « propagation de fausses informations » au titre de la Loi relative aux informations et transactions électroniques pour une vidéo YouTube dans laquelle ils reprenaient des allégations selon lesquelles un ministre et des militaires avaient des liens avec l’industrie minière dans la province de Papouasie.

Dans un arrêt rendu en mars, la Cour constitutionnelle a conclu à la non-conformité de trois articles (du Code pénal et d’un autre texte) concernant la diffamation.

Journalistes

Des journalistes ont cette année encore été soumis à des violences et des manœuvres d’intimidation. Au moins 11 journalistes auraient été pris pour cible par les forces de l’ordre pendant les manifestations du mouvement « #AlerteD’Urgence » dans la capitale, Djakarta. Des menaces de mort auraient été proférées et des actes d’intimidation commis, de même que des violences psychologiques et physiques qui auraient entraîné de graves blessures. Trois membres de l’Institut de la presse étudiante de Semarang (province de Java-Centre) ont perdu connaissance et souffert de problèmes respiratoires après avoir été exposés aux gaz lacrymogènes utilisés par la police pour disperser les protestataires.

Des membres des forces de sécurité étaient soupçonnés d’avoir roué de coups et menacé de mort un journaliste qui travaillait pour le magazine Tempo et couvrait une manifestation organisée devant le Complexe parlementaire le 22 août. Trois policiers auraient, semble-t-il, frappé et intimidé le journaliste dans un poste de police situé à proximité et l’auraient forcé à supprimer la vidéo qu’il avait enregistrée. Tempo a porté plainte auprès de la police. Selon les informations disponibles, l’affaire était au point mort à la fin de l’année.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS

Pas moins de 40 cas de torture et d’autres mauvais traitements, perpétrés sur 59 personnes, ont été recensés au cours de l’année par Amnesty International. Un policier aurait torturé quatre habitants du village d’Amasin (province des Moluques du Nord) en janvier. Ces quatre hommes ont déclaré qu’ils se rendaient dans le village de Labuha lorsqu’un policier les avait forcés à s’arrêter, les avait frappés et les avait piétinés, puis avait ordonné à des collègues de se joindre à lui. Les autorités policières ont nié toute responsabilité et refusé de révéler le nom de l’auteur présumé des faits.

Une vidéo de 16 secondes montrant un Papou placé dans un tonneau rempli d’eau en train de subir des actes de torture a circulé en mars. Selon une source d’information crédible, les faits s’étaient produits le mois précédent à Puncak Regency (province de Papouasie centrale) et concernaient trois hommes du peuple autochtone papou au total. Cette source a déclaré que les actes avaient été commis par des membres du bataillon Yonif 300 Raider Braja Wijaya de Java-Ouest envoyé en Papouasie à des fins de contrôle des frontières. Treize militaires – qui avaient démenti immédiatement toute implication dans les faits – ont été désignés officiellement comme suspects par les autorités militaires de la province de Java-Ouest. Celles-ci ont affirmé que l’homme filmé faisait partie d’un groupe de séparatistes armés papous qui tentaient de s’échapper au moment d’une arrestation. L’homme a succombé un peu plus tard et ses deux compagnons ont été hospitalisés. À la fin de l’année, les auteurs présumés n’avaient pas encore été déférés devant les tribunaux.

HOMICIDES ILLÉGAUX

Les homicides illégaux de civil·e·s se sont poursuivis en toute impunité en Papouasie dans le cadre du conflit opposant l’armée indonésienne et des groupes séparatistes armés.

Dans ses observations finales sur le deuxième rapport périodique de l’Indonésie publiées en mai, le Comité des droits de l’homme [ONU] a fait part de ses préoccupations concernant les exécutions extrajudiciaires de personnes autochtones en Papouasie.

En août, des agents des services de police de Nabire, en Papouasie, ont arrêté Yeremias Magai et Ken Boga pour le meurtre présumé d’un agent de sécurité. Selon certaines informations, les deux hommes auraient été interrogés les yeux bandés et frappés à mains nues et à l’aide de lourds outils, dont un marteau. Yeremias Magai a succombé à ses blessures. Clamant leur innocence, Ken Boga et les proches du défunt ont déclaré que l’interrogatoire avait été conduit de cette manière afin de leur arracher des « aveux ». Les avocats des victimes et de leurs familles ont saisi la Commission nationale des droits humains.

