Le Pakistan est l’un des pays les plus vulnérables face aux effets du changement climatique. Les vagues de chaleur extrêmes et les inondations se succèdent et font des millions de victimes. Faute de données officielles, la situation des enfants et des personnes âgées reste largement méconnue, alors même qu’ils sont les premiers touchés.
On se souvient des terribles images des inondations qui ont frappé le Pakistan en 2022. Un “carnage climatique” selon António Guterres, le secrétaire général des Nations unies.
33 millions de personnes ont été impactées par ces pluies torrentielles et 8 millions de personnes ont dû être déplacées en raison de leurs terres devenues inhabitables. Ces inondations se sont produites après que le Pakistan a connu des températures records, atteignant 50°C dans plusieurs endroits du pays. En août 2022, certaines régions ont subi des épisodes pluvieux 700% plus intenses que la moyenne mensuelle.
Ces événements de 2022, s’ils sont exceptionnels par leur ampleur et leur intensité, ne sont malheureusement pas isolés. Les inondations et canicules se répètent dans le pays. En 2024, 1,5 millions de personnes ont été frappées par les inondations. Souvent les mêmes qui ont été touchées deux ans plus tôt.
Les premières victimes de ces phénomènes météorologiques, rendus de plus en plus intenses et imprévisibles par le changement climatique, sont les enfants et les personnes âgées. Mal prises en charge par un système de santé qui manque cruellement de financements, ces populations subissent un nombre disproportionné de maladies et de décès évitables. De plus, ces victimes sont invisibilisées par un manque de données officielles sur les victimes de la crise climatique au Pakistan.
Face à ces lacunes insupportables, nous publions un rapport, Uncounted : Invisible deaths of older people and children during climate disasters in Pakistan, pour ne pas oublier ces victimes de la crise climatique au Pakistan.

Des survivants des inondations traversent des champs inondés pour rejoindre leurs maisons. © Shakil Adil / Amnesty International
En l’absence de données officielles, nous avons travaillé en lien avec l’Indus Health & Hospital Network (IHHN), un réseau d'hôpitaux et de centres de santé caritatif qui fournit des services de santé gratuits au Pakistan. L’objectif de notre enquête était d’étudier l’impact du changement climatique sur la santé et la mortalité au Pakistan.
Trois zones particulièrement impactées par des événements météorologiques extrêmes où se situent des établissements de l’IHHN ont été étudiées :
Badin, dans la province de Sind touchée par les inondations
Muzaffargarh et Bhong dans la province de Punjab touchée par la canicule

L’IHHN a étudié le lien entre le taux de mortalité et des indicateurs climatiques (précipitations, températures) dans ces régions au cours de l’année 2022. Nous avons enrichi ces données par des entretiens menés avec 210 personnes au Pakistan dont 90 étaient des proches de personnes décédées à la suite des inondations et aux canicules.
Les enfants et les personnes âgées : des populations plus vulnérables face au changement climatique
Les inondations augmentent le risque de développement de maladies respiratoires et de maladies propagées par l’eau et les moustiques qui pullulent dans les eaux stagnantes. Ces maladies représentent davantage de risques pour les populations les plus jeunes et les plus âgées, notamment lorsqu'elles sont associées à des conditions sanitaires et à des logements inadéquats.
De même, les vagues de chaleur extrême impactent plus particulièrement les enfants et les personnes âgées qui sont davantage vulnérables face aux canicules. Les conséquences sont d’autant plus dramatiques pour ceux qui souffrent déjà de problèmes de santé préexistants.
Malgré l'impact disproportionné sur leur vie et leur santé, les enfants et les personnes âgées ne sont souvent pas suffisamment pris en compte dans les mesures d'intervention en cas de catastrophe climatique.
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Haji, 61 ans, ne peut plus marcher depuis que sa santé a été affectée par les inondations de septembre 2024. © Shakil Adil / Amnesty International
Les séquelles des inondations à Badin en août 2022
Après les graves inondations de Badin, les eaux de crue ne se sont pas retirées pendant des mois. Ces eaux ont constitué un terrain propice à la prolifération des moustiques et des maladies.
En septembre 2022, l’hôpital Badin de l’IHHN a enregistré un nombre de décès de 71% supérieur à la moyenne mensuelle pour 2022. La plupart de ces décès ont concerné des enfants de moins de 5 ans et des adultes de plus de 50 ans.
Seeta, 32 ans, a été déplacée avec ses trois enfants après que les inondations ont détruit son village dans le district de Badin.
La famille, démunie et délaissée, a essayé de se fabriquer un abri de fortune. « Nous étions complètement trempés et nous n'arrivions pas à nous protéger. » a déclaré Seeta.
Peu après, sa fille d'un an, Kareena, a commencé à souffrir d’une forte toux qui a duré des semaines. Isolée, sans moyen de transport à cause des inondations, la famille n’a pas pu l’emmener se faire soigner à temps. Lorsqu’elle a réussi à l’amener à l’hôpital, il était déjà trop tard. Kareena est décédée des suites d'une détresse respiratoire.
« Le jour où elle est morte, j'étais à son chevet. Elle perdait connaissance et fermait les yeux. J'ai appelé mon mari à l'aide et l'infirmière m'a tirée hors de l'unité de soins intensifs... Je souffrais énormément. »
Le schéma s’est répété lors des inondations de 2024. L’eau stagnante a permis le développement et la propagation de maladies qui ont touché particulièrement les populations les plus jeunes et les plus âgées, souffrant d’un manque d’accès aux soins.

