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Un gendarme passe devant un collage avec le message "stop islamophobie" sur la place de la Bastille lors de la manifestation contre la loi de sécurité globale en 2021. © Xosé Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Qu’est-ce que l’islamophobie ?
L’islamophobie est caractérisée par la peur, les préjugés et la haine envers les personnes musulmanes, selon la définition des Nations unies. Est-elle punie par la loi ? Pourquoi employer ce terme ? Voici nos réponses à dix questions que l’on peut se poser sur l’islamophobie.
1. L’islamophobie est-elle une forme de racisme ?
L’islamophobie est un racisme qui cible des personnes qui sont perçues comme musulmanes (qu’elles le soient ou non) souvent en fonction de leur apparence physique, de leur nom ou de leur origine géographique.
Le racisme qui touche les personnes musulmanes résulte de la construction dans l’imaginaire collectif d’un groupe social homogénéisé qui imbrique la religion, l’origine ethnique ou nationale, et des éléments culturels, voire physiques.
Source : Being Muslim in the EU - Experiences of Muslims, 2024.
Les Nations unies, depuis l’instauration d’une journée internationale de lutte contre l’islamophobie, la considèrent “comme une forme de racisme, dans laquelle la religion, la tradition et la culture islamiques sont considérées comme une “menace” pour les valeurs occidentales”.
L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a quant à elle, adopté une résolution appelant à reconnaître l’islamophobie comme une forme de racisme, en octobre 2022.
Lire aussi : Qu'est-ce que le racisme et la discrimination raciale ?
2. L’islamophobie est-elle punie par la loi ?
En tant que discrimination raciale, l’islamophobie est interdite par le droit international, par exemple dans la Déclaration universelle des droits de l’homme qui prône l’égalité entre tous les êtres humains dans son premier article.
L’ONU condamne toute forme de discrimination religieuse et raciale, y compris les actes islamophobes, à travers son principal instrument juridique contre la discrimination raciale, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CIEDR).
En France, l’islamophobie n’est pas explicitement inscrite dans le droit pénal. Mais les actes islamophobes peuvent être punis par la loi en tant que discriminations et incitations à la haine fondées sur la race ou la religion. Deux lois sur la discrimination raciale sont particulièrement importantes en France :
Loi Pleven de 1972 : elle vient mettre en conformité la législation française avec la CIEDR.
Loi Gayssot de 1990 : elle vise à réprimer les actes racistes, antisémites et xénophobes, ainsi que la négation des crimes contre l’Humanité. Elle interdit également la discrimination sur des critères ethniques, nationaux ou raciaux.
3. L’islamophobie est-elle récente ?
L’islamophobie trouve ses racines principalement dans l’histoire de la colonisation européenne. La colonisation s’est appuyée sur des théories de l’inégalité et de hiérarchie supposées des “races”.
Malgré la fin du système colonial et esclavagiste, des représentations et mécanismes racistes issus du colonialisme et de l’esclavage persistent dans nos sociétés actuelles.
En somme, les structures contemporaines de la discrimination raciale, des inégalités, et de la subordination sont parmi les héritages les plus saillants de l’esclavage et du colonialisme.
Rapporteuse spéciale de l'ONU, 2019.
Une des représentations islamophobes les plus répandues est celle selon laquelle les personnes musulmanes seraient dangereuses et violentes par nature. Ces préjugés ont été réactivés et intensifiés avec la "guerre contre le terrorisme", qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
L’islamophobie est une forme de racisme systémique, aujourd’hui extrêmement répandue et ancrée au sein des institutions et des systèmes de pouvoir, mais aussi dans la société et la vie quotidienne.
4. Pourquoi le terme "islamophobie" fait-il débat ?
En France, les débats ont tendance à se cristalliser autour de l’emploi du terme “islamophobie”. Ceux qui ne veulent pas employer ce terme avancent l’argument qu’au nom de la liberté d’expression, nous ne devrions pas empêcher la critique de la religion islamique.
Pourtant la critique de l’Islam ne relève pas de l’islamophobie. Comme l’a rappelé le Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction “La critique des idées, des dirigeants, des symboles ou des pratiques de l’Islam n’est pas islamophobe en soi ; sauf si elle s’accompagne de haine ou de préjugés à l’égard des musulmans en général.”
En France, la focalisation des débats publics sur l’emploi ou non de ce terme vient invisibiliser et détourner l’attention du problème sur lequel les autorités doivent réellement se pencher : le racisme et les discriminations vécues par les personnes musulmanes.
Nous choisissons à Amnesty International d’employer le terme d’islamophobie, conformément à l’usage dans le droit international et à la terminologie retenue par les personnes concernées par cette discrimination raciale.
5. L’islamophobie touche-t-elle les individus de manière inégale ?
L’islamophobie touche de manière disproportionnée les femmes. Elles se retrouvent à l’intersectionnalité de plusieurs discriminations qui se croisent et s’amplifient mutuellement.
