En Hongrie, les droits et libertés des personnes LGBTI+ subissent un recul alarmant depuis plusieurs années. Dernière attaque en date : le vote d’une loi pour permettre l’interdiction des rassemblements LGBTI+. Déjà en juin, un événement LGBTI+ a été interdit par la police en vertu de cette même loi. À l’approche de la Pride de Budapest prévue le 28 juin prochain, nous avons rencontré Zalán Varga, militant hongrois pour les droits LGBTI+. Dans cet entretien, il raconte la répression, la réduction brutale des droits et libertés, mais aussi la résistance qui s’organise dans le pays. Témoignage.

Portrait de Zalán Varga © Collection privée
Qu’est-ce qui vous a amené à vous engager pour les droits des personnes LGBTI+ ?
C’est la situation actuelle en Hongrie, et les nombreuses difficultés que traverse mon pays, qui m’ont motivé à m'engager dans ce domaine, notamment dans le plaidoyer et les droits humains. Durant ma licence, j’étais déjà très intéressé par les questions LGBTI+ et j’ai eu la chance d’étudier ces sujets dans l'une des rares universités hongroises qui n'étaient pas sous l’influence directe du gouvernement.
Cela m’a permis d’écrire mon mémoire sur les droits LGBTI+ et d’adopter une position critique vis-à-vis de la situation dans le pays, une démarche qui aurait été presque impossible ailleurs en Hongrie. Dans le même temps, j’ai travaillé avec la section hongroise d’Amnesty International et également collaboré avec la section belge, pour laquelle j’ai eu l’occasion de m’exprimer sur la situation en Hongrie en 2023 durant les Prides.
A cette époque, il n’y avait pas encore eu d’attaques directes à l’encontre de la Pride de Budapest malgré les nombreuses attaques contre la communauté LGBTI+. Maintenant, les choses ont beaucoup évolué.
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Comment avez-vous vécu votre engagement et votre appartenance à la communauté LGBTI+ en Hongrie ?
En Hongrie, être activiste pour les droits des personnes LGBTI+ ou même effectuer des études sur le genre peut vous fermer des portes. Les organes gouvernementaux rejettent souvent ce type de profil. Ce n’est pas propre aux personnes LGBTI+, c’est vrai pour toute personne perçue comme « opposante ». En Hongrie, il ne suffit pas de cacher son orientation sexuelle ou son identité de genre, il faut aussi cacher ses opinions. Le gouvernement a du pouvoir sur des domaines qu’on n’imaginerait pas dans un pays démocratique, où c’est normalement la règle de droit qui devrait prévaloir.
Faire son coming-out dans un contexte hostile où les personnes LGBTI+ sont traités comme des outsiders et des ennemis de la Nation est une décision extrêmement difficile. On ne sait jamais quel impact cela aura sur sa carrière, ses relations, sa vie personnelle. En Hongrie, je me fichais de l’opinion publique et j’osais tenir la main de mes petits-amis. Si je n’ai jamais subi d’agressions physiques, les agressions verbales étaient très fréquentes, notamment des insultes.
Cette réalité et le contexte actuel dans le pays freine beaucoup de personnes à pouvoir vivre pleinement leur identité et de jouir de leurs droits librement. C’est un climat pesant, qui pousse beaucoup de personnes à quitter le pays.

Portrait de Zalán Varga © Collection privée
Comment décririez-vous l’évolution des droits LGBTI+ en Hongrie ces dernières années ?
Malheureusement, les droits et libertés des personnes LGBTI+ se sont considérablement dégradés ces dernières années. Quand la Hongrie a rejoint l’Union européenne, elle faisait partie des pays d’Europe de l’Est les plus avancés en matière de droits LGBTI+. Il y avait un partenariat civil, et la discrimination n'était pas un problème majeur à cette époque. C’était il y a deux décennies.
Depuis 2019, tout a changé. A ce moment, le gouvernement a entamé une stratégie d’attaque contre la communauté LGBTI+ : impossibilité de changer de genre légalement, inscription dans la Constitution que la famille est composée d’un homme et d’une femme, puis enfin adoption d'une loi dite "contre la pédophilie" qui a été utilisée pour censurer les contenus LGBTI+. Ils ont commencé à associer la communauté LGBTI+ à la pédophilie, en alarmant sur les dangers que cela pouvait entrainer pour les enfants.
C’est une rhétorique populiste empruntée à la Russie, et qui est maintenant reprise en Hongrie et dans d’autres pays. C’est cette même rhétorique qui sert aujourd’hui l’interdiction des marches des fiertés.
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Comment expliquez-vous ce changement de discours vis-à-vis de la communauté LGBTI+ ?
Viktor Orbán est au pouvoir depuis plus de seize ans mais il n’a pas toujours ciblé la communauté LGBTI+. Bien qu’il n’ait jamais soutenu publiquement la communauté LGBTI+, il reconnaissait le droit de manifester, notamment pendant les Prides, et le droit à la vie privée. C’est un parti religieux mais je ne pense pas qu’ils réalisaient à l’époque qu’ils pouvaient construire leur pouvoir en attaquant la communauté LGBTI+.
C’est vraiment à partir de 2019 qu’ils ont compris que cibler les minorités LGBTI+ pouvait leur permettre de mobiliser leur électorat et de gagner davantage de pouvoir. Aujourd’hui, le parti est désespéré et cherche surtout à se repositionner avant les élections l’année prochaine. Ils savent que leur popularité baisse et utilisent des stratégies très polarisantes pour rassembler leur base.
Pendant la « crise » migratoire de 2015, les personnes migrantes et demandeurs d’asile était les principales cibles et le parti a compris que cela marchait. Une fois que cette cible a disparu, ils se sont tournés vers une autre minorité : la communauté LGBTI+, une communauté qui – elle - sera toujours présente en Hongrie.
