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Des proches se recueillent autour des cercueils de soldats yéménites tués par des frappes aériennes menées par l'Arabie saoudite sur une base militaire touchée par erreur, à al-Abr, à la frontière avec l'Arabie saoudite
Des proches se recueillent autour des cercueils de soldats yéménites tués par des frappes aériennes menées par l'Arabie saoudite sur une base militaire touchée par erreur, à al-Abr, à la frontière avec l'Arabie saoudite, july 11, 2015 © REUTERS/Stringer

Des proches se recueillent autour des cercueils de soldats yéménites tués par des frappes aériennes menées par l'Arabie saoudite sur une base militaire touchée par erreur, à al-Abr, à la frontière avec l'Arabie saoudite, july 11, 2015 © REUTERS/Stringer

Conflits armés et protection des civils

Yémen : trois entreprises d’armement françaises soupçonnées de complicité de crimes de guerre

Inédit. Trois associations portent plainte contre les entreprises d’armement françaises Thalès, Dassault Aviation et MBDA. Ces sociétés devront répondre de leur possible complicité dans les crimes de guerre commis au Yémen. Explications.

Aujourd'hui, jeudi 2 juin, Mwatana for Human Rights, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme (ECCHR) et Sherpa, avec le soutien de notre organisation, ont déposé une plainte pénale devant le tribunal judiciaire de Paris contre des entreprises d'armement françaises.

Les organisations demandent l'ouverture d'une instruction judiciaire sur les entreprises d'armement Dassault Aviation, Thalès Groupe et MBDA France pour leur possible complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis au Yémen. Crimes qui auraient pu être rendus possibles du fait d‘exportations d'armes réalisées par ces entreprises vers l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Les exportations d'armes alimentent le conflit et la souffrance des yéménites.

Anna Kiefer, chargée de contentieux et plaidoyer à Sherpa

Les ventes se poursuivent… Illégalement

8milliards d'eurosC'est le montant des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis

Malgré les preuves accablantes montrant que depuis 2015, la coalition a mené des frappes sans discrimination à l’encontre de la population civile au Yémen, durant la période de 2015 à 2020 le gouvernement français a perms que des entreprises françaises continuent de fournir à la Coalition du matériel de guerre, des munitions et des services de maintenance.

Notre travail de recherche indique que des avions de combat de production française ainsi que des missiles et des systèmes de guidage produits par Thales et MBDA France auraient été utilisés dans le cadre du conflit au Yémen. La plainte déposée soulève le rôle des entreprises françaises qui ont alimenté le conflit et se sont  rendues potentiellement complices de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité présumés commis par la Coalition.

Le matériel de guerre concerné

Dassault fournit des avions de combat aux Emirats arabes unis.

MBDA fournit des missiles à longue portée à l’Arabie saoudite.

Thalès fournit des nacelles de désignation de cibles utilisés par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.

L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis figurent parmi les principaux clients de l’industrie française d’armement. Au regard des normes internationales et notamment du Traité sur le commerce des armes (dont la France est signataire), qui interdit que les États autorisent des exportations d'armes lorsqu'il existe un risque manifeste qu'elles contribuent à des violations graves du droit international, ces exportations sont probablement illégales. En outre, il est impérieux aujourd'hui de déterminer si ces exportations peuvent engager la responsabilité pénale des autres acteurs susceptibles de contribuer à ces violations, y compris les entreprises de l'armement.

Le commerce des armes n’est pas une activité neutre : les entreprises sont responsables du respect des droits humains en lien avec leurs exportations et peuvent engager leur responsabilité pénale en tant que complices si elles persistent à exporter des armes tout en sachant qu’elles peuvent être utilisées pour commettre des crimes.

Cannelle Lavite, co-directrice du département entreprises et droits humains à ECCHR

L’absence actuelle de transparence en ce qui concerne l’octroi des licences d’exportation par les autorités explique la quasi-impossibilité de contrôler la légalité de ces licences et de mettre en cause la responsabilité de l’Etat. Les industriels de la défense se cachent derrière ces licences d’exportation. Or une licence ne dédouane en rien les industriels de leur responsabilité en ce qui concerne les répercussions de leurs activités sur les droits humains.

« Sept ans après le début de cette guerre, les innombrables victimes yéménites méritent des enquêtes crédibles sur tous les auteurs de crimes à leur encontre, y compris ceux qui sont potentiellement complices. Nous espérons que les tribunaux français pourront jouer un rôle de manière à combler l’actuel vide vertigineux en matière de responsabilité au Yémen », a déclaré Abdulrasheed Alfaqih, directeur de l'organisation yéménite Mwatana for Human Rights.

Lire aussi : Les cinq plus grands marchands d'armes dans le monde en 2021

Sept ans de conflit au Yémen

En mars 2015, une coalition militaire dirigée par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite (la Coalition) a lancé une campagne de raids aériens contre les forces Houthis/ Saleh au Yémen. Pendant ces sept dernières années, jusqu’au récent cessez-le-feu, la coalition a poursuivi sa campagne de frappes aériennes, dont les conséquences ont été particulièrement lourdes pour la population civile.

L'Organisation des Nations unies décrit le conflit et ses conséquences comme la « plus grande catastrophe humanitaire » de notre époque. Pour leur part, les organisations internationales, les ONG et de nombreux experts affirment depuis des années que les attaques menées par toutes les parties au conflit, et notamment les frappes aériennes de la Coalition, peuvent s'apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Tout au long du conflit, la coalition a mené d’innombrables attaques ciblant la population civile, ainsi que des logements, des marchés, des hôpitaux et des écoles.

Nos rapports, nos recherches, nos enquêtes

Nous avons soutenu l’élaboration de cette plainte en apportant une expertise juridique ainsi que des capacités de recherche, des informations approfondies et crédibles démontrant de quelle manière les armes livrées à la coalition pourraient avoir servi à de nombreuses reprises à commettre des violations graves du droit international humanitaire. Nous venons de clore une campagne de deux années appelant la France à plus de transparence ainsi qu’à la mise en place d’un contrôle parlementaire en matière de ventes d’armes.

Lire aussi : Omerta sur les ventes d’armes, une année de lutte pour y mettre fin

En décembre 2019, Mwatana, l'ECCHR, notre organisation et un groupe d'ONG ont soumis une communication à la Cour pénale internationale, détaillant 26 frappes aériennes distinctes de la coalition militaire susceptibles d’être qualifiées de crimes de guerre. Avec la présente plainte, les organisations réitèrent l'appel à la responsabilité pénale en ce qui concerne les exportations d’armes enfreignant la réglementation internationale et alimentant le conflit. Les juridictions nationales doivent jouer leur rôle en amenant les responsables à répondre de leurs actes.

Lire aussi : Crimes de guerre et entreprises d’armement, une enquête s’impose