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© Mohammed Hamoud/Anadolu/Getty Images
Yémen
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Yémen en 2024.
Toutes les parties au conflit, qui contrôlaient différentes parties du Yémen, ont continué à détenir arbitrairement, à soumettre à des disparitions forcées et à poursuivre injustement en justice des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des employé·e·s d’organisations humanitaires ou de défense des droits humains, et des personnes critiques à l’égard du bilan et des politiques des autorités en matière de droits humains. Des tribunaux de tout le pays ont prononcé des condamnations à mort, parfois à l’issue de procès manifestement inéquitables. Toutes les parties au conflit ont entravé arbitrairement la distribution de l’aide humanitaire. Les autorités houthies de facto ont continué d’interdire aux femmes de circuler sans un membre masculin de leur famille, portant ainsi atteinte à leur droit de travailler, entre autres droits fondamentaux. Aucune des parties au conflit n’a protégé le droit des femmes au respect de la vie privée en ligne ni accordé réparation aux victimes de violences liées au genre facilitées par la technologie. Cette année encore, des personnes LGBTI ont été poursuivies en justice. Toutes les parties au conflit ont contribué à des dégradations de l’environnement.
CONTEXTE
Le maintien de fait du cessez-le-feu national négocié par les Nations unies a contribué à un recul supplémentaire des combats et des attaques transfrontalières. Cependant, toutes les parties au conflit ont continué d’attaquer sporadiquement des zones civiles et les lignes de front, notamment dans les gouvernorats de Taïzz, de Saada et d’Al Bayda.
Les forces armées houthies ont attaqué au moins 57 navires commerciaux ou militaires en mer Rouge, dans le golfe d’Aden et dans l’océan Indien, prétextant qu’ils avaient des liens avec Israël, les États-Unis ou le Royaume-Uni. Le 6 mars, les forces armées houthies ont attaqué le navire marchand True Confidence dans le golfe d’Aden, tuant trois membres d’équipage et en blessant au moins quatre autres. Elles détenaient toujours arbitrairement les 25 membres d’équipage du Galaxy Leader, qu’elles avaient capturés le 19 novembre 2023.
Les forces armées américaines ont mené des frappes navales et aériennes, parfois conjointement avec les forces armées britanniques, contre des cibles houthies avec l’objectif déclaré de rendre les Houthis moins à même de menacer le commerce maritime et les marins.
Les Houthis ont lancé au moins 48 attaques de missiles et de drones contre Israël, sous prétexte de soutenir les Palestinien·ne·s à Gaza. Le 19 juillet, un civil a été tué et quatre autres blessés lors d’une attaque de drone dans la ville israélienne de Tel-Aviv. En représailles, le 20 juillet, Israël a mené des frappes aériennes contre le port d’Hodeïda, essentiel à l’acheminement d’aide humanitaire et de nourriture, et la centrale électrique de Ras Kathnib, dans le gouvernorat d’Hodeïda. Ces frappes auraient fait au moins six morts et 80 blessés parmi la population civile. Elles ont touché deux grues portuaires et des installations de stockage de combustible.
Le 29 septembre, des frappes aériennes menées par Israël contre les ports d’Hodeïda et de Ras Issa, ainsi que contre les centrales électriques d’Al Hali et de Ras Kathnib (gouvernorat d’Hodeïda), auraient tué cinq civil·e·s et en auraient blessé au moins 57 autres.
En décembre, les Houthis ont revendiqué 17 attaques contre Israël. Le 21 décembre, une attaque de missile a touché une aire de jeu à Jaffa, blessant apparemment 16 civil·e·s. Israël a mené des frappes aériennes les 19 et 26 décembre contre des ports du gouvernorat d’Hodeïda, des centrales électriques des gouvernorats d’Hodeïda et de Sanaa, et l’aéroport international de Sanaa. Ces frappes auraient fait au moins 13 morts et des dizaines de blessés parmi la population civile et endommagé des ports et l’aéroport.
