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©Ted Aljinbe/AFP/Getty Images
Philippines
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains aux Philippines en 2024.
Le dernier chef d’accusation forgé de toutes pièces qui pesait encore sur la défenseure des droits humains Leila de Lima a été abandonné. La multiplication des disparitions forcées de militant·e·s suscitait une inquiétude croissante. La pratique du « marquage rouge », consistant à étiqueter comme « rouges » des défenseur·e·s des droits humains, et en particulier de jeunes militant·e·s, a perduré, tandis que le gouvernement a encore eu recours à des mesures antiterroristes contre des travailleuses et travailleurs humanitaires. De nouveaux homicides ont été commis dans le cadre de la « guerre contre la drogue ». Des violations des droits humains, et notamment du droit à la santé, ont entaché le programme de désintoxication appliqué dans le pays.
RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE
Le « marquage rouge », pratique consistant à dénigrer publiquement des défenseur·e·s des droits humains et d’autres groupes et personnes en les présentant comme des membres et recruteurs clandestins de la Nouvelle Armée du peuple (NPA), d’obédience communiste, a perduré. La Cour suprême avait pourtant jugé dans un arrêt rendu en mai que cette pratique mettait en péril la vie, la liberté et la sécurité des personnes visées. Des expert·e·s des Nations unies, et notamment la rapporteuse spéciale sur la liberté d’expression, ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement de condamner et de réprimer ces agissements.
Les autorités, au premier rang desquelles le Groupe de travail national chargé de mettre fin au conflit armé communiste local, ont utilisé les réseaux sociaux, la mésinformation et une législation antiterroriste inadéquate pour instaurer un climat de peur parmi les jeunes défenseur·e·s des droits humains.
Cette année encore, le gouvernement a eu recours à des mesures antiterroristes contre des organisations qualifiées de « rouges », notamment des groupes humanitaires. En mai, le Conseil de lutte contre le blanchiment d’argent a gelé les comptes bancaires du Centre pour le développement de Leyte, lui reprochant d’avoir financé des organisations « terroristes », dont la NPA. Le même mois, 27 personnes travaillant dans le domaine du développement en lien avec un groupement d’organisations humanitaires appelé Community Empowerment Resource Network ont dû verser une caution de 200 000 pesos philippins (3 477 dollars des États-Unis) chacune. Elles avaient été inculpées de financement du terrorisme par le ministère de la Justice. Toujours en mai, plus de 30 militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains ont été inculpés au titre de la législation anti-terroriste, après avoir été accusés par l’armée d’avoir participé à un affrontement armé en 2023. Les charges retenues contre au moins quatre de ces personnes ont été abandonnées en septembre.
En mai également, un tribunal régional a déclaré coupable d’homicide un homme qui aurait avoué avoir tué en 2022 Percival Mabasa, alias « Percy Lapid », présentateur radio critique à l’égard du gouvernement. Le procès d’un autre suspect était en cours à la fin de l’année, mais le cerveau présumé de l’opération, Gerald Bantag, ancien chef de l’Administration des pénitenciers nationaux, était toujours en fuite.
Le 24 juin, un autre tribunal a abandonné le dernier chef d’accusation, à savoir conspiration aux fins du commerce de stupéfiants, qui pesait encore sur la défenseure des droits humains et ancienne sénatrice Leila de Lima. Ces accusations forgées de toutes pièces avaient été retenues contre elle à la suite d’une enquête qu’elle avait menée sur les violations commises entre 2016 et 2022 sous le régime de l’ancien président Rodrigo Duterte, dans le cadre de la « guerre contre la drogue ».
La Cour d’appel a annulé en juillet la décision de fermeture prise en 2018 par la Commission des opérations de bourse contre le site d’information en ligne Rappler. Maria Ressa, fondatrice de Rappler et lauréate du prix Nobel de la paix, et son ancien collègue étaient toujours visés par des poursuites pour diffamation en ligne, pour lesquelles ils encouraient une peine d’emprisonnement.
DISPARITIONS FORCÉES
Les disparitions forcées de militant·e·s se sont multipliées. En avril, le syndicaliste William Lariosa aurait été enlevé dans la province de Bukidnon. L’armée a assuré qu’il ne se trouvait pas entre ses mains. On était toujours sans nouvelles de cet homme à la fin de l’année.
En septembre, la Cour suprême a prononcé une ordonnance de protection temporaire dans l’affaire de la disparition des militants Gene Roz Jamil de Jesus et Dexter Capuyan. Cette ordonnance interdisait à un certain nombre de personnes, dont des policiers et des militaires, de s’approcher à moins d’un kilomètre des membres de la famille proche des deux militants, dont on restait sans nouvelles depuis leur enlèvement présumé en 2023. La requête déposée par leurs familles en vue d’obliger les organismes publics à déférer ces deux hommes devant la justice s’ils étaient détenus, ou d’autoriser l’accès aux informations les concernant, était toujours en cours d’examen devant la Cour d’appel à la fin de l’année.
La militante écologiste Rowena Dasig a disparu après avoir été libérée de détention dans la province de Quezon le 22 août ; elle a été retrouvée saine et sauve plus de deux mois plus tard. Toujours en août, James Jazmines et Felix Salaveria Jr, deux amis et militants, auraient été enlevés séparément par des personnes non identifiées dans la ville de Tabaco (province d’Albay). À la fin de l’année, on ignorait toujours ce qu’ils étaient devenus.
