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© PATRICK BAZ/AFP/Getty Images
Arabie saoudite
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Arabie Saoudite en 2024.
Des défenseur·e·s des droits humains et d’autres personnes ayant exercé leurs droits à la liberté d’expression et d’association ont fait l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires, de procès inéquitables aboutissant à de longues peines d’emprisonnement et d’interdictions de voyager. Malgré quelques réformes limitées dans le domaine du travail, les travailleuses et travailleurs migrants, en particulier les employé·e·s de maison, ont continué d’être soumis à un travail forcé ou à d’autres formes d’atteintes à leurs droits et d’exploitation dans ce domaine, et n’avaient pas accès à des mécanismes de protection et de réparation adéquats. Des milliers de personnes ont été arrêtées et expulsées vers leur pays d’origine, souvent en dehors de toute procédure régulière, dans le cadre d’une campagne de répression menée par le gouvernement contre les personnes accusées d’avoir enfreint les réglementations relatives au travail, aux frontières et à la résidence. L’Arabie saoudite a procédé à des exécutions pour de multiples infractions, notamment pour des infractions liées aux stupéfiants. Des tribunaux ont prononcé des condamnations à mort à l’issue de procès manifestement inéquitables. Les femmes ont cette année encore été victimes de discrimination en droit et en pratique. L’Arabie saoudite n’a pas adopté de mesures pour lutter contre le changement climatique et a annoncé vouloir augmenter sa production de pétrole.
CONTEXTE
L’Arabie saoudite et l’UE ont tenu leur quatrième dialogue sur les droits humains le 17 décembre, à Riyad, la capitale du pays. L’UE a salué les progrès réalisés par l’Arabie saoudite concernant les droits des femmes, mais a déploré l’augmentation du nombre d’exécutions (y compris pour des infractions n’ayant pas provoqué la mort d’autrui et des infractions liées à la drogue) et les restrictions des droits civils et politiques, citant les longues peines d’emprisonnement infligées à des personnes s’étant exprimées sur les réseaux sociaux.
Le 11 décembre, la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) a confirmé que l’Arabie saoudite accueillerait la Coupe du monde de football masculin de 2034. Des organisations de la société civile ont condamné cette décision, qui, selon elles, risquait d’être source d’exploitation, de discrimination, d’expulsions forcées et de répression.
Du 15 au 19 décembre, l’Arabie saoudite a accueilli à Riyad la 19e réunion annuelle du Forum sur la gouvernance de l’Internet. Une délégation d’Amnesty International y a demandé la libération des personnes détenues pour s’être exprimées en ligne.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET D'ASSOCIATION
Les autorités ont continué de détenir arbitrairement des personnes sans leur donner la possibilité de contester la légalité de leur détention et ont condamné de nombreuses personnes à de lourdes peines d’emprisonnement ou à la peine de mort sur la base de chefs d’accusation vagues qualifiant de « terrorisme » l’expression pacifique d’opinions, en violation du droit à un procès équitable et à une procédure régulière, ainsi que du droit à la liberté d’expression. Le Tribunal pénal spécial (TPS), créé pour juger les crimes liés au terrorisme, a continué de condamner à de longues peines d’emprisonnement, à l’issue de procès manifestement inéquitables, des personnes qui n’avaient fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression et d’association, notamment sur X (ex-Twitter).
Le projet de code pénal saoudien, qui a filtré avant de finir d’être examiné, réprimait la liberté d’expression en sanctionnant la diffamation, l’« insulte » et la « remise en cause de l’intégrité des juges ». Il contenait également des dispositions formulées en termes vagues concernant des infractions telles que les « actes indécents » et les « paroles portant atteinte à l’honneur ».
Procès inéquitables
Le 9 janvier, lors d’une audience secrète, le TPS a condamné Manahel al Otaibi, monitrice de fitness et militante des droits des femmes, à 11 ans d’emprisonnement pour des accusations liées uniquement à ses choix vestimentaires et à l’expression en ligne de ses opinions, notamment parce qu’elle avait appelé sur les réseaux sociaux à la fin du système de tutelle masculine en Arabie saoudite. La peine infligée à Manahel al Otaibi n’a été révélée publiquement que plusieurs semaines après le jugement, dans la réponse officielle du gouvernement à une demande conjointe d’informations sur son cas venant de plusieurs rapporteurs·euses spéciaux des Nations unies. Sa famille n’a pas eu accès aux documents judiciaires ni aux preuves présentées contre elle. En novembre, Manahel al Otaibi a annoncé à sa famille que la Cour d’appel du TPS avait confirmé sa condamnation.