Des phénomènes météorologiques extrêmes ont provoqué des décès, détruit des logements et des moyens de subsistance, intensifié les déplacements à l’intérieur du pays et accru l’insécurité alimentaire.
LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Toutes les parties au conflit ont continué de réprimer la dissidence et de museler la société civile. Parmi les personnes visées figuraient des opposant·e·s politiques, des défenseur·e·s des droits humains, des journalistes, des employé·e·s d’organisations humanitaires ou de défense des droits humains, des minorités religieuses et des personnes critiques à l’égard du bilan et des politiques des autorités en matière de droits humains.
Autorités houthies de facto
Le 2 janvier, les services de sécurité et de renseignement houthis ont arrêté le juge Abdulwahab Mohammad Qatran parce qu’il avait critiqué en ligne les autorités houthies de facto. Cet homme a été détenu arbitrairement au centre de détention des services de sécurité et de renseignement contrôlé par les Houthis dans la capitale, Sanaa, pendant plus de cinq mois, lors desquels il a été privé de son droit de consulter un·e avocat·e et a passé plus d’un mois à l’isolement. Il a été remis en liberté le 12 juin, après s’être engagé à ne plus faire part de ses opinions sur les réseaux sociaux1.
En juin, les forces de sécurité houthies ont placé arbitrairement en détention 13 membres du personnel des Nations unies et des dizaines de membres du personnel d’ONG locales ou internationales ; trois de ces personnes auraient été libérées en décembre. Ces arrestations ont coïncidé avec une campagne médiatique menée par les Houthis, accusant les organisations humanitaires et de défense des droits humains et leur personnel de « conspiration » contre les intérêts du pays.
Entre juin et août, les autorités houthies de facto ont libéré les cinq derniers prisonniers d’un groupe de 17 membres de la minorité religieuse baha’ie ayant été arrêtés le 25 mai 2023 par les forces armées houthies, qui avaient fait irruption dans une résidence privée de Sanaa où se tenait un rassemblement pacifique. Ces cinq hommes étaient détenus arbitrairement depuis plus d’un an sans inculpation. Comme condition de leur libération, certains ont été contraints de s’engager par écrit à ne plus se livrer à des activités liées à la religion baha’ie.
Conseil de transition du Sud
Les autorités de facto du Conseil de transition du Sud (CTS) ont continué à restreindre illégalement et arbitrairement le travail des organisations de la société civile et des défenseur·e·s des droits humains dans le gouvernorat d’Aden, dans le sud du Yémen.
Le 26 mai, un groupe d’hommes armés accompagnant des membres de l’Union des femmes du Sud, soutenue par le CTS, a pris de force le contrôle du centre de l’Union des femmes yéménites, une organisation indépendante de la société civile dans le district de Sira (gouvernorat d’Aden). Les hommes armés ont empêché les employées d’accéder au centre, rendant impossible la fourniture de services de protection aux femmes. En juin, le personnel du centre a pu retourner dans le bâtiment et reprendre son travail après avoir accepté que l’Union des femmes du Sud mène ses activités depuis ce centre.
Gouvernement du Yémen
Le gouvernement du Yémen reconnu par la communauté internationale a continué à harceler, à détenir arbitrairement et à poursuivre en justice des journalistes dans les zones dont il avait le contrôle, notamment dans les gouvernorats de Taïzz, de Marib et de l’Hadramaout.
Selon Marsadak (observatoire yéménite de la liberté des médias), le 5 mai, le tribunal des fonds publics du gouvernorat de l’Hadramaout a condamné le journaliste Ali Salmeen al Awbathani à six mois de prison avec sursis pour avoir publié du contenu critiquant une institution publique.
DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Autorités houthies de facto
Les autorités houthies de facto ont cette année encore utilisé le tribunal pénal spécial siégeant à Sanaa comme outil de répression politique en condamnant des personnes à de longues peines de prison et à la peine de mort à l’issue de procès manifestement inéquitables. Le parquet houthi a continué d’invoquer l’« espionnage » pour poursuivre en justice des opposant·e·s politiques et réduire au silence la dissidence pacifique.