Le 28 septembre, la syndicaliste agricole Fhobie Matias aurait été emmenée de force par des soldats dans un camp militaire de la province de Laguna. Plusieurs semaines plus tard, l’armée philippine a affirmé qu’elle s’était rendue d’elle-même et qu’elle avait avoué être membre de la NPA.
IMPUNITÉ
De nouveaux homicides illégaux ont été commis dans le cadre de la « guerre contre la drogue ». D’après le suivi assuré par le groupe de recherche universitaire Dahas, au moins 871 personnes ont été tuées durant l’année au cours d’opérations policières de lutte contre les stupéfiants.
Des auditions se sont tenues à la Chambre des représentant·e·s et au Sénat afin d’enquêter sur les exécutions extrajudiciaires commises dans le cadre de la « guerre contre la drogue ». Royina Garma, une policière à la retraite, a affirmé que l’ancien président Rodrigo Duterte avait ordonné la mise en œuvre d’un système de récompenses en espèces pour les agent·e·s qui tuaient des personnes soupçonnées de consommer ou de vendre de la drogue, et que le sénateur Bong Go avait coordonné ce système. L’ancien chef de la police et sénateur Ronald Dela Rosa a quant à lui été accusé d’avoir affirmé à tort que la défenseure des droits humains Leila de Lima était impliquée dans le trafic illicite de stupéfiants. Bong Bo et Ronald Dela Rosa ont tous deux démenti les accusations les concernant. Rodrigo Duterte a admis en octobre devant le Sénat avoir utilisé un « escadron de la mort » pour tuer des personnes soupçonnées d’infractions lorsqu’il était maire de la ville de Davao. Auparavant, Royina Garma avait révélé que Rodrigo Duterte lui avait demandé de reproduire le « modèle de Davao » (référence directe aux escadrons de la mort et aux homicides illégaux) une fois qu’il était devenu président. En novembre, le ministère de la Justice a créé un groupe ad hoc chargé d’enquêter sur la « guerre contre la drogue » menée sous le gouvernement de Rodrigo Duterte, avec la possibilité d’inculper l’ancien président de violation du droit international humanitaire le cas échéant.
L’impunité restait la règle dans la plupart des cas d’homicides illégaux. Toutefois, des policiers ont été déclarés coupables dans au moins deux affaires. Le 27 février, un tribunal a déclaré un policier coupable de l’homicide de Jemboy Baltazar, un jeune homme de 17 ans tué en août 2023. Quatre autres agents de police ont également été reconnus coupables d’utilisation illégale d’armes à feu dans cette affaire et un sixième a été acquitté. Dans une autre affaire, un tribunal a déclaré quatre policiers coupables de l’homicide de Luis Bonifacio et de son fils Gabriel pendant une opération policière de lutte contre la drogue menée en 2016.
Un programme de trois ans sur les droits humains mené conjointement par les Nations unies et le gouvernement philippin s’est achevé en juillet. Des groupes de la société civile ont demandé qu’il fasse l’objet d’une évaluation objective, constatant qu’il n’avait pas permis d’améliorer l’obligation de rendre des comptes pour les exécutions extrajudiciaires liées à la drogue. À l’issue de ce programme, le président, Ferdinand Marcos Jr, a créé un « Comité spécial de coordination des droits humains », dont plusieurs groupes ont critiqué les faiblesses et l’inutilité.
La CPI a continué d’enquêter sur les exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement a confirmé en juillet que le procureur de la CPI avait demandé à s’entretenir avec plusieurs responsables philippins faisant selon lui « l’objet de soupçons ». Le gouvernement a cependant réaffirmé qu’il ne coopérerait pas à l’enquête de la Cour.
DROIT À LA SANTÉ
En juillet, un sommet sur les politiques en matière de stupéfiants a été organisé conjointement par les Nations unies et le gouvernement, avec pour objectif de modifier la législation philippine de lutte contre la drogue et de proposer des méthodes permettant d’axer les politiques sur la santé.
Des recherches menées par Amnesty International ont révélé que les programmes gouvernementaux de désintoxication et de réadaptation étaient entachés de violations des droits à la santé, à la liberté, au respect de la vie privée et au consentement éclairé, ainsi que du droit de ne pas être soumis à la torture ni à d’autres mauvais traitements. Elles ont également établi que des personnes accusées de consommer de la drogue étaient contraintes, sur décision judiciaire, de suivre un programme qui n’était pas scientifiquement fondé et qui s’apparentait à une détention arbitraire.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
La proposition de loi sur l’égalité en matière d’orientation sexuelle, d’identité et expression de genre et de caractéristiques sexuelles a été examinée en séance plénière par la Chambre des représentant·e·s en mai, près d’un an après son approbation en commission. Cependant, elle n’était toujours pas considérée comme un texte prioritaire par le gouvernement.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
En août, une commission de la Chambre des représentant·e·s a approuvé un texte proposant d’obliger les entreprises à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, conformément aux projets de décarbonation du gouvernement. À la fin de l’année, cette proposition n’avait pas été adoptée par les deux chambres du Congrès ni promulguée par le président, conditions nécessaires à son entrée en vigueur.

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Marinel Summok Ubaldo
