Au Salvador, les autorités mènent une véritable entreprise de persécution et de criminalisation contre toute voix critique à l’égard du pouvoir. Dans ce contexte, nous décidons d’attribuer le statut de prisonnier d’opinion à l’avocate Ruth López, le défenseur de l’environnement Alejandro Henríquez, et le pasteur et leader communautaire José Ángel Pérez et exigeons leur libération immédiate et inconditionnelle.
Depuis le début du second mandat de Nayib Bukele, le Salvador est marqué par une escalade inquiétante du harcèlement, de la persécution et de la criminalisation des défenseur·es des droits humains, journalistes, militant·es, voix critiques et organisations de la société civile.
Le maintien prolongé et injustifié de l’état d’urgence, accompagné de réformes réglementaires régressives et de nouvelles lois liberticides, a entraîné des arrestations, incarcérations et condamnations massives.
Cette répression a considérablement réduit l’espace civique et instauré un véritable climat de peur, visant à réduire au silence celles et ceux qui dénoncent les abus, réclament justice et demandent plus de transparence.
Qui sont les personnes que nous défendons ?

De gauche à droite : Alejandro Henríquez, Ruth López et José Ángel Pérez, 30 mai 2025 © Daniela Rodriguez / AFP
Alejandro Henríquez
Avocat et défenseur de l’environnement, Alejandro a été arrêté le 13 mai 2025 pour avoir participé à une manifestation pacifique contre l’expulsion forcée de la communauté d’El Bosque, où vivent plus de 300 familles.
Alejandro a été inculpé pour trouble à l’ordre public et résistance, bien que, selon les informations que nous avons recueillies, le parquet n’ait pas démontré l’existence de soupçons raisonnables justifiant leur implication dans ces faits.
Depuis son arrestation, il s’est vu refuser l’accès immédiat et complet à sa défense légale, ainsi que des informations sur sa situation. À la suite de la décision d’un juge d’imposer six mois de détention provisoire, Alejandro a été transféré à la prison de La Esperanza, où il est actuellement détenu au secret, dans des conditions de surpopulation extrême, et exposé à un risque de traitements cruels, inhumains ou dégradants — y compris la torture.
Ruth López
Avocate et responsable de l’Unité anti-corruption et justice de Cristosal, Ruth est reconnue au niveau national et international pour son combat contre la corruption et sa défense de l’état de droit. En 2024, la BBC l’a désignée comme l’une des 100 femmes les plus influentes du monde.
Arrêtée le 18 mai 2025, elle a initialement été accusée de détournement de fonds, avant que le parquet ne requalifie l’infraction quinze jours plus tard en enrichissement illicite.
Selon nos informations, aucun élément ne permet de soupçonner raisonnablement son implication dans ces délits. Elle a été détenue en violation des garanties d’un procès équitable, dans le cadre d’une procédure judiciaire secrète, largement condamnée par les organisations internationales et les mécanismes régionaux et universels de protection.
José Ángel Pérez
Pasteur évangélique, ouvrier agricole et président de la coopérative d’El Bosque, José est un leader communautaire depuis plus de 25 ans. Il a aidé les membres de sa paroisse à défendre leurs droits.
Il a été arrêté le 13 mai 2025 pour avoir participé à la même manifestation pacifique qu’Alejandro, contre l’expulsion forcée de la communauté d’El Bosque.
José a également été accusé de trouble à l’ordre public et résistance par les autorités. Ici encore, selon nos informations, le parquet n’a pas démontré l’existence de soupçons raisonnables justifiant son implication dans ces faits.
La désignation de Ruth, Alejandro et José Ángel comme prisonniers d’opinion est un acte de dénonciation et un geste de solidarité envers la communauté des défenseur·es des droits humains et les organisations de la société civile au Salvador.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Qu’est-ce qu’un prisonnier d’opinion ?
La désignation du terme « prisonnier d’opinion » par notre organisation repose sur une analyse rigoureuse des circonstances de la détention de la personne en question. Ce statut implique que cette personne a été privée de sa liberté uniquement en raison de ses convictions ou de caractéristiques protégées, ou des deux, et qu’elle n’a pas eu recours à la violence ni prôné la violence ou la haine dans les circonstances qui ont conduit à sa détention. Cela n’implique pas l’approbation de ses opinions ou de ses affiliations, mais une défense de son droit de les exprimer sans être persécutée pour cela.
Lire aussi : Qu’est-ce qu’un prisonnier d’opinion ?