Le 1er juin, le tribunal pénal spécial siégeant à Sanaa a condamné 44 personnes à la peine capitale, dont 16 par contumace, sur la base d’accusations fallacieuses d’espionnage, à l’issue d’un procès collectif inéquitable. Selon leur avocat, les 28 accusés qui comparaissaient détenus avaient été soumis à une disparition forcée pendant neuf mois à la suite de leur arrestation, ainsi qu’à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, afin de les forcer à « avouer ».
La défenseure des droits humains Fatma al Arwali risquait toujours d’être exécutée après avoir été déclarée coupable d’« aide à un pays ennemi » et condamnée à mort le 5 décembre 2023, à l’issue d’un procès d’une iniquité flagrante, par le tribunal pénal spécial siégeant à Sanaa.
Le 20 août, ce même tribunal a prolongé d’un an la peine du journaliste Nabil al Sidawi. Les services de sécurité et de renseignement houthis l’avaient arrêté le 21 septembre 2015. Il avait été détenu sans inculpation ni jugement pendant environ quatre ans et condamné en 2022 à huit ans d’emprisonnement pour des charges d’espionnage, à l’issue d’un procès manifestement inéquitable devant ce tribunal.
Conseil de transition du Sud
Le 28 mai, le tribunal pénal spécial siégeant à Aden a condamné le journaliste Ahmad Maher à quatre ans d’emprisonnement, à l’issue d’un procès d’une iniquité flagrante, pour diffusion d’informations fausses ou trompeuses et falsification de documents d’identité. Les forces de sécurité affiliées au CTS l’avaient arrêté à Aden en août 2022 et l’avaient soumis à des actes de torture et d’autres mauvais traitements lors des interrogatoires au poste de police de Dar Saad, afin de le contraindre à « avouer » sa participation à une attaque contre ce poste de police en mars 2022. Il a été privé du droit à une défense adéquate, du droit de consulter l’avocat·e de son choix, du droit à la présomption d’innocence et du droit de ne pas témoigner contre soi-même. Le 25 décembre, la cour d’appel pénale spéciale siégeant à Aden a relaxé Ahmad Maher, mais celui-ci a été maintenu en détention après que le parquet pénal spécial a exigé un garant offrant une « garantie commerciale » comme condition à sa libération, condition que sa famille n’a pas été en mesure de remplir.
PRIVATION D'AIDE HUMANITAIRE
L’accès à la nourriture, à l’eau potable, à un environnement sain et à des services de santé adéquats était toujours fortement restreint. Plus de 2,7 millions d’enfants souffraient de malnutrition aiguë, selon l’UNICEF. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, 18,2 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire et de services de protection, et près de la moitié de la population était en situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Le Yémen a connu une nouvelle épidémie de diarrhée aqueuse aiguë et de choléra ; des centaines de cas ont été signalés chaque jour.
Les parties au conflit ont continué d’imposer des contraintes administratives et bureaucratiques arbitraires entravant la distribution de l’aide humanitaire. Les autorités houthies de facto ont restreint encore davantage les activités des organisations humanitaires. En juin, elles ont arrêté arbitrairement des dizaines de membres du personnel des Nations unies et d’ONG locales ou internationales (voir Liberté d’expression, d’association et de réunion), réduisant leur aptitude à fournir une aide humanitaire et des services de protection. En septembre, les Nations unies ont suspendu toutes leurs activités non vitales dans les zones contrôlées par les Houthis, afin de limiter autant que possible les risques pour le personnel humanitaire.
En août, lors de réunions avec le personnel des Nations unies et d’ONG internationales, le Conseil suprême de gestion et de coordination des affaires humanitaires et de la coopération internationale dirigé par les Houthis a réaffirmé l’intention de ces derniers de maintenir leurs politiques restrictives à l’égard des activités humanitaires.