Un essaim de moustiques agglutiné à l'extérieur d'une tente qui abrite des personnes déplacées par les inondations. © Shakil Adil / Amnesty International
Les inondations et les vagues de chaleur au Pakistan ont entrainé la déscolarisation de centaine de milliers d’enfants.
De nombreuses écoles ont été endommagées ou détruites par les inondations de 2022 et 2024. L’UNICEF a estimé à 27 000 le nombre d’école abimées ou détruites, laissant 2 millions d’enfants déscolarisés. Même lorsque les écoles restaient ouvertes, les routes étaient bloquées, ce qui empêchait les enfants de s'y rendre.
La fermeture des écoles favorise le décrochage voire l’abandon scolaire pour des enfants qui risquent davantage de subir le mariage précoce ou le travail infantile.
Un système de santé défaillant
Si en dehors des périodes d’urgence les hôpitaux et centres de santé pakistanais fonctionnent déjà à flux tendu, ils débordent complètement lors d’événements climatiques extrêmes.
Manque de personnel soignant, faibles dépenses publiques : la santé va mal au Pakistan. Les dépenses de santé par le Pakistan représentent seulement 1% environ de son PIB annuel. C’est loin des 5-6% préconisés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
L'urgence climatique exerce une pression supplémentaire, que le système ne peut amortir : il ne parvient pas à dispenser les soins adéquats à ceux qui en ont besoin.
La population est aussi victime d’un manque de prévention des autorités sanitaires. Les centres de rafraîchissement pendant les vagues de chaleur sont trop rares et aucune distribution de moustiquaires ou de comprimés pour purifier l'eau avant les inondations n’est effectuée.
En outre, le personnel soignant fait face à un manque de formation sur le traitement de maladies liées aux événements climatiques extrêmes, comme lors de vagues de chaleurs.
Enfin, trop souvent, les personnes âgées souffrant de maladies chroniques ne peuvent accéder aux soins lors de catastrophes comme les inondations.
Aqel Nadh, âgée de près de 70 ans, souffre de diabète. Elle n’a pas pu se faire soigner pendant les trois mois qui ont suivi les inondations de 2022 en raison du manque de transport et de difficultés financières. A cause du manque de soin, elle a dû subir une amputation.
"Le médecin m'a demandé de venir tous les jours pour changer le pansement, mais je ne pouvais pas me déplacer... Mon pied est devenu noir et enflé. Finalement, j'ai dû me rendre à l'hôpital en raison de douleurs intenses, et les médecins m'ont dit qu'ils devaient l'amputer."

Aqel Nadh assise avec son fils, Eidu, chez eux à Badin, dans la province du Sind. © Khaula Jamil / Amnesty International
Nous avons documenté de nombreuses situations de maladies ou de décès qui auraient pu être évités si le système de santé pakistanais était davantage financé et adapté. Les enfants et les personnes âgées sont les premières victimes de ce manque de ressources allouées à la santé.
Des personnes âgées continuent à travailler malgré des conditions extrêmes
Plus de 70 % de la main-d'œuvre pakistanaise travaille dans le secteur informel. Cela implique que les travailleurs ne bénéficient généralement pas de protection sociale.
Pendant les vagues de chaleur, les Pakistanais sont souvent obligés de travailler car pour la plupart, arrêter de travailler signifie mourir de faim. Ce problème touche particulièrement les personnes âgées, qui sont plus exposées aux risques liés à la chaleur extrême, mais qui, pour la plupart, n'ont pas accès à une pension de retraite. Au Pakistan, seuls environ 20 % des personnes ayant atteint l'âge de la retraite perçoivent une pension.
Les personnes âgées ont déclaré à plusieurs reprises devoir travailler même si elles savaient que la chaleur extrême pouvait les tuer.