Les Nations unies dénoncent la triple peine dont sont victimes certaines de ces femmes en tant que femmes, musulmanes, mais aussi membres d’une minorité ethnique.
Le dernier rapport de l’agence européenne pour les droits fondamentaux rappelle que les femmes et les filles musulmanes sont exposées à des risques accrus de violence et d'exclusion de l'éducation, de l'emploi, du sport et de la culture.
En France, de nombreuses fédérations françaises comme celles de football, basketball ou encore volleyball interdisent le port de signes religieux lors des compétitions sportives. Les sportives musulmanes portant le voile sont particulièrement visées par cette décision.
Cette interdiction, discriminatoire, va à l’encontre des règlements des organes sportifs internationaux comme la Fédération internationale de basketball (FIBA), la Fédération internationale de football (FIFA) et la Fédération internationale de volleyball (FIVB).
Un groupe de sénateurs a tenté à plusieurs reprises d'étendre cette politique à une loi nationale applicable à tous les sports.
Notre tribune : Les sportives qui portent le voile ont le droit de jouer, comme les autres !
6. L'islamophobie augmente-t-elle en France ?
Selon les chiffres de la police et la gendarmerie, le nombre d’actes racistes est en augmentation en France. Nous avons dénoncé le manque d’action des pouvoirs publics lors du meurtre d’Aboubakar Cissé, assassiné dans la mosquée de La Grand-Combe. L’auteur de ce crime a déclaré dans des vidéos des propos islamophobes « Je l’ai fait, (…) ton Allah de merde. » Quelques mois après seulement, Hichem Miraoui, tunisien de 45 ans, a été assassiné par son voisin dans le Var.
En tout, 145 actes islamophobes ont été recensés par le ministère de l’Intérieur entre janvier et mai 2025, ce qui correspond à 75% d’augmentation des actes islamophobes en France.
Ces réserves découlent de l’absence de données dites “raciales” ou “ethniques” sur la composition de la population permettant de détecter la discrimination à l’échelle nationale en France. Elles proviennent également des limites du recensement des actes de haine, notamment dû à la sous-déclaration des actes par les victimes.
Mais ce manque de données a pour conséquence d’invisibiliser l’ampleur de l’islamophobie en France et d'empêcher les réponses politiques nécessaires.
Ainsi, en 2022, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations unies a recommandé à la France “de s’appuyer sur ces données [ethniques] pour élaborer ses politiques de lutte contre la discrimination raciale.”
Dans le cas des contrôles discriminatoires d’identité par exemple, on ne sait pas combien de contrôles d’identité sont pratiqués par les forces de l’ordre chaque année, ni sur qui, ni où, ni à quoi ils servent. Or la pratique systémique et généralisée des contrôles discriminatoires a été largement documentée.
Ainsi, voir des données précises permettrait de rendre compte de l’ampleur de la discrimination raciale et de s’appuyer dessus pour mettre en place des mesures de lutte contre cette discrimination systémique.
7. Existe-t-il des lois et dispositions islamophobes en France ?
En France, des lois, politiques et pratiques, sous couvert de protéger, favorisent en réalité la discrimination raciale. C’est en particulier le cas de lois et mesures visant à lutter contre le “terrorisme", le "séparatisme” et à interdire le port de signes religieux.
Nos recherches ont démontré que les mesures de contrôle administratif mises en place après les attentats de 2015 ont été appliquées de manière disproportionnée à l’encontre des personnes musulmanes, avec parfois comme seule justification la pratique de l’Islam ou la visibilité de celle-ci chez la personne soumise aux mesures de contrôle administratif.
La loi séparatisme a quant à elle accru l’arsenal de mesures répressives pouvant être prises à l’encontre des personnes et communautés musulmanes.
Par ailleurs, les nombreuses interdictions du port de signes religieux ont non seulement un impact négatif sur les droits des femmes - qu’il s’agisse de leur droit à l’éducation, au travail, à la santé ou à la pratique sportive - mais ont, de plus, accru l’idée selon laquelle le foulard porté par les femmes musulmanes n’était pas compatible avec les ”valeurs de la République" et notamment la laïcité.
Lire aussi : Cinq choses à savoir sur l’obligation ou l’interdiction du port du foulard
La dissolution de cette ONG qui luttait contre la discrimination anti-musulmane en France, est un cas emblématique d'excès de pouvoir entraînant des attaques contre la liberté d'expression et d'association des communautés musulmanes.
La dissolution d'une organisation par décret est une mesure extrême qui ne peut être justifiée que dans des circonstances très limitées, par exemple si elle représente un danger clair et imminent pour la sécurité nationale ou l'ordre public. Les autorités françaises n'ont fourni aucune preuve d'une telle menace lorsqu'elles ont justifié la dissolution du CCIF, ce qui fait craindre un effet dissuasif pour les militants et les ONG qui luttent contre la discrimination en France.
