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URGENCE ISRAËL-GAZA

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© Mohammed Hamoud/Anadolu/Getty Images

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Yémen : tout ce qu'il faut savoir sur les droits humains

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 156 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Yémen en 2022.

Cette année encore, des atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains ont été commises en toute impunité par l’ensemble des parties au conflit qui continuait de sévir au Yémen. Malgré un accord de cessez-le-feu, toutes les parties ont continué de mener des attaques illégales qui ont causé des morts et fait des blessé·e·s parmi la population civile. Toutes ont également entravé l’accès à l’aide humanitaire et détruit des biens de caractère civil.

Le gouvernement du Yémen reconnu par la communauté internationale et les autorités houthies de facto ont continué de harceler, de détenir arbitrairement et de poursuivre des journalistes et des militant·e·s en raison de leur exercice pacifique du droit à la liberté d’expression ou de leur appartenance politique. Tous les camps en présence se sont rendus coupables de violences et de discrimination liées au genre. Les autorités houthies de facto ont interdit aux femmes de voyager sans tuteur masculin, ce qui n’a fait que renforcer les obstacles empêchant les femmes yéménites de travailler et de distribuer ou recevoir de l’aide humanitaire.

Les personnes LGBTI étaient toujours la cible d’arrestations arbitraires, de torture, notamment de viols et d’autres formes de violence sexuelle, de menaces et de harcèlement perpétrés par l’ensemble des parties au conflit. Ces dernières ont toutes contribué à des dégradations de l’environnement.

CONTEXTE

Le 2 avril, les parties au conflit ont accepté, sur proposition des Nations unies, de conclure un cessez-le-feu de deux mois à l’échelle nationale, qui a ensuite été renouvelé tous les deux mois jusqu’au 2 octobre. Les parties ont accepté de suspendre les offensives militaires à l’intérieur du pays et à ses frontières, et de faciliter l’entrée des livraisons de carburant dans le port d’Hodeïda, ainsi que l’arrivée et le départ pour des destinations prédéterminées de vols commerciaux à l’aéroport international de Sanaa, la capitale. Toutefois, pendant et après la période de cessez-le-feu, les parties au conflit ont mené des attaques sporadiques contre des zones civiles et à des lignes de front dans les gouvernorats de Marib, d’Hodeïda, de Taizz et d’Al Dhale.

Le 7 avril, le président, Abd Rabbu Mansour Hadi, a quitté le pouvoir et a été remplacé par un Conseil présidentiel. Dirigé par l’ancien ministre de l’Intérieur Rashad al Alimi, cet organe était composé de huit membres, dont plusieurs personnalités militaires et politiques de premier plan opposées aux autorités houthies de facto.

L’accès des Yéménites à la nourriture était toujours fortement restreint, et cette situation était encore aggravée par la dépréciation du rial yéménite, par les taux d’inflation élevés et par la flambée des prix alimentaires dans le monde. D’après le Programme alimentaire mondial, l’insécurité alimentaire a atteint des niveaux extrêmement élevés dans 20 gouvernorats sur 22.

ATTAQUES ET HOMICIDES ILLÉGAUX

Avant avril, les forces houthies et la coalition emmenée par l’Arabie saoudite se sont livrées à des attaques aveugles, qui ont causé des morts et fait des blessé·e·s parmi la population civile et ont détruit ou endommagé des biens de caractère civil, notamment des établissements sanitaires et éducatifs et des infrastructures de télécommunications.

Le 20 janvier, la coalition dirigée par l’Arabie saoudite a mené des frappes aériennes contre la ville d’Hodeïda qui ont tué au moins trois enfants. Un bâtiment des services de télécommunication a également été détruit, ce qui a causé une coupure d’Internet de quatre jours dans tout le pays. Le lendemain, cette même coalition a lancé une munition à guidage de précision fabriquée aux États-Unis contre un centre de détention à Saada, dans le nord-ouest du Yémen ; cette attaque a causé la mort d’au moins 80 personnes et fait plus de 200 blessé·e·s parmi la population civile.

