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© Justin Lynch/AFP/Getty Images
Soudan du Sud
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Soudan du Sud en 2024.
Les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, ainsi que le droit de circuler librement, ont fait l’objet de restrictions. Les personnes qui critiquaient le gouvernement ou qui militaient étaient exposées au risque de disparition forcée, d’arrestation et de détention arbitraires, ainsi que de torture et d’autres mauvais traitements. Le Service national de la sûreté (NSS) agissait en toute impunité, et il n’a pas tenu compte d’une décision de justice ordonnant la libération d’un détracteur du gouvernement maintenu en détention. L’ONU a fait état de nombreuses atteintes aux droits humains, telles que des exécutions extrajudiciaires, des violences sexuelles et fondées sur le genre liées au conflit, ainsi que l’enrôlement et l’utilisation d’enfants par des groupes armés. Le Parlement a adopté deux lois sur la justice de transition visant à promouvoir la réconciliation et à apporter réparation aux victimes du conflit ayant débuté en 2013. L’insécurité alimentaire s’est aggravée en raison de la poursuite du conflit, des inondations, des déplacements et de la hausse du coût de la vie. Les trois quarts de la population avaient besoin d’aide humanitaire et de protection. Le gouvernement n’a pas mis en place de politiques de préparation et d’atténuation adéquates pour faire face aux graves risques induits par le changement climatique.
CONTEXTE
En septembre, les parties à l’Accord revitalisé sur le règlement du conflit en République du Soudan du Sud (R-ARCSS) ont convenu de prolonger jusqu’en février 2027 la période de transition, qui devait s’achever en février 2025, et ont reporté à décembre 2026 les élections prévues en 2024.
Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a renouvelé en avril le mandat de la Commission sur les droits de l’homme au Soudan du Sud.
Le mois suivant, le Conseil de sécurité [ONU] a reconduit jusqu’au 30 mai 2025 l’embargo sur les armes imposé au Soudan du Sud.
En octobre, Akol Koor Kuc a été démis de ses fonctions de directeur général du NSS, poste qu’il occupait depuis l’indépendance du pays, en 2011. Sous son mandat, le NSS a été accusé de nombreuses violations graves des droits humains et de crimes de droit international.
La guerre au Soudan voisin a eu de graves répercussions sur l’économie nationale, les dommages causés aux oléoducs en mars ayant interrompu les exportations de pétrole du Soudan du Sud transitant par Port-Soudan, qui contribuaient à hauteur de plus de 85 % aux recettes de l’État.
Selon le HCR, environ deux millions de personnes étaient toujours déplacées à l’intérieur du pays. Le Soudan du Sud accueillait par ailleurs plus de 500 000 réfugié·e·s, principalement originaires du Soudan. Parallèlement, quelque 2,3 millions de Sud-Soudanais·es avaient trouvé refuge dans des pays voisins depuis le début du conflit en 2013.
LIBERTÉ D'EXPRESSION, D'ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Le 3 juillet, l’Assemblée législative nationale de transition a adopté la Loi de 2024 portant modification de la Loi de 2014 relative au Service national de la sûreté. Ce texte est entré en vigueur par défaut le 12 août, le président, Salva Kiir Mayardit, ne l’ayant ni promulgué ni renvoyé devant le Parlement en vue de sa modification. Cette loi renforçait les pouvoirs déjà très larges du NSS, qui lui permettaient de restreindre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, entre autres. Selon des médias du pays, en septembre, le NSS a ordonné à des professionnel·le·s de la santé d’interrompre leur assemblée générale organisée à Djouba, la capitale, sans fournir d’explication et bien que ceux-ci aient obtenu les autorisations requises en matière de sécurité et respecté le protocole prévu. Il s’agissait, semble-t-il, de la première réunion de ce type organisée depuis huit ans.
En janvier, le ministère de l’Information et de la Communication de l’État de Jonglei a publié une circulaire imposant à l’ensemble des institutions gouvernementales, des ONG et des acteurs du secteur privé d’obtenir une autorisation ministérielle avant de faire des déclarations publiques dans la presse audiovisuelle, au moyen de systèmes d’annonces sonores (micros) ou sur des affiches. Le ministère a annulé cette circulaire quelques jours plus tard à la suite des fortes objections exprimées par la section de Jonglei du Syndicat des journalistes du Soudan du Sud et par des militant·e·s de la société civile.