Le morcellement du pouvoir dans le sud du Yémen, qui a laissé certains ministères aux mains du gouvernement internationalement reconnu et d’autres sous le contrôle du CTS, a continué de ralentir la validation des projets humanitaires et des autorisations de déplacement, perturbant l’acheminement de l’aide.
DISCRIMINATION ET VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Cette année encore, des femmes ont été victimes de chantage et de harcèlement sur Facebook. Ces actes ont été favorisés par l’absence de mesures appropriées des autorités visant à protéger le droit des femmes au respect de la vie privée en ligne ou à offrir réparation aux victimes de violences liées au genre facilitées par la technologie. Ils ont été en outre facilités par le manque de prévention de la part de Meta, propriétaire de Facebook, qui n’a pas fait le nécessaire pour que ses mécanismes de signalement des violences en ligne soient accessibles et culturellement adaptés aux contextes socialement conservateurs, comme au Yémen.
Les autorités houthies de facto ont continué à restreindre le droit des femmes de circuler librement sans l’accompagnement ou l’autorisation écrite d’un tuteur masculin (mahram). Entre autres effets, cette obligation restreignait le droit des femmes de travailler et la possibilité pour les travailleuses humanitaires yéménites de mener des activités sur le terrain et d’apporter une aide. Des travailleuses et travailleurs humanitaires ont signalé que l’obligation liée au mahram était aussi de plus en plus appliquée, au coup par coup, dans des zones contrôlées par le gouvernement, notamment les gouvernorats de Taïzz et de Marib.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Les parties au conflit ont cette année encore pris pour cible et poursuivi en justice des personnes LGBTI uniquement en raison de leur identité de genre et/ou de leur orientation sexuelle réelles ou supposées.
Le 23 janvier, le tribunal pénal de Dhamar (nord du Yémen), affilié aux Houthis, a condamné neuf hommes à la peine de mort, sept par lapidation et deux par crucifiement, et 23 autres hommes à des peines d’emprisonnement allant de six mois à 10 ans, pour divers chefs d’accusation dont l’« homosexualité », la « diffusion de l’immoralité » et des « actes immoraux ».
Le 1er février, le tribunal de première instance de la ville d’Ibb, dans le sud du pays, a condamné 13 étudiants à mort et trois autres à des peines de flagellation pour « diffusion de l’homosexualité».
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Les attaques en mer des Houthis et les attaques israéliennes contre le port d’Hodeïda ont été à l’origine de risques environnementaux importants, menaçant la vie marine et les moyens de subsistance des populations côtières, ce qui n’a fait qu’aggraver la crise humanitaire.
Le 18 février, les Houthis ont attaqué le navire marchand Rubymar, qui a coulé le 2 mars à environ 26 kilomètres à l’ouest du port de Mokha, dans l’est du Yémen. Ce navire transportait quelque 21 000 tonnes d’engrais à base de sulfate de phosphate d’ammonium, ce qui menaçait l’environnement en mer Rouge.
Le 12 juin, les Houthis ont attaqué le navire marchand Tutor, qui a coulé le 18 juin avec une cargaison de 80 000 tonnes de charbon.
Le 16 juillet, ils s’en sont pris au pétrolier Chios Lion. Une marée noire mesurant initialement 220 kilomètres de long a été observée près du site de la frappe, menaçant le sanctuaire marin des Farasan, selon l’Observatoire des conflits et de l’environnement.
Le 20 juillet, des frappes aériennes israéliennes contre le port d’Hodeïda et la centrale électrique de Ras Kathnib (gouvernorat d’Hodeïda) ont touché des installations de stockage de combustible, qui ont ensuite brûlé pendant au moins quatre jours. La frappe contre le port d’Hodeïda a causé des fuites de combustible dans le port, portant atteinte à l’environnement marin.
Dans le gouvernorat de Chabwa, la mauvaise gestion des infrastructures pétrolières par les autorités restait une source de pollution majeure. En juillet, un oléoduc endommagé a laissé échapper une grande quantité de pétrole brut qui s’est déversée sur des centaines de mètres de côte, à proximité du village d’Ayn Bamabad.

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