Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
Deux policiers russes dans l'ombre bloquent l'accès à la place Rouge à Moscou le 2 mars 2022 / © Kirill Kudryavtsev via AFP

Deux policiers russes dans l'ombre bloquent l'accès à la place Rouge à Moscou le 2 mars 2022 / © Kirill Kudryavtsev via AFP

Liberté d'expression

Russie : le Kremlin musèle totalement les journalistes indépendants

Vladimir Poutine mène aussi une guerre contre la liberté d’expression. Suite à l’invasion de l’Ukraine, les autorités russes ont déclenché une répression sans précédent contre le journalisme indépendant et les voix antiguerre. C’est une guerre de l’information qui sévit en Russie.

8 avril 2022

Fermeture de notre bureau à Moscou

Nous le craignions, c’est arrivé : les autorités russes ont fermé notre bureau à Moscou. Nos équipes étaient en Russie depuis 1993. La fermeture de notre bureau ne marque pas la fin de notre travail en Russie. Au contraire, nous redoublerons d’efforts pour recenser, documenter, dénoncer les violations des droits humains commises par la Russie, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

Depuis le 24 février 2022, on assiste à une répression implacable des autorités russes contre les voix qui vont à l’encontre du récit officiel sur la guerre.   

Notre site internet en langue russe bloqué !

Au moment même où nous publions cet article, nous apprenons que les autorités russes ont bloqué notre site internet en langue russe. Le Kremlin veut supprimer l’accès à nos enquêtes sur les possibles crimes de guerre en Ukraine. Nous appelons les autorités au déblocage immédiat de notre site. La population russe doit pouvoir décider librement des sources d’information qu’elle souhaite pouvoir consulter. Notre site en langue russe est donc bloqué en Russie mais reste disponible partout ailleurs. Consultable ici.

Plus que jamais, nous continuerons d'enquêter pour informer de toutes les violations des droits humains commises.

Les médias les plus populaires et critiques du pouvoir ont été bloqués, notre propre site en langue russe bloqué, des stations de radio indépendantes ont été fermées, des dizaines de journalistes ont été contraints de cesser leur travail, certains ont même quitté le pays. Avec cette répression, les autorités privent les Russes d’un accès à des informations objectives, impartiales et fiables.

Depuis que les chars russes sont entrés en Ukraine, les autorités ont basculé vers une stratégie de la terre brûlée qui a transformé le paysage médiatique de la Russie en terrain vague .

Marie Struthers, directrice du programme Europe de l’Est et Asie centrale à Amnesty International.

Une vidéo a fait le tour du monde : une journaliste russe, Marina Ovsiannikova, a fait irruption sur un plateau de One TV, la principale chaîne russe. Entre ses mains, ce panneau : « Ne croyez pas la propagande. Ici, ils vous mentent. Les Russes sont contre la guerre ». Elle a crié : « Arrêtez la guerre ! » en plein direct. Cinq secondes de courage immense. Cinq secondes pour défier la propagande du Kremlin. Mais cinq secondes qui pourraient conduire Marina Ovsiannikova en prison.

Lire aussi : Notre dossier sur la guerre en Ukraine

Arrêtée immédiatement après son irruption sur le plateau TV, Marina Ovsiannikova a finalement été libérée mais condamnée à une amende. Au vu de la nouvelle loi relatives aux "fausses informations", Marina Ovsiannikova pourrait risquer d'autres poursuites allant jusqu’à quinze ans de prison. Nous sommes à ses côtés, aux côtés des journalistes et correspondants russes muselés, arrêtés ou contraints à l’exil. 

Le mot « guerre » interdit  

Le Kremlin interdit les termes « guerre », « invasion » et « attaque » pour décrire les actions militaires de la Russie en Ukraine.

Depuis le début de l’invasion, Roskomnadzor, le gendarme russe des médias, a mis en place une censure analogue à celle des zones de conflit pour faire taire la dissidence. Le 24 février 2022, le service de régulation a ordonné à tous les médias de n’utiliser que des sources d’information officielles, approuvées par l’État, dès lors qu’ils évoqueraient la guerre en Ukraine.

À cet ordre inacceptable, s’ajoute des interdictions : les termes « guerre », « invasion » et « attaque » sont tous interdits pour décrire les actions militaires de la Russie en Ukraine. Les appels à la « paix » également. Si une personne déroge à la règle, elle risque de graves sanctions pour diffusion de « fausses informations ».  

L’accusation de « fausses informations » : l’arme du Kremlin 

Le 4 mars 2022, le parlement russe a présenté un texte de loi qui criminalise encore davantage le partage de « fausses informations » portant sur les activités des forces armées russes ou « discréditant » les troupes russes. Toute personne accusée d’avoir commis ces « crimes » est passible d’amendes d'un montant exorbitant ou d’une peine allant jusqu’à quinze ans de prison. Seulement trois jours après son vote, déjà plus de 140 personnes sont détenues en vertu de la nouvelle loi. 