En juin, les forces de sécurité ont réprimé deux manifestations pacifiques contre le coût de la vie, dispersant les manifestant·e·s et arrêtant au moins deux hommes à Bor, la capitale de l’État de Jonglei.
DISPARITIONS FORCÉES
Dans la nuit du 30 mars, l’ancien maire de Djouba, Kalisto Lado, a été arrêté de façon arbitraire à son domicile, dans cette même ville, par des agents appartenant, semble-t-il, au NSS. Il a été soumis à une disparition forcée pendant trois mois. En juin, le gouvernement a reconnu détenir Kalisto Lado sur la base d’accusations de « conspiration », de « subversion du gouvernement constitutionnel », de « fourniture d’armes aux insurgés, bandits et saboteurs », de « possession d’armes dangereuses » et de « publication ou communication de fausses déclarations préjudiciables à la République du Soudan du Sud ». L’ancien maire a finalement été libéré sans inculpation le 6 septembre. Pendant sa détention, il a été soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES
Le 2 janvier, Raphael Juma Zacharia, militant étudiant qui avait été arrêté arbitrairement en décembre 2023 et incarcéré à Djouba dans un centre de détention du NSS connu sous le nom de « Maison bleue », a été libéré après avoir rédigé une lettre d’excuse au NSS. Il avait été arrêté en lien avec un discours qu’il avait prononcé en novembre 2023 lors d’un rassemblement étudiant à l’université du Haut-Nil et dans lequel il avait évoqué des allégations de corruption et d’impunité visant le NSS et sa direction.
Le 24 mars, vers 20 heures, Michael Wetnhialic, défenseur des droits humains, a été arrêté arbitrairement par des agents du NSS circulant à bord de véhicules sans plaque d’immatriculation, alors qu’il se rendait à une réunion à l’hôtel Nile Fortune de Djouba. Selon certaines informations, il a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir utilisé des comptes Facebook et WhatsApp sous de faux noms pour divulguer des informations sensibles défavorables au NSS et au gouvernement. Il a été libéré par le NSS le 7 novembre, sans inculpation.
Morris Mabior Awikjok Bak, Sud-Soudanais ayant critiqué le gouvernement, a été remis en liberté le 8 novembre, trois mois après que la haute cour de Djouba lui eut accordé une libération sous caution. Il avait été arrêté arbitrairement à Nairobi, au Kenya, en février 2023, et renvoyé de force à Djouba. Il a été détenu pendant plus de 14 mois dans la « Maison bleue », sans enquête ni jugement, et sans pouvoir entrer en contact avec son avocat. Il a comparu pour la première fois devant un tribunal le 16 avril, escorté par des agents du NSS, et a été inculpé de diffamation dans une affaire intentée par le directeur général du NSS de l’époque.
Raphael Juma Zacharia, Michael Wetnhialic et Morris Mabior Awikjok Bak ont tous trois été soumis à la torture et à d’autres mauvais traitements pendant leur détention aux mains du NSS.
DROIT DE CIRCULER LIBREMENT
Des membres du Mouvement populaire de libération du Soudan-Opposition (MPLS-O) ont déclaré que leur dirigeant, Riek Machar, par ailleurs premier vice-président du pays, demeurait soumis à des restrictions qui l’empêchaient de quitter Djouba. Le gouvernement a rejeté les allégations de ces membres l’accusant d’être responsable de ces restrictions présumées. En 2019, le Conseil des ministres de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), un organe régional, avait adopté une résolution recommandant qu’il ne fasse pas l’objet de restrictions sur ses déplacements.
Le 25 septembre, selon les médias, le NSS a empêché Oyet Nathaniel Pierino, premier vice-président du Parlement et vice-président du MPLS-O, de monter à bord d’un vol pour l’Ouganda à l’aéroport international de Djouba, à la suite de quoi celui-ci a critiqué publiquement les restrictions du droit de circuler librement dans le pays.
EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES
Selon la Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS), en octobre, au moins 54 personnes (dont une était mineure) avaient été soumises à une exécution extrajudiciaire par les autorités gouvernementales, notamment par des membres des services de sécurité.
EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS
Dans certaines régions, des affrontements entre éléments armés ont fait des centaines de morts, pour la plupart des civil·e·s, selon la MINUSS, qui a recensé 1 069 homicides résultant de violences intercommunautaires et politiques.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Le Plan d’action des forces armées sur la lutte contre les violences sexuelles liées au conflit au Soudan du Sud, arrivé à expiration le 31 décembre 2023, a été reconduit pour une durée de trois ans (de 2024 à 2026).
