Malgré des avancées, l’avortement continue d’être menacé, stigmatisé et criminalisé dans de nombreux pays. À l’occasion de la Journée internationale pour le droit à l’avortement, la directrice du programme Genre, justice raciale et droits des réfugié·es à Amnesty International Fernanda Doz Costa nous partage son regard sur les stigmatisations persistantes, les obstacles à l’accès aux soins et les combats menés pour défendre ce droit fondamental.
Fernanda Doz Costa dirige le programme Genre, justice raciale et droits des réfugié·es chez Amnesty International. Engagée de longue date pour la justice reproductive, l’égalité des genres, la justice raciale et les droits des peuples autochtones, elle place les luttes sociales au cœur de son action.
Son parcours est profondément marqué par son enfance sous la dictature en Argentine. Cette expérience a nourri son engagement et l’a conduite à se former comme avocate spécialisée en droits humains. Depuis, elle milite sans relâche pour une société plus juste et inclusive.
En quoi l’avortement est-il un droit fondamental ? Pourquoi demeure-t-il un sujet aussi clivant aujourd’hui ?
Lorsqu’on parle du droit à l'avortement, on ne parle pas seulement de soins de santé. On parle d'égalité, de dignité et d'autonomie. Le droit à l'avortement et aux services de santé reproductive n'est pas un « luxe ». C'est un droit humain fondamental qui affecte profondément la vie et l'avenir des personnes concernées et de leurs proches. Mais c’est aussi un combat pour la justice sociale et économique : celles qui ont les moyens ont toujours eu accès à l'avortement, qu'il soit légal ou non.
Encore aujourd’hui, les personnes qui souhaitent avorter ou qui pratiquent des avortements sont victimes de criminalisation, de stigmatisation et de violence partout dans le monde. Pourtant, il n'existe aucun autre service de santé, en particulier ceux dont ont besoin les hommes, qui suscite une opposition aussi organisée et financée à l'échelle mondiale.
Nos corps et notre autonomie reproductive font encore l'objet de débats entre les dirigeants religieux et politiques. Cela montre clairement que le patriarcat influence profondément nos vies à toutes et tous et qu'il reste encore beaucoup à faire.
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Quelles sont les conséquences concrètes de la stigmatisation et de la criminalisation du droit à l’avortement ?
La stigmatisation se manifeste de nombreuses façons : honte, isolement, peur du jugement et même poursuites pénales. Les prestataires de soins de santé sont ostracisés. Les militantes et militants pour le droit à l'avortement sont menacé·es. Et les personnes qui souhaitent avorter ou qui pratiquent des avortements sont traitées comme des criminelles.
Cette stigmatisation est un obstacle majeur à l'accès aux soins de santé liés à l'avortement. Elle expose les militantes et militants, les médecins, les infirmières et infirmiers et les personnes qui ont besoin de soins de santé à un stress immense et à de la discrimination. Cela entraîne des répercussions à long terme sur leur bien-être physique et leur santé mentale.
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Dans de nombreux cas, cette stigmatisation conduit au refus de soins de santé et à des décès qui auraient pu être évités. Un exemple typique est celui de Josseli Barnica. Cette mère de 28 ans est décédée au Texas en 2024. Les médecins avaient retardé son traitement car ils craignaient l'interdiction de l'avortement après six semaines, imposée par l'État. En quoi cela est-il « pro-vie » ?
Quels sont les obstacles auxquels les personnes sont confrontées lorsqu'elles souhaitent avorter ?
Même lorsqu'il est légal, l'accès peut être compromis : délais d'attente, consultations obligatoires, autorisations de tiers ou obligations de déclaration à la police. L'objection de conscience, c’est-à-dire le refus de soins de la part des prestataires, limitent la disponibilité dans la pratique.
L'un des obstacles les plus négligés est la censure en ligne. Certaines plateformes de réseaux sociaux comme Meta et TikTok suppriment les contenus liés à l'avortement. Cette censure numérique et la désinformation sur les grandes plateformes limitent l'accès à des informations fiables.
La stigmatisation et les pressions religieuses et sociales dissuadent beaucoup de personnes de se faire soigner. La distance, le coût, le manque d'intimité et la faiblesse des infrastructures, en particulier dans les zones rurales, limitent encore davantage l'accès.
Or lorsque les services sont bloqués, les personnes ont souvent recours à des méthodes dangereuses. Cela augmente les risques de mortalité maternelle, alors que cela pourrait être évité facilement.
Vous vous êtes mobilisée pour de nombreuses personnes... Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez appris sur leur histoire, ce qu’elles traversent ?