Arrestations massives et criminalisation sélective
Les détentions de Ruth, Alejandro et José Ángel ne sont pas des événements isolés. Elles s’inscrivent dans un schéma systématique de criminalisation visant à faire taire celles et ceux qui dénoncent les abus, réclament justice et exigent de la transparence dans l’administration publique.
Selon les données de la Mesa por el Derecho a Defender Derechos (Table ronde pour le droit de défendre les droits), les attaques contre les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes ont fortement augmenté ces dernières années au Salvador. D’après ces données, elles auraient augmenté de 433% depuis 2020.
La mise en place d’un système répressif en trois actes
Acte 1 : La mainmise du pouvoir sur les autorités judiciaires
La répression menée par les autorités n’aurait pu être possible sans de profondes réformes structurelles préalables. Parmi les plus marquantes, figure la destitution irrégulière, en mai 2021, des magistrats de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême ainsi que du procureur général.
Quelques mois plus tard, une réforme a forcé au départ des centaines de juges et procureurs de plus de 60 ans, sans processus de remplacement transparent ni critères techniques, affaiblissant gravement l’indépendance du pouvoir judiciaire.
De concert, le président du Salvador Nayib Bukele et une Assemblée législative contrôlée par le parti au pouvoir ont ainsi méthodiquement démantelé l’ensemble des garde-fous institutionnels ces dernières années.
Acte 2 : L’état d’urgence au service de la répression
La concentration des pouvoirs s’est encore accentuée avec l’instauration de l’état d’urgence en 2022.
Présentée comme une réponse nécessaire à la violence des gangs dans le pays, cette mesure exceptionnelle a finalement été reconduite plus de 39 fois, sans évaluation sérieuse, débat démocratique ni mécanisme de contrôle.
Son maintien prolongé a ouvert la voie à des réformes juridiques qui ont gravement affaibli les garanties d’un procès équitable. Détentions arbitraires, audiences de masse, juges anonymes, restrictions au droit à la défense et suppression des limites à la détention provisoire sont devenus monnaie courante dans ce nouveau cadre répressif.
Acte 3 : Une loi pour museler société civile
En mai dernier, l’adoption de la loi relative aux agents étrangers a encore renforcé la réduction de l’espace démocratique au Salvador.
Cette loi oblige les organisations et les personnes bénéficiant de financements internationaux à s’enregistrer comme « agents étrangers », tout en leur imposant une taxe de 30 % sur leurs fonds. Elle facilite aussi leur dissolution et prévoit des sanctions pénales.
Compte tenu du contexte de cooptation institutionnelle et de l’absence de mécanismes d’appel indépendants, cette loi est devenue un outil de persécution sélective contre les organisations de la société civile et les voix critiques qui demandent des comptes.
La soumission du pouvoir judiciaire et l’adoption de réformes régressives ont permis au gouvernement Bukele de mettre en place une architecture institutionnelle et réglementaire conçue pour légaliser le contrôle, la répression et la criminalisation de personnes vivant dans la pauvreté et exprimant leur désaccord avec les autorités. Aujourd’hui, sous couvert de lutte contre la corruption, le président Bukele a l’intention d’utiliser ces mêmes outils pour s’attaquer aux personnes qui l’incommodent.
Ana Piquer, directrice du programme Amériques d’Amnesty International
Le lourd bilan des réformes Bukele
L’usage abusif de l’état d’exception, appuyé par les réformes réglementaires et législatives du président Nayib Bukele, a conduit à la détention de dizaines de milliers de personnes en seulement quelques années.
Ces arrestations massives ont provoqué une crise carcérale sans précédent accompagné d’un flot de plaintes pour torture, traitements cruels et inhumains, et décès en détention, encore aujourd’hui insuffisamment investigués.
En parallèle, ces réformes ont entrainé une réduction drastique de l’espace civique et instauré un véritable climat de peur dans le pays. Elles ont facilité la mise en place d’une politique répressive et liberticide à l’encontre de toute personne osant dénoncer les abus du pouvoir, réclamer justice et exiger de la transparence dans l’administration publique.
Nos demandes
Nous appelons les autorités salvadoriennes à :
Libérer immédiatement et sans condition l’avocate Ruth López, le défenseur de l’environnement Alejandro Henríquez, et le pasteur et leader communautaire José Ángel Pérez
Cesser d’utiliser abusivement le système pénal pour persécuter celles et ceux qui exercent pacifiquement leurs droits.
Abroger les lois répressives, telles que la loi sur les agents étrangers et les mesures liées à l’état d’exception
Rétablir les principes du procès équitable et de l’indépendance judiciaire.
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