La MINUSS a recensé 157 cas de violences sexuelles liées au conflit touchant 183 victimes (113 femmes, 66 filles et quatre hommes) âgées de neuf à 65 ans.
DROITS DES ENFANTS
La MINUSS a fait état de 84 violations graves commises dans le cadre du conflit armé contre 68 mineur·e·s (53 garçons, neuf filles et six enfants de sexe inconnu), dont 12 homicides et deux cas de mutilations (sur sept garçons, une fille et six autres enfants dont on ignorait le sexe). Parmi ces victimes, 41 garçons et trois filles ont été enrôlés et utilisés par des groupes armés, et cinq filles ont été violées. Neuf garçons au moins ont subi de multiples violations comprenant leur enlèvement, leur enrôlement et leur utilisation par des groupes armés.
DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX
La situation économique a été marquée par un coût de la vie exorbitant, une inflation élevée et une dépréciation de la monnaie nationale. Le versement des salaires dans la fonction publique a été retardé de plus de neuf mois, ce qui a entraîné des manifestations de fonctionnaires à Bor et d’employé·e·s des universités de Bahr el Ghazal, du Haut-Nil et de Rumbek, entre autres.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, la situation en matière de sécurité alimentaire s’est dégradée en raison des inondations, du conflit persistant, des déplacements et du coût élevé de la vie. Le conflit au Soudan voisin a continué d’aggraver une situation humanitaire déjà critique. Fin décembre, plus de 900 000 personnes, notamment des personnes de retour dans le pays, réfugiées ou en quête d’asile, avaient fui le Soudan et gagné le Soudan du Sud.
Neuf millions de personnes, soit 75 % de la population, avaient besoin d’aide humanitaire et de protection. Selon les prévisions, environ 7,1 millions de personnes (56,3 % de la population) allaient être confrontées à une insécurité alimentaire de phase 3 (crise) ou plus pendant l’année. Les taux de malnutrition sont restés élevés, plus de 2,5 millions d’enfants et de femmes souffrant de malnutrition aiguë. Le Plan de réponse humanitaire 2024 des Nations unies n’a reçu que 68,5 % des 1,8 milliard de dollars nécessaires pour apporter des services vitaux d’assistance et de protection à six millions de personnes.
Le déficit de l’État a entraîné une réduction des dépenses dans les services publics, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation, et une augmentation de la dette. Soixante-dix pour cent des enfants étaient temporairement déscolarisés en raison de la situation économique.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
Le 9 mai a débuté à Nairobi (Kenya) une médiation de haut niveau pour le Soudan du Sud consistant en des pourparlers de paix entre le gouvernement et des groupes armés n’ayant pas signé le R-ARCSS. Connue sous le nom d’Initiative Tumaini (« espoir »), elle visait principalement à accélérer la mise en œuvre des dispositions de l’accord de 2018 et à créer un environnement propice à son application.
Le 11 novembre, le président Salva Kiir a promulgué deux textes de loi relatifs à la justice de transition en vue de remédier aux séquelles du conflit ayant débuté en 2013 et d’offrir réparation aux victimes. La Loi de 2024 relative à la Commission vérité, réconciliation et guérison visait à mettre en place une commission chargée de promouvoir la paix, la réconciliation nationale et le rétablissement du pays, et la Loi de 2024 relative à l’Autorité d’indemnisation et de réparation à identifier les personnes éligibles à des réparations, ainsi qu’à établir un fonds à cette fin.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Le pays restait exposé à de graves risques résultant du changement climatique, face auxquels le gouvernement n’a pas mis en place de politiques adéquates de préparation et d’atténuation. Selon le Centre de connaissances en matière de gestion des risques de catastrophe, le Soudan du Sud était le deuxième pays au monde le plus exposé aux catastrophes naturelles.
En octobre, le Conseil des ministres a validé la déclaration de l’état d’urgence dans les zones touchées par les inondations, qui ont détruit des moyens de subsistance, submergé des infrastructures essentielles et déplacé des populations vers les hauteurs. D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU], ces inondations ont touché plus de 1,4 million d’habitant·e·s et entraîné le déplacement d’environ 379 000 personnes dans 22 comtés.

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