Le 4 mai, quatre obus de mortier ont été tirés par un drone sur le bâtiment administratif de la police du gouvernorat de Taizz et sur une rue adjacente à al Ardhi, un quartier situé dans le secteur de Sala, où se trouvaient un centre de cancérologie, une aire de jeux, la faculté des arts et deux terrains de football. Six personnes civiles ont été blessées dans cette attaque.

Le 23 juillet, un petit garçon de trois ans a été tué et 11 autres enfants ont été blessés par un obus dans le quartier résidentiel de Zaid al Moshki, dans le gouvernorat de Taizz. Les Houthis ont nié toute responsabilité dans cette attaque.

Le 21 octobre et le 9 novembre, les Houthis ont mené deux attaques de drones, d’abord contre le port pétrolier d’Al Dhabah, dans le gouvernorat de l’Hadramout, puis contre celui de Qana, dans le gouvernorat de Chabwa, avec pour objectif de perturber les exportations pétrolières.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les parties au conflit ont continué de harceler, de menacer, de détenir arbitrairement et de poursuivre en justice des personnes en raison de leur exercice pacifique du droit à la liberté d’expression.

Autorités houthies de facto

En janvier, les autorités houthies de facto ont mené des incursions dans au moins six stations de radio de Sanaa et les ont fermées. Le propriétaire de la station de radio Sawt al Yemen a fait appel de la fermeture de celle-ci devant le tribunal de Sanaa chargé du journalisme et de l’édition, et il a obtenu en juillet une décision judiciaire en faveur de sa réouverture. Pourtant, le 11 juillet, les forces de sécurité ont fait irruption dans la station. Elles l’ont à nouveau fermée et ont confisqué ses équipements de diffusion.

Les autorités houthies de facto ont maintenu en détention au moins huit journalistes ; quatre d’entre eux avaient été condamnés à mort en 2020 à l’issue d’un procès inique. À partir du mois de mai, la Cour d’appel de Sanaa a ajourné à plusieurs reprises l’audience en appel d’Akram Al Walidi, d’Abdelkhaleq Amran, de Hareth Hamid et de Tawfiq Al Mansouri, les quatre journalistes condamnés à mort. En juillet, Tawfiq Al Mansouri s’est vu refuser des soins médicaux d’urgence en dépit de son état de santé critique.

Le 22 février, le Tribunal pénal spécial siégeant à Sanaa, traditionnellement réservé aux infractions liées à la sécurité, a condamné à l’issue d’un procès inique le journaliste Nabil al Sidawi à huit ans d’emprisonnement sur la base de graves accusations – notamment d’espionnage – forgées de toutes pièces. Le 28 juin, le Tribunal pénal spécial siégeant à Hodeïda a condamné les journalistes Mohammed al Salahi et Mohammed al Juniad à trois ans et huit mois d’emprisonnement chacun, au terme de procédures entourées de secret, en l’absence de leur avocat et sur la base d’accusations d’espionnage controuvées.

Gouvernement du Yémen

Le gouvernement reconnu par la communauté internationale a harcelé, convoqué pour enquête ou détenu arbitrairement au moins sept journalistes et militants dans des zones dont il avait le contrôle, notamment dans les gouvernorats de Taizz et de l’Hadramout. Les autorités judiciaires ont engagé des poursuites contre au moins trois journalistes ayant publié des contenus critiquant des représentants de l’État et d’institutions publiques, notamment pour « outrage » à fonctionnaire, un chef d’accusation passible de deux ans d’emprisonnement, « sarcasmes » à l’encontre de responsables militaires, et « outrage à un symbole de l’État ».

Le 4 juillet, dans le gouvernorat de Taizz, les forces de sécurité ont arrêté arbitrairement un écrivain à cause d’une publication sur les réseaux sociaux dans laquelle il critiquait la corruption autour de la distribution d’aide humanitaire aux personnes déplacées dans le gouvernorat de Taizz. Les forces de sécurité l’ont maintenu en détention pendant huit heures dans les locaux des services de sécurité du district de Jabal Habashi et ne l’ont libéré qu’après l’avoir forcé à signer un document dans lequel il s’engageait à ne pas publier d’opinions sur les réseaux sociaux.

