Elles sont six jeunes femmes activistes à embarquer pour un transatlantique depuis la France, direction Belém au Brésil où se déroulera la COP30, la 30ème conférence des Parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Leur projet s’appelle “Women Wave”. Ces militantes traversent l’océan pour porter la voix de la société civile lors de ce grand rendez-vous annuel sur le climat. Leur objectif est d’allier leurs forces et de faire converger leurs luttes pour défendre une justice qui soit à la fois climatique, sociale, raciale, et de genre. Nous avons rencontré l’une d’entre elles, Mariam Touré, quelques jours avant la traversée.
Six activistes sont à bord du voilier : Coline Balfroid, vidéaste et réalisatrice, Camille Etienne, Adélaïde Charlier et Lucie Morauw, activistes pour la justice sociale et climatique, Maïté Meeûs, activiste pour les droits des femmes et Mariam Touré, activiste pour les droits humains et pour les quartiers populaires. Elles sont accompagnées de quatre navigatrices, Philippa Rytkönen, Sandra Maricha et Lydia Mullan du Magenta Project ainsi que la skippeuse Capucine Treffot.
Le projet Women Wave est soutenu par plusieurs organisations dont les sections française et belge d’Amnesty International.
Quelle est votre histoire et pourquoi vous êtes-vous engagée pour le climat ?
Je suis née pendant la guerre civile en Côte d’Ivoire. Mon enfance a forgé ma conscience de l’importance de défendre les droits humains. Pendant mes études, j'ai rejoint plusieurs associations avec la conviction que si on ne se battait pas contre toutes les violations des droits humains, même celles commises à l’autre bout du monde, alors il ne fallait pas que l'on s'étonne que demain, cela se passe aussi devant notre porte et que personne ne fasse rien.
Je suis engagée en tant que femme, migrante, racisée, musulmane portant un foulard et ayant grandi dans un quartier populaire. Je suis à l’intersectionnalité de tout cela, de toutes ces discriminations.
L’année dernière, j’ai cofondé Jeunesse Populaire pour donner la voix à cette jeunesse que la France oublie et ne voit pas. La jeunesse des quartiers, comme celle des Outre-mer ou la jeunesse rurale, sont les plus impactées par le changement climatique. Il n’y a qu’à voir l’affaire du chlordécone dans les Antilles [ndlr : le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé depuis 1972 avant d'être interdit en 1993 dans les bananeraies aux Antilles alors que sa dangerosité pour la santé humaine est connue depuis 1969.]. Et pourtant, cette jeunesse n’est pas écoutée. Elle est ignorée et décrédibilisée.
Au-delà de la jeunesse, ce sont les personnes qui n’ont pas les moyens, ce sont les femmes, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les minorités, en somme les personnes les plus marginalisées qui sont les plus touchées par la crise climatique.
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Comment est née l’idée de partir en non-mixité sur un voilier à la COP30 ?
Ce projet est né grâce à Adélaïde et Lucie qui ont voulu faire une traversée intersectionnelle jusqu’à la COP30, qui lierait toutes nos luttes. Ce sont deux jeunes militantes de la justice climatique qui ont conscience qu’on ne peut pas parler de justice climatique sans parler de justice humaine, de justice de genre, de justice raciale et sans parler de répartition des richesses. Et c’est pourquoi elles nous ont proposé de faire la traversée ensemble.
La planète devient de plus en plus inhabitable et il y a de moins en moins d'espace. Cet espace est trop petit pour rester chacun dans notre coin. Nous devons l’investir, et croiser nos luttes qui sont en totale intersection. Elles n'existent pas les unes sans les autres. C’est pourquoi nous avons décidé de partir ensemble, nous, les sœurs de combat comme je nous appelle. Et en voilier, car c'est le mode de transport le plus sobre environnementalement.
Nous faisons cette traversée en non-mixité, c’est-à-dire avec un équipage uniquement composé de femmes et qui sont engagées. En tant que femmes, nous sommes celles qui subissons le plus les effets du changement climatique et des injustices sociales. Pourtant nos voix ne sont pas entendues. C’est pourquoi nous allons prendre la mer et nous rendre sur place pour nous faire entendre. On s'unit pour amplifier nos voix.
Un nombre croissant de lobbies sont présents dans les COP, au détriment des activistes et de la société civile. Nous souhaitons débarquer pour participer aux échanges, porter la voix de la société civile et prendre cette place qui nous revient de droit. Les COP sont des espaces très fermés alors que cela devrait être ouvert à tout le monde.
La Conférence des Parties (COP) est la conférence annuelle des Nations unies sur le climat. Elle rassemble les délégations gouvernementales de plus de 198 États membres de l'ONU et d'autres parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. La COP30 se déroulera à Belém, au sein de l’Amazonie au Brésil, du 10 au 21 novembre 2025.