Le 29 mai, le TPS a condamné l’enseignant Asaad bin Nasser al Ghamdi à 20 ans d’emprisonnement pour avoir publié sur les réseaux sociaux des messages critiquant le programme économique et social Vision 2030 du gouvernement et exprimant ses condoléances pour la mort en prison d’un éminent défenseur des droits humains. Deux mois plus tard, la Cour d’appel du TPS a réduit sa peine à 15 ans d’emprisonnement. Mohammad al Ghamdi, enseignant à la retraite et frère d’Asaad al Ghamdi, a été condamné par la Cour d’appel du TPS à 30 ans d’emprisonnement après l’annulation de sa condamnation à mort, en septembre. Il avait lui aussi été inculpé uniquement en raison de ses publications sur les réseaux sociaux.
En septembre, le TPS a réduit la peine de Salma al Shehab de 27 à huit ans d’emprisonnement, dont quatre avec sursis. Le TPS l’avait condamnée en mars 2022 à six ans d’emprisonnement, au titre de la Loi de lutte contre le terrorisme, uniquement pour ses écrits et ses retweets sur X en faveur des droits des femmes. À la suite d’une série de recours, la peine avait été portée, en 2023, à 27 ans de réclusion.
Les autorités ont maintenu en détention le citoyen yéménite et néerlandais Fahd Ramadhan sans l’inculper ni lui permettre de bénéficier d’une assistance juridique. Après l’avoir arrêté le 20 novembre 2023, les autorités l’avaient détenu au secret du 21 novembre 2023 au 1er janvier 2024. Il a déclaré aux autorités néerlandaises qu’il pensait avoir été arrêté pour avoir sympathisé en ligne avec une personne critique envers la famille royale saoudienne. En janvier, la famille de Fahd Ramadhan a engagé un avocat, mais ce dernier n’a pas été autorisé à rendre visite au détenu et les autorités pénitentiaires lui ont dit qu’il ne devait pas s’immiscer dans cette affaire.
Interdiction de voyager
L’éminente défenseure des droits humains Loujain al Hathloul, qui a été libérée en février 2021 après deux ans et demi d’incarcération pour des accusations liées à son travail en faveur des droits humains, restait sous le coup d’une interdiction de voyager arbitraire malgré l’expiration de sa peine d’emprisonnement et de l’interdiction de quitter le pays qui avait été prononcée par la justice. En septembre 2024, le Bureau des doléances, un tribunal administratif, a accepté d’examiner une plainte qu’elle a déposée contre la présidence de la sécurité de l’État, qui continuait de lui interdire de voyager. En décembre, le juge a classé l’affaire, se déclarant incompétent.
DROITS DES PERSONNES MIGRANTES
Les autorités ont poursuivi leur répression des personnes accusées d’avoir enfreint les réglementations relatives à la résidence, aux frontières et au travail, en procédant notamment à des arrestations, des placements en détention et des expulsions arbitraires, souvent en dehors des procédures prévues par la loi, uniquement en raison de la situation irrégulière des personnes concernées au regard de la législation relative à l’immigration. Selon le ministère de l’Intérieur, au cours de l’année, au moins 573 000 ressortissant·e·s étrangers, sur les plus de 994 000 arrêtés pour de telles infractions, ont été renvoyés dans leur pays d’origine. Plus de 61 037 personnes, pour la plupart éthiopiennes et yéménites, ont été arrêtées pour être entrées en Arabie saoudite de façon irrégulière depuis le Yémen.
Les travailleuses et travailleurs migrants en Arabie saoudite restaient soumis au système de parrainage (kafala) et étaient en butte à des atteintes généralisées à leurs droits, dont certaines ont pu constituer une forme de travail forcé, et ce, dans divers secteurs professionnels et régions géographiques. Le salaire minimum national continuait d’être appliqué uniquement aux citoyen·ne·s saoudiens.
En juin, l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), une fédération syndicale mondiale, a déposé auprès de l’OIT une plainte d’importance majeure contre l’Arabie saoudite, accusant le pays de violer les conventions de l’OIT sur le travail forcé en raison des conditions de vie et de travail abusives auxquelles était soumise sa nombreuse main-d’œuvre immigrée.