Hamza Baloch, 60 ans, travaillant en plein air à Karachi pendant une vague de chaleur record. © Shakil Adil / Amnesty International
La réaction du Pakistan face aux catastrophes : des progrès insuffisants
Lors des terribles inondations de 2022, les populations n’ont pas été averties de l’ampleur de la catastrophe à venir. La plupart des personnes que nous avons interrogées lors de notre enquête nous ont décrit “une attaque soudaine”, à laquelle elles n’étaient pas préparées.
L'absence d'alerte coûte des vies, dont celles de nombreux enfants qui ont été perdus ou abandonnés au moment des évacuations précipitées.
Si le système d’alerte s’est amélioré en 2024 dans certaines régions pakistanaises, les victimes des inondations n'ont souvent ni été évacuées ni relogées et pratiquement aucune mesure sanitaire préventive n'a été mise en place, ce qui favorise la propagation des maladies.

Des survivants des inondations construisent des abris de fortune le long des routes après avoir été déplacés par les inondations à Badin, dans la province du Sindh, en 2024. © Shakil Adil / Amnesty International
L’absence de données fiables invisibilise les victimes
Les données officielles du gouvernement ne permettent pas de saisir le bilan humain de la crise climatique.
Au Pakistan, moins de 5% des décès sont enregistrés.
En 2022, les autorités ont estimé à 1739 le nombre de morts causées par les inondations. Ce chiffre, largement sous-estimé, masque un nombre réel de victimes bien plus important. Les données officielles ne prennent en compte que les morts directes des inondations (par exemple les morts par électrocution ou par noyade) et non les décès ultérieurs issus des maladies qui en découlent.
Ce manque de données est d’autant plus flagrant pour les canicules. En 2022, alors que les températures ont atteint 50°C dans la région de Punjab où habitent plus de 120 millions de personnes, les chiffres officiels n'ont recensé aucun décès pendant la période de canicule.
L’exclusion des personnes âgées
Au Pakistan, la plupart des données collectées sur la santé s’arrêtent pour les personnes qui atteignent l’âge de 50 ans. Au-delà, les personnes se retrouvent exclues des données voire discriminées par les services de santé.
« Après 70 ans, personne ne se soucie de vous. Parce que [les médecins] ne peuvent pas prendre l'argent [d'une personne âgée], elle est désormais un “déchet” » témoigne un responsable de la santé publique au Pakistan.
Les données ont le pouvoir de révéler et de dissimuler, rendant certaines populations visibles et d'autres invisibles.
Sans une meilleure compréhension du nombre de victimes et des populations les plus exposées, le gouvernement pakistanais et la communauté internationale auront bien du mal à s'attaquer aux effets néfastes du climat.
Le Pakistan victime de l’injustice climatique
Si le Pakistan contribue à moins de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il fait pourtant partie des 5 pays les plus vulnérables au changement climatique.
Lire aussi : Le Pakistan en première ligne de la crise climatique
C’est une tendance qui se répète. Les pays les plus pauvres, qui contribuent le moins à la crise climatique, sont pourtant les principales victimes. Et pourtant, les pays à haut revenu et à fortes émissions ne font pas assez pour compenser cette injustice climatique. Le cas du Pakistan est emblématique.
Alors que le pays avait besoin d'environ 16 milliards de dollars pour se remettre des inondations de 2022, la quasi-totalité des fonds qu'il a reçus s’est présenté sous la forme de prêts, plutôt que sous forme d'aide humanitaire. Prêter de l’argent pour se remettre des effets dévastateurs de la crise climatique entraine un cycle d’endettement infini pour les pays les plus pauvres. Au lieu d’investir l’argent public dans la santé, la transition énergétique ou l’adaptation au changement climatique, ces pays sont obligés de consacrer cet argent dans le remboursement de leur dette.
Le Pakistan ne peut agir seul face aux catastrophes en série qui s’annoncent. Les pays qui ont historiquement le plus contribué à la crise climatique par leurs émissions ont une responsabilité. Ils doivent non seulement arrêter d’extraire et de brûler des combustibles fossiles et également contribuer à financer les pays comme le Pakistan qui ont besoin d’aide pour lutter contre les effets du dérèglement climatique.
Nos demandes
👉 Le Pakistan doit s’efforcer d’améliorer son système de santé et ses réponses d'urgence afin de faire face au changement climatique. Cela passe également par une meilleure collecte de données sur les personnes affectées par la crise climatique.
👉 Les pays à haut revenu et à fortes émissions, dont la France, doivent apporter un soutien notamment financier en vue d’aider la population pakistanaise à s'adapter à la crise climatique et à remédier aux effets néfastes du changement climatique.