Glen Malcolm Conning, pilote d’hélicoptère néo-zélandais, a été tué en août en Papouasie par les membres d’un groupe armé. Il venait de poser son appareil, à bord duquel se trouvaient des professionnel·le·s de la santé travaillant pour une entreprise privée. Amnesty International a réclamé la tenue d’une enquête complète. Un autre ressortissant néo-zélandais, Philip Mark Mehrtens, a été libéré en septembre après plus de 19 mois de captivité aux mains de l’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale (TPNPB), un groupe indépendantiste de Papouasie. Il avait été capturé après l’atterrissage du petit avion commercial qu’il pilotait.

DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

La mise en œuvre de projets stratégiques nationaux, c’est-à-dire des projets considérés comme ayant un impact exceptionnel sur la croissance économique en Indonésie, s’est poursuivie sans que les populations concernées soient préalablement consultées en bonne et due forme. Dans de nombreux cas, le consentement libre, préalable et éclairé des populations autochtones touchées n’a pas été recueilli.

Les habitant·e·s des villages de Sukaraja, Bukit Raya, Pemaluan et Bumi Harapan, dont la majorité appartenait au peuple autochtone balik, ont reçu en mars une notification de l’Autorité de Nusanrata leur intimant de procéder à la démolition de leurs logements dans un délai d’une semaine. L’administration indiquait que ces logements ne s’inscrivaient pas dans le schéma d’aménagement du territoire du projet de nouvelle capitale indonésienne et invitait les populations concernées à une consultation qui devait se tenir seulement 24 heures plus tard. Face aux objections des habitant·e·s, l’Autorité a annulé l’ordre de démolition, mais a néanmoins maintenu son injonction à déménager, en proposant une indemnisation insuffisante. À la fin de l’année, les habitant·e·s vivaient toujours sous la menace d’une expulsion imminente.

Les personnes touchées par la construction d’une « écoville » sur l’île de Rempang (archipel de Riau) faisaient face à des problèmes similaires. En septembre, un an après l’intervention violente des forces de sécurité dans des manifestations contre ce projet industriel global de 17 000 hectares, des individus en civil se sont livrés à des actes d’intimidation et d’agression contre des riverains qui montaient la garde sur une route du village de Sungai Bulu. Trois personnes ont été blessées après avoir reçu des projectiles (une planche en bois et un casque). Des affiches exprimant l’opposition au projet ont par ailleurs été endommagées.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

Le gouvernement a établi en septembre la version définitive de deux textes importants : le projet de règlement concernant la politique énergétique nationale et le projet de loi sur les énergies nouvelles et les énergies renouvelables. Ces projets étaient considérés comme essentiels pour l’élaboration de la politique énergétique du pays. Si le ministère de l’Énergie et des Ressources minières et la commission VII du Parlement sont parvenus à s’entendre sur le règlement relatif à la politique énergétique nationale, les discussions parlementaires sur le projet de loi sur les énergies nouvelles et les énergies renouvelables se poursuivaient à la fin de l’année.

Des organisations de la société civile ont exprimé des préoccupations concernant les deux textes et considéraient qu’ils ne permettraient pas de parvenir à l’objectif de zéro émission nette. Dans le projet de règlement, le gouvernement a revu à la baisse ses objectifs en matière d’énergies renouvelables, passant de 23 % à une fourchette de 17-19 % pour 2025, et de 26 % à une fourchette de 19-21 % pour 2030. Le projet de loi autorisait toujours l’exploitation de combustibles fossiles, à condition qu’elle s’accompagne d’une technologie de capture et de stockage du carbone. Par ailleurs, ni l’un ni l’autre texte ne prenait en considération les répercussions sociales des projets énergétiques, ce qui laissait craindre de nouveaux accaparements de terres et une persistance des injustices.

SURVEILLANCE CIBLÉE ILLÉGALE

Amnesty International a publié en mai un rapport faisant état de l’achat et de l’utilisation à grande échelle en Indonésie de logiciels espions et de technologies de surveillance très intrusives entre 2017 et 2023. De nombreux cas d’importation et de déploiement de logiciels espions par des entreprises et des organismes publics, y compris la police nationale et l’Agence nationale d’informatique et de chiffrement, ont été relevés. Ces technologies provenaient de Grèce, d’Israël, de Malaisie et de Singapour.

La Loi sur la protection des données personnelles adoptée en 2022 est entrée officiellement en vigueur le 17 octobre. Les autorités n’avaient toutefois pas complètement établi les décrets d’application, en particulier s’agissant de la création d’un organisme spécialisé dans la protection des données, comme le prévoyait la loi.

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