Des travailleurs migrants engagés en Arabie saoudite sur des sites franchisés par le groupe Carrefour ont été trompés par des agent·e·s de recrutement et soumis à des horaires de travail excessifs et au vol de leur rémunération par le groupe propriétaire de la franchise locale et des tiers fournisseurs de main-d’œuvre. Dans certains cas, ce traitement constituait probablement une forme de travail forcé et de traite des êtres humains. À la suite de l’enquête menée par Amnesty International, le groupe Carrefour a demandé à un tiers de procéder à un audit des activités de son franchisé et a pris certaines mesures pour améliorer les conditions de travail.
En février, en réaction à un rapport d’Amnesty International publié en 2023 portant sur les atteintes aux droits humains auxquelles étaient soumises des personnes travaillant dans des entrepôts d’Amazon, l’entreprise a remboursé à plus de 700 travailleurs les frais de recrutement illégaux qu’ils avaient dû verser. Amazon a également pris des mesures pour améliorer les conditions d’hébergement du personnel et mis en place des inspections menées par des tiers et des procédures de réclamation.
Les employé·e·s de maison migrants continuaient d’être exposés à des atteintes au droit du travail et à l’exploitation. Au lieu d’étendre les protections inscrites dans le droit du travail à ces travailleuses et travailleurs, le gouvernement a adopté un nouveau règlement qui est entré en vigueur en octobre. Ce texte interdisait la confiscation des passeports, fixait un nombre maximum d’heures de travail et définissait des règles de sécurité et de santé au travail. Il ne respectait toutefois pas les normes relatives aux droits humains, car il n’imposait pas la rémunération des heures supplémentaires, autorisait l’employeur·euse à négocier avec les travailleuses et travailleurs leur jour de congé hebdomadaire, ne fixait pas de salaire minimum et ne prévoyait pas de mécanismes d’application adéquats.
Les autorités ont annoncé de nouvelles réformes en faveur des employé·e·s de maison migrants. En février, le ministère des Ressources humaines et du Développement social (MRHDS) a lancé un nouveau régime d’assurance censé protéger les droits des employé·e·s de maison et de leurs employeurs·euses. Le régime favorisait toutefois ces derniers. Il leur offrait une indemnisation en cas de décès, d’absence ou d’incapacité de travail d’un·e employé·e de maison, et couvrait les frais de rapatriement en cas de décès. À l’inverse, le paiement des salaires du personnel de maison n’était garanti qu’en cas de décès ou d’invalidité permanente de l’employeur ou de l’employeuse, mais pas dans les autres cas de non-versement du salaire par ce denier.
En mars, le MRHDS a mis en place un règlement permettant aux personnes employant des domestiques de mettre fin à leur contrat dans certaines conditions en établissant contre eux un rapport de « cessation de travail ». Cette modification de la réglementation, qui avait précédemment été instaurée dans le secteur privé, supprimait officiellement la possibilité pour les employeurs et les employeuses d’engager des poursuites abusives contre leur personnel de maison pour « délit de fuite ». Cependant, il n’existait toujours pas de mesures de protection juridique permettant aux travailleuses et travailleurs migrants de contester ces rapports, ce qui les exposait à un risque d’arrestation et d’expulsion.
En mai, le MRHDS a lancé le Service de protection des salaires, qui exigeait des employeurs et des employeuses qu’ils utilisent des méthodes de paiement numériques pour la rémunération des employé·e·s de maison, dans le but de fournir une preuve matérielle du paiement des salaires. Les sanctions encourues par les employeurs·euses en cas de non-respect de cette obligation n’étaient cependant pas clairement établies.
En juillet, le Conseil de l’assurance maladie et l’Autorité des assurances ont appliqué une décision gouvernementale visant à obliger les personnes employant plus de quatre domestiques enregistrés sous leur nom à contracter une assurance. Cette politique a créé une inégalité de protection en excluant de son champ d’application les petits employeurs·euses, privant d’assurance maladie de nombreux employé·e·s de maison.
Le MRHDS a annoncé en octobre la mise en place d’un régime d’assurance destiné à protéger les salaires des travailleuses et travailleurs migrants en cas de non-paiement par l’employeur ou l’employeuse. Cependant, la façon dont ce régime était conçu et les critères à remplir pour en bénéficier limitaient sa capacité à fournir une protection complète à tous les travailleurs·euses migrants qui en avaient besoin.
PEINE DE MORT
Les autorités ont procédé à un nombre record d’exécutions pour de multiples infractions et dans des circonstances enfreignant le droit et les normes internationaux. Le nombre d’exécutions pour des infractions liées aux stupéfiants est monté en flèche.