De plus, interdire la Pride leur permet de mettre l’opposition dans une position délicate : soutenir la Pride et risquer de perdre des voix conservatrices, ou ne rien dire et se couper de l’électorat progressiste.
Enfin, avec l’arrivée du président américain Donald Trump à la Maison-Blanche, il y a une forme de validation de plus pour Orbán. Il le dit lui-même : « Avant, l’UE et les États-Unis nous freinaient. Maintenant, les USA nous soutiennent. » De fait, Trump renforce la légitimité de cette idéologie anti-LGBTI+ portés par les autorités hongroises.
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Comment avez-vous réagi face au vote de la nouvelle loi qui vise à interdire la Pride de Budapest ?
Même si ce n’est que la continuation d’une politique répressive en cours depuis plusieurs années, j’ai été surpris qu’ils aillent aussi loin. Car en réalité, cette loi ne vise pas uniquement les personnes LGBTI+, mais toutes les formes de protestations. C’est une attaque généralisée contre la liberté d’expression, camouflée derrière des motifs « moraux ».
Ce qui est frustrant, c’est que notre existence est en permanence utilisée comme un outil politique. Être LGBTI+ en Hongrie, c’est être un ennemi intérieur et pas un citoyen comme les autres. Même l’opposition n’ose pas s’exprimer : bien qu’elle soutienne le droit de manifester, elle n’ose pas prendre position de peur de perdre des votes.
Sur quels soutiens pouvez-vous compter ?
Nous avons tout de même un soutien politique de taille en la personne du maire de Budapest, qui a déclaré publiquement qu’il soutiendrait la Pride, qu’il y participerait et qu’il chercherait des solutions légales pour qu’elle ait lieu. Il souhaite être en première ligne de la Pride de Budapest et ouvrir la marche car pour lui « personne n’est libre, tant que nous ne sommes pas tous libres ». C’est important d’avoir une figure politique importante comme alliée - qui par ailleurs a toujours été à nos côtés – car cela peut aussi rassurer les gens qui souhaitent participer à la Pride mais hésitent, de peur des représailles.
Le soutien européen est par ailleurs immense. Nous avons notamment reçu un prix international de la part de la ville de Paris récemment durant la cérémonie LGBTI+. Les marches des fiertés de Bruxelles ont également été très vocales sur le sujet et cela sera également un sujet abordé durant les marches des fiertés de Paris. Le travail d’organisations comme Amnesty International et le soutien de la société civile est également essentiel en Hongrie pour les personnes LGBTI+.
Pensez-vous que les manifestations actuelles reflètent un changement dans l’opinion publique ?
Il y a un contre-effet très fort : depuis le vote de la loi interdisant les marches fiertés, des milliers de personnes sont descendues dans les rues pour contester les politiques en cours. Bien que les autorités essayent de cacher leurs politiques derrière l’interdiction des marches des fiertés en Hongrie, les gens comprennent qu’il ne s’agit en réalité que d’une couverture et que les autorités sont en réalité en train d’interdire progressivement toute forme de protestation et d’opposition.
Les gens ne manifestent pas uniquement pour les droits LGBTI+, mais pour défendre leur propre droit à manifester, à exprimer leur opinion. Beaucoup de personnes qui n’étaient jamais venues à une Pride auparavant promettent maintenant d’y aller, par solidarité. Ils comprennent que tout cela n’est qu’un mensonge du gouvernement et que c’est en réalité leurs propres droits qui sont menacés.
Dans quelles mesures les politiques de Viktor Orbán contribuent-elles à une libération des discours de haine ?
La majorité des Hongrois ne sont pas en accord avec Viktor Orbán et ne considère pas les personnes LGBTI+ comme une menace. Cependant le climat politique ces dernières années a encouragé celles qui ont l’intention d’attaquer notre communauté.
Désormais, ceux qui perpétuent des crimes de haine se sentent en quelque sorte légitimés par les politiques et discours portés par les autorités. En raison des attaques ouvertes du gouvernement et de sa rhétorique hostile (par exemple, en présentant la Pride comme une menace pour les enfants), ces personnes se sentent plus libres d’exprimer leur haine, plus ouvertement et de manière plus agressive. Ils savent qu’ils n’encourent pas de poursuites judiciaires en stigmatisant des membres de la communautés LGBTI+.
Par ailleurs, cela s’observe aussi sur les réseaux sociaux, dans les médias. Les gens se sentent beaucoup plus légitimes de partager une opinion qui diabolise les personnes LGBTI+. La plupart des médias en Hongrie sont contrôlés par les autorités : cela leur permet de pouvoir diffuser facilement leur propagande. Les gens qui n’ont donc accès qu’à un seul type d’information, porté par les autorités, risquent d’y croire.
Malgré le contexte et les risques encourus, allez-vous participer à la Pride de Budapest le 28 juin prochain ?
Oui, bien sûr. Et je pense que plus nous serons nombreux, moins ce sera dangereux. Quand les gens me demandent si je n’ai pas peur d’être reconnu grâce à la reconnaissance faciale, je leur réponds que non : le gouvernement ne parviendra pas à retrouver 40 000 personnes ! Si nous montrons que nous ne reculons pas, alors nous envoyons un message fort.
Ce qui me donne de l’espoir aujourd’hui c’est de voir qu’Amnesty International France se mobilise sur le sujet, de voir tout ce soutien en Europe mais aussi partout dans le monde. C’est aussi de voir l’immense réseaux que représente la communauté LGBTI+ à travers le monde. Voilà ce qui me donne de la force et de l’espoir.
Agissez pour soutenir les marches des fiertés en Hongrie !