Médias, Facebook, Twitter : erreur 404 

Le 28 février, Roskomnadzor a bloqué Nastoyashchee Vremya  (Temps présents), une filiale de Radio Free Europe/Radio Liberty (RFE/RL), pour avoir diffusé des informations « peu fiables » sur l’invasion.

Le 1er mars, la quasi-totalité des médias ukrainiens étaient inaccessibles aux internautes en Russie. 

Le Kremlin a ensuite censuré toute une série de médias indépendants, notamment la société de diffusion TV Rain, la station de radio Écho de Moscou, Meduza basée en Lettonie, les organes médiatiques russes critiques Mediazona, Republic et Sobesednik, le portail de militantisme associatif Activaticales services en langue russe de la BBC,  les portails de Voice of America et de Deutsche Welle. 

Le gendarme des médias russe s’est aussi attaqué aux réseaux sociaux. Roskomnadzor a accusé Facebook et Twitter de diffuser des informations « inexactes » sur le conflit en Ukraine. Résultat : depuis le 4 mars 2022, les deux réseaux sociaux sont bloqués en Russie. Quelques jours après, c'était au tour d'Instagram.

150 journalistes ont fui la Russie 

Le blocage des sites Internet et la menace de poursuites pénales ont aussi donné lieu à un exode de journalistes russes.  Selon Agentstvo, un site de journalisme d’investigation désormais inaccessible en Russie, au moins 150 journalistes ont fui le pays depuis le début de la guerre. Pour ceux qui restent, la peur est présente et l’intimidation constante. 

Lire aussi : En Russie, le journalisme est un métier à haut risque

Par peur des représailles, TV Rain a décidé de suspendre ses programmes. Par peur de la censure, Znak.com, une importante chaîne d’information régionale, a interrompu ses activités. La station de radio Écho de Moscou a été retirée des ondes ; peu après, ses propriétaires ont décidé de liquider l’entreprise. Même Novaïa Gazeta, flambeau du journalisme indépendant dirigé par le lauréat du prix Nobel de la paix Dmitri Mouratov, a annoncé le 4 mars 2022 la suppression de ses articles sur l’invasion russe de l’Ukraine. Et le 28 mars, la rédaction a pris la lourde décision de suspendre l'ensemble de ses publications suite à plusieurs avertissements envoyés par le gouvernement russe.

*Les premières lois contre les « agents de l'étranger » sont entrées en vigueur le 21 novembre 2012. Elles se sont étendues aux médias en décembre 2017 puis directement contre les journalistes en 2019.

Les autorités s’appuient également sur une législation  répressive contre les médias et les voix dissidentes : les lois relatives aux « agents étrangers »a>* et aux « organisation indésirables » sont utilisées comme des armes.

Deux médias d’investigation, Vazhnye Istorii (Histoires importantes) et le Projet de lutte contre le crime organisé et la corruption (OCCRP), ont été classés comme « organisations indésirables ». Leurs activités sont alors considérées comme des infractions. Résultat : il leur est interdit de travailler en Russie. 

Lire aussi : En Russie, une parole libre est-elle encore possible ?

La résistance des journalistes russes 

Depuis vingt ans, les autorités russes mènent une guerre secrète contre les voix dissidentes en arrêtant des journalistes, en fermant des salles de rédaction indépendantes et en contraignant les patrons de presse à imposer l’autocensure à leurs journalistes 

Voir : L'histoire tragique d'Ana Politkovskaïa, la journaliste qui défia Poutine

Depuis le 24 février 2022, en Russie, l’étau s’est davantage resserré sur la liberté d’expression des médias. Mais la presse libre n’est pas morte. Elle résiste. Bien qu’ils ne soient plus dans leur salle de rédaction, les journalistes poursuivent leur travail en tant que reporters exilés. Désormais, en Russie, il n’est plus possible de voir leurs reportages à la télévision, ni de les entendre à la radio ou de lire leurs articles dans les journaux russes. Mais leurs informations continuent d’être diffusées dans le monde entier sur YouTube et via Telegram. Il faut exprimer une totale solidarité internationale envers les journalistes russes et les correspondants. Leurs informations sont essentielles, elles doivent être relayées et estimées à leur juste valeur. 

La Russie traverse une période sombre. La solidarité est plus que jamais primordiale afin de défier la violence d’État. Nous appelons les autorités russes à mettre fin à leurs attaques contre les organisations de la société civile et les journalistes. Nous engageons la communauté internationale à apporter tout le soutien nécessaire aux journalistes, aux défenseurs des droits humains et aux militants russes qui, chaque jour, continuent d’élever leur voix contre la répression et pour le respect de leur liberté.