Au moins 50 hommes, en majorité des ressortissants égyptiens, condamnés pour des infractions liées aux stupéfiants se trouvaient toujours dans le quartier des condamnés à mort de la prison de Tabuk.
Sept jeunes hommes qui étaient âgés de moins de 18 ans au moment des faits qu’on leur reprochait risquaient toujours d’être exécutés de manière imminente. Six d’entre eux avaient été condamnés à mort pour des infractions liées au terrorisme, et le septième pour vol à main armée et meurtre. Ils avaient tous les sept fait l’objet de procès inéquitables marqués par l’admission à titre de preuve d’« aveux » obtenus sous la torture.
Le 17 août, l’Agence de presse saoudienne a annoncé l’exécution d’Abdulmajeed al Nimr, un agent de la police de la route à la retraite, pour des infractions à la législation antiterroriste liées à son association présumée avec le groupe armé Al Qaïda. Selon des documents judiciaires, il avait été initialement condamné par le TPS à neuf ans d’emprisonnement le 25 octobre 2021 pour avoir « cherché à déstabiliser le tissu social et l’unité nationale en participant à des manifestations […] en soutenant des émeutes, en scandant des slogans contre l’État et ses dirigeants » et rejoint un groupe WhatsApp qui comprenait des personnes recherchées pour des raisons de sécurité. Sa peine avait été muée en sentence capitale en appel.
En première instance, le TPS n’avait pas fait référence dans son jugement aux liens d’Abdulmajeed al Nimr avec Al Qaïda. Pendant environ deux ans, Abdulmajeed al Nimr n’avait pas été autorisé à s’entretenir avec un·e avocat·e, ni lors de ses interrogatoires, ni au cours de sa détention provisoire, et il avait été déclaré coupable uniquement sur la base d’« aveux » obtenus, selon lui, sous la contrainte (il avait notamment été placé en détention à l’isolement pendant un mois et demi).
L’examen par Amnesty International du projet de code pénal pour les peines discrétionnaires, qui a filtré, a montré qu’outre des peines d’emprisonnement et des amendes, ce code prévoyait la peine de mort en tant que sanction principale pour une série d’infractions et qu’il continuait de permettre aux juges de faire usage de leur pouvoir discrétionnaire pour infliger la peine capitale.
DROITS DES FEMMES ET DES FILLES
Les femmes faisaient toujours l’objet de discrimination en droit et en pratique, notamment en matière de mariage, de divorce, de garde des enfants et d’héritage.
En octobre, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a examiné le cinquième rapport périodique de l’Arabie saoudite et fait état de plus de 20 sujets de grande préoccupation concernant la mise en œuvre par le pays de ses obligations au titre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qu’il a ratifiée en 2000. Le Comité a formulé des recommandations concernant les attaques contre les femmes défenseures des droits humains, l’utilisation de la peine de mort, le manque de protection des employées de maison migrantes, la persistance d’un système de tutelle masculine de facto et d’autres questions liées à la protection des droits des femmes en Arabie saoudite.
SURVEILLANCE CIBLÉE ILLÉGALE
En octobre, la Haute Cour du Royaume-Uni a rendu une décision autorisant Yahya Assiri, un défenseur des droits humains saoudien vivant au Royaume-Uni, à engager des poursuites contre le gouvernement de l’Arabie saoudite pour l’utilisation contre lui d’un logiciel espion. Une enquête menée par Amnesty International en août 2018 avait révélé que Yahya Assiri et une salariée d’Amnesty International avaient été ciblés par le logiciel espion Pegasus de NSO Group et que du contenu lié à l’Arabie saoudite avait été utilisé pour les piéger.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
L’Arabie saoudite, grande productrice de combustibles fossiles, continuait de faire partie des 10 pays les plus émetteurs de CO2 par habitant·e. Lors des négociations de la COP29, l’État a bloqué toute référence à l’élimination progressive des combustibles fossiles.
En juin, le ministre de l’Énergie a annoncé que l’Arabie saoudite prévoyait d’accroître ses capacités de production de pétrole entre 2025 et 2027, avant de revenir au niveau de 2024, soit 12,3 millions de barils par jour, en 2028.
Le gouvernement avait annoncé en 2021 un objectif de zéro émission nette pour 2060, mais, fin 2024, il n’avait toujours pas publié d’informations supplémentaires à ce sujet ni inscrit cet objectif dans la loi. La CDN annoncée par l’Arabie saoudite correspondait à une action minimale, voire nulle, et n’était pas compatible avec la limite de 1,5 °C de réchauffement planétaire convenue au niveau mondial.

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