PRIVATION D’AIDE HUMANITAIRE

Les parties au conflit ont continué de restreindre les déplacements et l’acheminement de l’aide humanitaire, notamment avec des contraintes administratives, par exemple en refusant de délivrer des titres de circulation ou en les délivrant avec du retard, en annulant des opérations humanitaires ou encore en perturbant la conception de projets et la mise en œuvre d’activités humanitaires.

Les autorités houthies de facto ont continué de bloquer les principaux axes routiers menant à la ville de Taizz, entravant fortement l’acheminement de nourriture, de médicaments et d’autres produits de première nécessité vers et depuis le gouvernorat de Taizz.

Tout au long de l’année 2022, les attaques contre des travailleuses et travailleurs humanitaires et les actes de violence contre le personnel, les biens et les installations humanitaires commis par les parties au conflit se sont multipliés de manière alarmante. Selon le bureau des Nations unies au Yémen, pendant le premier semestre, un travailleur humanitaire a été tué, deux autres membres du personnel humanitaire ont été blessés, sept ont été enlevés et neuf ont été arrêtés. Pendant la même période, 27 cas de menaces et d’intimidation et 28 cas de vols de voiture avec violence ont été recensés, causant des suspensions temporaires des déplacements et de l’acheminement de l’aide humanitaire dans plusieurs gouvernorats.

DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS

Les parties au conflit n’ont pas rendu justice aux victimes de nombreuses atteintes au droit international humanitaire et relatif aux droits humains commises pendant le conflit en cours ni accordé de réparations aux civil·e·s pour les préjudices subis.

Le 2 juin, Mwatana for Human Rights, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme, ainsi que Sherpa ont déposé, avec le soutien d’Amnesty International, une plainte pénale devant le tribunal judiciaire de Paris contre les entreprises d’armement françaises Dassault Aviation, Thalès et MBDA France. Les organisations ont demandé l’ouverture d’une enquête pénale visant à déterminer si ces entreprises s’étaient rendues complices de présumés crimes de guerre et crimes contre l’humanité au Yémen en exportant des armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Dans sa résolution sur le Yémen adoptée le 7 octobre, le Conseil des droits de l’homme [ONU] n’a, une fois de plus, pas créé de mécanisme crédible, indépendant et impartial de suivi et d’obligation de rendre des comptes.

DROITS DES FEMMES ET DES FILLES

Les autorités houthies de facto ont continué d’imposer aux femmes la règle du mahram (tuteur) obligatoire, qui leur interdisait de voyager sans tuteur masculin ou sans la preuve écrite de son autorisation, que ce soit entre les gouvernorats sous contrôle houthi ou vers d’autres secteurs du Yémen.

À partir d’avril, des restrictions de plus en plus lourdes ont été imposées par les Houthis aux femmes yéménites, limitant leur capacité de travailler, en particulier pour celles qui devaient se déplacer dans le cadre de leur profession. Cela a eu des conséquences directes sur l’accès des femmes et des filles yéménites aux soins de santé et à leurs droits à la santé reproductive. En effet, les travailleuses humanitaires yéménites avaient de plus en plus de difficultés à mener à bien leurs missions de terrain dans des zones sous contrôle houthi et ont dû annuler des visites sur le terrain et des livraisons d’aide humanitaire.

En mars, le ministère de l’Intérieur du gouvernement du Yémen a émis une circulaire visant à faciliter l’accès des femmes yéménites à un passeport conformément à la législation du pays. Cette décision faisait suite à la campagne Mon passeport sans tuteur, menée par des femmes yéménites contre la pratique traditionnelle qui privait les femmes du droit d’obtenir un passeport sans l’autorisation de leur mahram.