8. Les responsables politiques ont-ils une responsabilité dans la propagation de l’islamophobie ?
Les discours stigmatisants des responsables politiques, la mise en place de lois qui favorisent la discrimination raciale et les discours médiatiques participent pleinement à la montée des actes islamophobes en France et dans le monde.
Exemples de propos stigmatisants et islamophobes des responsables politiques :
"Le voile n'est pas souhaitable dans notre société”, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, sur BFM TV, 2019
“Nous sommes dans un bâtiment public, nous sommes dans une enceinte démocratique, madame a tout le loisir de garder son voile chez elle, dans la rue, mais pas ici !”, Julien Odoul, député du groupe Rassemblement National lors d’une séance plénière du Conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.
« Nous vivons dans notre société avec une minorité de gens qui, détournant une religion, viennent défier la République et la laïcité. Et ça a parfois donné le pire : on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu l’attaque terroriste et l’assassinat de Samuel Paty dans notre pays », Emmanuel Macron, président de la République, interrogé sur le port de l’abaya lors de son interview par Hugo Décrypte le 4 septembre 2023
“Ce sont des musulmans, ils sont noirs”, Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, lors d’un passage sur LCI, février 2025
"Pour moi le voile c’est un vrai marqueur de la soumission (...) Vive le sport, à bas le voile", Bruno Retailleau lors d’un meeting en mars 2025
9. Y-a-t-il une politique de lutte efficace contre l’islamophobie en France ?
Nous ne voyons pas à l’heure actuelle de mise en place de politique publique active et efficace de lutte contre la discrimination raciale. Au contraire, il y a même de plus en plus de lois qui alimentent la discrimination raciale.
Le plan national de lutte contre le racisme ne mentionne ni l’islamophobie et/ou les personnes musulmanes, ni le racisme systémique. Ce plan, qui est l’outil principal de la France pour lutter contre le racisme et les discriminations, ne dispose pas de financement dédié et n’a que peu été mis en œuvre depuis la création en 2023. Sa direction est restée vacante pendant de longs mois et les premiers ministres se sont désintéressés de la question, ce qui en dit long sur l’intérêt de la France à lutter efficacement contre le racisme.
Par ailleurs, le refus de la reconnaissance de l’islamophobie en tant que racisme systémique explique l’inaction de la France.
Les autorités françaises nient l’existence de pratiques policières racistes généralisées, et tout particulièrement des contrôles discriminatoires d’identité qui relèvent de l’islamophobie et de la négrophobie.
Pourtant, les mécanismes internationaux, européens et français de droit humains les ont reconnus de longue date comme étant un symptôme du racisme systémique.
Au moment du meurtre de Nahel Merzouq à l’été 2023 et des révoltes qui ont suivi, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a demandé à la France de "s'attaquer en priorité aux causes structurelles et systémiques de la discrimination raciale”. Le ministère français des Affaires étrangères a répondu sans équivoque : “Toute accusation de racisme ou de discrimination systémique par les forces de l’ordre en France est infondée".
Lire aussi : Qu’est-ce que le contrôle au faciès ?
10. L’islamophobie est-elle un problème français ?
L’islamophobie n’est pas propre à la France même si elle reste particulièrement aiguë en France en raison de son passé colonial, et des débats autour de l’immigration et de l’identité nationale.
L’islamophobie s’est intensifiée dans le monde depuis les attentats du 11 septembre 2001. En Europe, la multiplication de lois antiterroristes et de lois relatives à la sécurité nationale a particulièrement ciblé les personnes et les communautés musulmanes. Elles ont entrainé une suspicion généralisée envers les personnes musulmanes ou perçues comme telles en Europe, portant atteinte à leurs droits à l’éducation, au logement, ou à la santé. La Rapporteuse spéciale des Nations unies s’est dit particulièrement inquiète du risque que ces lois puissent porter atteinte, de manière disproportionnée, stigmatiser et marginaliser davantage les personnes musulmanes ou perçues comme telles.
Dans le reste du monde, un expert de l’ONU dénonçait en 2021 les « proportions épidémiques de la haine antimusulmane ». L’islamophobie peut avoir des conséquences effroyables que nous avons dénoncées dans plusieurs endroits du monde :
Les crimes contre l’humanité à l’encontre des Ouïghours et autres minorités musulmanes en Chine.
Les Rohingyas, groupe ethnique de religion musulmane, victimes de nettoyage ethnique au Myanmar.
Les violences et les discriminations cautionnées par l’État à l’égard des musulmans au Sri Lanka.
Une politique de démolition punitive de propriétés appartenant à des musulmans en Inde.
Les graves conséquences du décret anti-musulman aux États-Unis.
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