L'un des cas les plus marquants sur lequel nous avons travaillé est celui de Belén. Cette femme a été accusée de meurtre aggravé après avoir fait une fausse couche dans un hôpital public de Tucuman, en Argentine, en 2014. Belén a finalement été libérée de prison en 2017 et acquittée de toutes les charges peu après. Cette affaire a suscité une grande indignation tant en Argentine que dans le reste du monde. Son cas a finalement contribué à la légalisation de l’avortement en Argentine fin 2020.
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Je pense aussi à Vannesa Rosales, une enseignante vénézuélienne arrêté et inculpée pour avoir aidé une jeune fille de 13 ans victime d’un viol à accéder à un avortement sûr. Son histoire est profondément émouvante. Elle a finalement été libérée de prison le 21 juillet 2021 après avoir passé neuf mois en détention, dont six en résidence surveillée. Son courage, et le soutien mondial dont elle a bénéficié, montre la puissance de la solidarité.
Où en est le droit à l’avortement dans le monde aujourd’hui ?
Le tableau est contrasté. D’importants progrès ont été réalisés grâce aux mouvements féministes locaux, au courage des défenseurs des droits humains et à la solidarité internationale. La Vague verte en Amérique latine en est un exemple frappant. Par ailleurs, des pays comme la France, l’Argentine, l’Irlande, la Colombie ont fait des progrès historiques en dépénalisant l’avortement et en l’inscrivant dans la loi et la constitution.
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Dans le même temps, des pays comme le Salvador, Malte et certaines régions des États-Unis continuent d’imposer des interdictions totales ou quasi totales sur l’avortement. En Namibie, l’avortement est sévèrement restreint. Au Maroc, la criminalisation de l’avortement entraîne des conséquences dévastatrices pour les femmes, les filles et les personnes pouvant tomber enceintes. La lutte se poursuit cependant dans de nombreux pays.
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Aux États-Unis, la décision de la Cour suprême de restreindre le droit à l’avortement a eu des conséquences dramatiques. Non seulement elle a participé à encourager les forces anti-avortement. Mais elle a aussi entrainé une augmentation des financements des campagnes régressives. Elle a également conduit à la censure d’informations essentielles sur l’avortement en ligne. Plus récemment, l’administration Trump a également réduit drastiquement son soutien financier aux soins de santé reproductive dans les pays qui en ont le plus besoin.
Pourtant, qu’il soit légal ou non, l’avortement continue d’être pratiqué. On ne peut pas « empêcher » l’avortement, on ne peut que le rendre dangereux et risqué lorsqu’on le rend illégal.
Concrètement, que fait Amnesty pour défendre le droit à l’avortement ?
Amnesty International accorde la priorité à cette question. Notre objectif est de créer un environnement favorable où l’avortement est sûr, légal et accessible à tout le monde.
Pour cela, nous menons une campagne mondiale qui défend le droit à l’avortement dans des pays clés tels que la Sierra Leone, la Pologne, les États-Unis, le Maroc et l’Irlande du Nord. Elle vise à rendre l’avortement visible, à le déstigmatiser et à le protéger car le silence ne fait que renforcer l’oppression et la stigmatisation.
Par ailleurs, nous publions des rapports, nous soutenons les défenseur·es du droit à l’avortement et faisons pression pour faire évoluer les lois.
Co-fondatrice du collectif « Abortion Dream Team », Justyna Wydrzyńska est devenue le symbole de la répression menée à l’encontre des défenseur·es du droit à l’avortement en Pologne.
Dans un pays où l’avortement est presque totalement interdit, Justyna a été condamnée en 2023 à huit mois de travaux d’intérêt général pour avoir aidé une femme victime de violences à avorter. En 2025, son appel aboutit à un nouveau procès, qui pourrait entraîner l’abandon des charges. Mais cette affaire crée un précédent inquiétant dans un contexte de criminalisation croissante du droit à l’avortement dans le pays.
Vous êtes plus de 108 639 personnes à avoir soutenu Justyna en interpellant le Procureur Général de Pologne. Le 21 mai 2025, nous avons remis les pétitions aux autorités. Ensemble, nous espérons que Justyna obtiendra enfin justice.
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Et si l’on souhaite se mobiliser sur ce sujet à titre individuel, comment agir ?
Il existe de nombreuses façons d'agir : rejoindre les campagnes locales menées par Amnesty International, lutter contre la désinformation, participer à des actions de plaidoyer par le biais de pétitions, de campagnes et de contacts directs avec les décideur·es, ou encore faire pression sur les plateformes technologiques pour qu'elles maintiennent l'accès à des contenus fiables et localisés.
Partagez des informations exactes, combattez la stigmatisation et soutenez les défenseur·es du droit à l'avortement dans votre pays. Chaque geste compte. Rejoignez le combat !
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