Cette année encore, les autorités houthies et gouvernementales ont maintenu arbitrairement en détention des femmes qui avaient fini de purger leur peine, quand elles n’étaient apparemment pas accompagnées d’un tuteur masculin pour rentrer chez elles à leur sortie de prison.

Les autorités houthies de facto ont maintenu en détention l’actrice et mannequin Intisar al Hammadi, qui avait été condamnée en 2021 à cinq ans d’emprisonnement pour avoir commis « un acte indécent ».

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les forces de sécurité du Conseil de transition du Sud (CTS), les Houthis et le gouvernement reconnu par la communauté internationale ont continué de s’en prendre aux personnes qui ne se conformaient pas aux normes en matière d’orientation sexuelle, d’identité et d’expression de genre ou de caractéristiques sexuelles, en les soumettant à des arrestations arbitraires, à des actes de torture, notamment des viols et d’autres formes de violence sexuelle, à des menaces et à des manœuvres de harcèlement.

Le CTS et les Houthis ont arrêté au moins cinq personnes et les ont placées en détention en raison de leur apparence « féminine » ou « masculine » non conforme aux normes de genre, de leur comportement en public ou sur les réseaux sociaux, ou encore de leur militantisme en faveur des droits des LGBTI. Des agents en civil des forces de la Ceinture de sécurité ont arrêté une personne du troisième genre dans la rue, l’ont emmenée dans un bâtiment officiel et l’ont interrogée, l’accusant de sodomie et d’être un agent ennemi. Cette personne a ensuite été transférée dans d’autres locaux officiels, où elle a été frappée et violée par un membre des forces de la Ceinture de sécurité.

Les forces de sécurité houthies ont arrêté un homme queer dans la rue au motif qu’il était « sexuellement déviant ». Elles l’ont maintenu en détention pendant plusieurs heures dans un véhicule militaire et ne l’ont libéré qu’à la condition qu’il accepte de les aider à surveiller les personnes ne se conformant pas aux normes en matière d’orientation sexuelle, d’identité et d’expression de genre ou de caractéristiques sexuelles. Elles lui ont ordonné de tendre des guets-apens à des hommes en leur proposant des relations sexuelles en vue de les dénoncer aux autorités houthies. Une fois libéré, il a refusé de le faire. Les forces de sécurité l’ont alors contacté, ainsi que ses connaissances, et elles l’ont menacé et lui ont dit qu’il était recherché.

DÉGRADATIONS DE L’ENVIRONNEMENT

Cette année encore, les parties au conflit n’ont pas pris de mesures pour protéger l’environnement. En raison de graves pénuries de carburant, les Yéménites avaient de plus en plus recours au bois de chauffage. Ce mécanisme d’adaptation néfaste pour l’environnement a contribué à la déforestation et à la perte de biodiversité.

Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, en ce qui concerne la qualité de l’air ambiant, les seuils de concentration de polluants atmosphériques néfastes pour la santé fixés par l’OMS étaient dépassés.

Dans le gouvernorat de Chabwa, la pollution du district d’Al Rawda s’est poursuivie en raison de la mauvaise gestion d’une infrastructure pétrolière. En avril, d’après Holm Akhdar, une organisation locale de défense de l’environnement, un oléoduc en mauvais état a contaminé de vastes étendues de terres agricoles et des nappes phréatiques dans les secteurs de Wadi Ghourayr et Ghail al Saidi.

En juillet, du pétrole stocké dans un navire délabré s’est déversé dans le port d’Aden, dans le sud du Yémen, ce qui n’a fait qu’aggraver la pollution côtière et marine dans le secteur.

En septembre, une campagne de financement participatif lancée par les Nations unies a permis de recueillir les

75 millions de dollars des États-Unis nécessaires pour mettre en œuvre la première phase de l’intervention d’urgence sur le Safer, un pétrolier délabré ancré au large du port d’Hodeïda, en mer Rouge. Le risque de voir le pétrolier répandre sa cargaison de 1,14 million de barils de pétrole était de plus en plus élevé. Une telle catastrophe environnementale et humanitaire viendrait exacerber la crise humanitaire déjà très grave au Yémen.

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