Au nom de la « compétitivité », une proposition législative de la Commission européenne prévoit de revenir sur des avancées cruciales en matière de protection des droits humains, de l’environnement et du climat. Nous appelons au maintien de normes élevées et protectrices.
Dans l’urgence, et au prétexte d’aller vers une simplification et une réduction des charges administratives pour les entreprises, la Commission européenne a présenté, le 26 février 2025, une directive « Omnibus » qui va, de facto, entrainer des changements dommageables de plusieurs normes qui devaient prévenir et réparer les atteintes aux droits humains, à l’environnement et au climat causées par les entreprises.
La proposition de loi Omnibus est en cours de négociation. Nous devons agir pour empêcher ce brusque retour en arrière des normes sociales et environnementales des entreprises européennes.
Eroder le cœur même des lois visant à promouvoir des pratiques commerciales responsables et des investissements durables, la responsabilisation et la transparence des entreprises, à un moment où ces facteurs sont cruciaux, marquerait un manque de vision à long terme et pourrait s’avérer dangereux.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Dans la législation européenne, une loi "omnibus" désigne une initiative législative regroupant plusieurs modifications ou révisions de textes existants sous une seule et même proposition. Son objectif est de simplifier, harmoniser ou adapter le cadre réglementaire. Avec un double objectif : répondre à des enjeux spécifiques, tout en réduisant la complexité administrative.
Les réglementations liées au Green Deal européen, ou Pacte vert européen, visent à « favoriser un comportement durable et responsable des entreprises pour une transition juste vers une économie durable et faire de l’Europe un continent « climatiquement neutre » d’ici 2050 ». En 2024, la Commission européenne a proposé un projet de directive "omnibus" visant à simplifier les réglementations en vigueur dans quatre domaines :
1.La directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) qui impose des obligations accrues de transparence aux entreprises sur leurs impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance.
2.Le règlement sur la taxonomie verte qui clarifie et facilite l’identification des activités économiques durables afin de mieux guider les investisseurs et promouvoir une finance durable.
3.Le devoir de vigilance européen (CS3D) qui introduit des obligations aux entreprises pour identifier, prévenir et atténuer les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement dans leurs chaînes de valeur.
4.Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) qui met en place une "taxe carbone" pour les produits importés en Europe, dans certains secteurs industriels (fer, acier, aluminium, ciment, engrais, hydrogène, électricité...)
Un dangereux affaiblissement de la loi sur le devoir de vigilance
Aux côtés d’autres organisations et grâce à la mobilisation citoyenne, nous nous étions fortement mobilisés pour faire adopter la loi sur le devoir de vigilance en France en 2017, puis au sein de l’Union européenne en 2024. La directive européenne contraint les grandes entreprises à identifier et à traiter les impacts négatifs de leurs activités et celles de leurs sous-traitants sur les droits humains et sur l’environnement, y compris en dehors de l’Europe.
Même si le texte était encore perfectible, c’est une des plus grandes avancées en matière de législation sur les entreprises et les droits humains des dernières années.
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Ce que prévoit la loi Omnibus ?
La loi prévoit plusieurs changements, notamment pour la directive sur le devoir de vigilance. Voici les plus alarmants :
🔸Affaiblissement des obligations de devoir de vigilance : les entreprises devraient identifier les impacts négatifs de leurs activités non plus tout au long de leur chaîne de valeur mais seulement au niveau de leurs partenaires directs. En outre, cette évaluation ne serait plus faite annuellement mais une fois tous les cinq ans.
🔸Restriction de la consultation des parties prenantes : les entreprises ne seraient plus tenues de consulter toutes les parties prenantes affectées directement et indirectement par leurs activités. Cela implique qu’elles ne seraient plus obligées de consulter par exemple les associations de défense de l’environnement ou les consommateur·rices.
🔸Limitation des dispositions relatives à la responsabilité civile : l’obligation de prévoir un régime de responsabilité civile en droit national dans chaque Etat membre n’apparaît plus clairement, ce qui restreindrait l’accès à la justice et aux réparations pour les victimes des activités des entreprises.
🔸Détricotage des obligations climatiques : il n’y aurait plus d’obligation de mettre en œuvre les plans climatiques que doivent adopter les entreprises.
🔸Abandon d’étendre le devoir de vigilance européen aux services financiers : les acteurs financiers comme les banques ou les fonds d’investissement n’auraient pas à se soucier des impacts sur les droits humains et l’environnement de leurs financements.
Concrètement, cela signifie que les violations des droits humains les plus graves ne seraient plus prises en compte, que le respect des objectifs climatiques de l’UE serait fortement remis en cause, que les entreprises fautives pourraient échapper à l’obligation de réparer les dommages causés par leurs activités et qu’il serait difficile d’orienter les flux financiers vers des activités les moins dommageables.
La dérégulation des entreprises s’inscrit dans un contexte inquiétant de montée des pratiques autoritaires, d’attaques contre nos droits et la planète et de répressions envers les défenseur.es de l’environnement qui vise à silencier celles et ceux qui se battent pour notre futur. Il est primordial d’agir pour empêcher ce détricotage des normes sociales et environnementales des entreprises.
Si la directive sur le devoir de vigilance est affaiblie, elle ne pourra plus :
🔸Empêcher le recours au travail des enfants ou au travail forcé
🔸Éviter les abus que subissent les travailleur.euses participant à la fabrication de produits destinés à la vente dans l’UE (heures supplémentaires excessives, conditions de travail dangereuses, salaires de misère, absence de contrats, violences et discriminations basées sur le genre)
🔸Éviter des contaminations des terres et de l’eau par la pollution pétrolière ou le déversement de déchets toxiques, l’expulsion forcée de familles ou communautés entières de leurs terres, ou encore la violation des droits de peuples autochtones.
Nos demandes
Il n’est pas trop tard pour s’opposer à ce retour en arrière et préserver l’ambition du devoir de vigilance européen. Le gouvernement français et les eurodéputé·es doivent défendre des normes élevées qui protègent les droits humains, l’environnement et le climat.
Pour cela, ils doivent :
👉 Maintenir l’approche fondée sur les risques (c’est-à-dire identifier là où les risques sont les plus susceptibles de se produire, y compris au-delà de leurs partenaires directs) prévue par la directive pour l’identification des atteintes.
👉 Inclure les ONG, les organisations communautaires, et les institutions nationales des droits humains dans les parties prenantes et veiller à ce que leur engagement soit central tout au long du processus du devoir de vigilance.
👉 Rétablir l’article 29 dans sa version initiale et à défaut, clarifier que les Etats membres ont l’obligation de prévoir dans leur droit national qu’un manquement aux obligations prévues par la directive engage la responsabilité civile de l’entreprise défaillante. En tout état de cause, rétablir l’article 29.7, pour permettre l’application des dispositions issues de la CSDDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) en cas d’action en responsabilité engagée contre des entreprises défaillantes aux fins d’obtenir la réparation de dommages survenus à l’étranger.
👉 Rétablir les termes « put into effect » qui figurent dans l’article 22 de la CSDDD relatif aux plans de transition climatique afin de contraindre les entreprises à les mettre en œuvre.
👉 Rétablir l’article 36.1 demandant une étude préliminaire sur l’inclusion des services financiers dans sa version initiale.