Pour la COP30, nous porterons particulièrement trois messages afin de placer les droits humains au centre de toutes les décisions :
Accroître considérablement le financement climatique : la COP29 s’est conclue en 2024 par un objectif dérisoire des pays à haut revenu visant à mobiliser 300 milliards de dollars par an d’ici 2035 afin d’aider les pays à faible revenu à faire face à la crise climatique. C’est moins d’un quart du montant exigé par ces derniers pour les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, à s’adapter au changement climatique et à se reconstruire après les pertes et dommages subis. La COP30 doit aboutir non seulement à un plan clair pour mobiliser les 300 milliards de dollars prévus, mais aussi pour accroître considérablement le financement climatique.
Protéger les droits des défenseur·es de l’environnement : les défenseur·es de l’environnement sont réprimés dans le monde. L’Amérique latine, où se tiendra la COP30, est la région la plus dangereuse pour les défenseur·es de l’environnement. Leurs droits doivent être protégés. Nous appelons plus particulièrement à ce que leur droit à la participation et leurs libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique lors de la COP30 soient protégés. La voix de la société civile, des activistes et des peuples autochtones doit être entendue et prise en compte lors des négociations.
Sortir des énergies fossiles : la science est claire, nous devons de toute urgence éliminer progressivement et de manière équitable les combustibles fossiles afin de ne pas dépasser la limite de 1,5°C de réchauffement climatique par rapport aux niveaux préindustriels. Les pays à haut revenu et historiquement émetteur de combustibles fossiles doivent montrer la voie.
Le projet Women Wave va particulièrement se mobiliser lors du Sommet des Peuples, organisé en parallèle de la COP30 à Belém. Ce Sommet est porté par des peuples autochtones, des ONG et des organisations de la société civile. Il vise à donner une voix aux populations souvent marginalisées dans les négociations officielles pour le climat et à renforcer la mobilisation internationale.
“Ensemble, on va réfléchir à des solutions, et je pense que plus on est unis et plus on est forts. Et c'est en étant forts qu'on peut aussi créer une vraie mobilisation internationale. C'est ça le Sommet des Peuples : c'est rencontrer tous ces peuples pour converger vers une véritable mobilisation internationale. Ce qui pourra faire changer les États, comme toujours, ça sera la mobilisation citoyenne. Et les organisations comme Amnesty International aident à visibiliser et à crédibiliser tout cela.” Mariam Touré.
En tant que co-fondatrice de “Jeunesse Populaire”, comment voyez-vous la mobilisation de la jeunesse pour les questions climatiques et sociales ?
La jeunesse, et plus particulièrement la jeunesse populaire, se mobilise de plus en plus pour ces questions. Pourtant, le pouvoir ne nous laisse pas de place pour nous mobiliser car, à ses yeux, nous n’existons pas.
Je trouve le terme “intersectionnalité” intéressant. C'est un terme qui s’est popularisé ces dernières années, même si pour moi, les jeunes de quartier ont toujours été intersectionnels. Ce sont bien souvent des personnes qui sont à la croisée de multiples discriminations en tant que personnes racisées, peu dotées financièrement, et qui sont davantage impactées par changement climatique. On vit dans des zones qui sont laissées à l’abandon, dans des bâtiments qui sont mal isolés et qui subissent de plein fouet les canicules.
Il y a un manque d’investissements de l’Etat dans ces quartiers pour faire face aux effets de la crise climatique. Pour pallier ces manquements, les personnes qui vivent dans ces quartiers dits “populaires” s’auto-organisent pour donner un peu de dignité à ces lieux. Cela passe par des collectifs de quartier qui vont replanter des arbres, faire des opérations de nettoyage, organiser des vacances solidaires où tout le monde part en groupe pour économiser de l’essence. L’avion coûte tellement cher pour aller dans des destinations comme l’Afrique qu’on ne peut pas y aller tous les ans. On a ainsi toujours été confrontés au fait de se restreindre pour la planète, sans en être forcément conscients. On n’a peut-être pas le privilège d’acheter du bio, mais on a l’obligation de faire attention à ce qui nous entoure.
Lors des Jeux Olympiques, il y a eu plus d’un milliard de dépenses pour assainir la Seine. J’ai trouvé cela choquant car ces dépenses auraient pu être utiles pour assainir l’eau en Guadeloupe en Martinique où l’eau potable est empoisonnée par le chlordécone.
C’est face à ces injustices, face à cet oubli de la part de l’Etat, que nous nous organisons. Et c’est ce qui nous anime dans le projet Women Wave. Nous partons en voilier jusqu’à la COP30 pour porter la voix de celles et ceux qui sont les plus touchés par le changement climatique et qui ne sont pourtant ni considérés, ni entendus.
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