A Gaza, la population traverse une catastrophe humanitaire sans précédent. Avec le blocus humanitaire orchestré par Ies autorités israéliennes, la population ne meurt plus seulement sous les bombes, elle meurt aussi de faim. Sur place, les personnes avec qui nous travaillons continuent courageusement de rendre compte des violations commises, de collecter des preuves et de partager des témoignages, tout en luttant pour leur propre survie et celle de leur famille. Dans ce récit, notre collègue raconte son désespoir et les conséquences dramatiques de la famine pour la population.
Lorsque le cessez-le-feu à Gaza a été annoncé, nous étions fous de joie de pouvoir enfin rentrer chez nous dans le nord. Nous sommes revenus le 8 février, mais nous étions plus effrayés qu’heureux – craignant que notre maison ait été entièrement détruite. Heureusement, elle était toujours debout, même si des obus avaient touché la façade et laissé des traces de brûlures sur les murs.
Mais à l’intérieur, il n’y avait plus aucun meuble, aucun des vêtements que nous avions laissés quand nous avions été déplacés en octobre 2023, pas même les ustensiles de cuisine. La maison avait été pillée. Malgré tout, nous sommes restés. Nous l’avons nettoyée et réparée, nous avons racheté des meubles de base, nous nous sommes adaptés à la situation et nous avons vécu dedans pendant trois mois. Nous avions du mal à nous procurer de l’eau potable, mais au moins, pendant le cessez-le-feu, nous n’attendions pas la mort. La trêve a été rompue et la guerre est revenue pour prendre ce qui restait de nos âmes. À ce moment-là, les points de passage avaient été fermés, les prix ont flambé et les marchandises ont commencé à disparaître petit à petit.
J’ai planté quelques légumes derrière la maison, notamment de la menthe, des courges, des piments, des aubergines et du basilic, pour que ces aliments soient facilement disponibles. Mais nous sommes revenus à la plus dure lutte – la faim. Il n’y avait pas de farine, pas de nourriture. Du jour au lendemain, notre vie est devenue un enfer.
L’armée israélienne a pris d’assaut notre quartier
Le 15 mai, l’armée israélienne a pris d’assaut notre quartier et s’est mise à bombarder la zone à l’aveugle. Nous avons fui notre domicile au milieu des tirs et des bombardements, sans rien emporter. Nous avons couru dans la rue et erré sans but sur un chemin inconnu. Nous avons compris que nous étions revenus à la pire souffrance – le déplacement.
Nous nous sommes réfugiés chez ma fille dans la ville de Gaza. C’est un petit logement – deux chambres, un petit salon et une cuisine. Elle, son mari et leurs deux enfants ont pris une chambre et nous nous sommes installés dans l’autre.
Après trois mois de fermeture des points de passage, même si on trouvait encore de la farine, son prix était inimaginable. Pour retirer de l’argent, il faut payer jusqu’à 45 % de commission. Pour une famille nombreuse comme la mienne, les dépenses sont extrêmement élevées, et des aliments de toutes sortes manquent sur les marchés. Nous avons envie de nombreux aliments et nous n’avons pas goûté de viande, de poulet ni de desserts depuis des mois. Nous subissons une famine intense.
Voir nos enfants souffrir de la faim nous brise le cœur. Il n’y a rien pour se nourrir. La vie à Gaza est devenue invivable. Nous sommes dans une situation humiliante et dégradante.
On nous affame
Certes, une aide limitée entre dans la bande de Gaza, mais elle ne couvre pas les besoins énormes, et même les gouttes qui entrent ne parviennent qu’à très peu de personnes.
Je n’ai pas honte de le dire publiquement : j’ai faim, comme ma famille et mes enfants.
Je dis la vérité telle qu’elle est. La faim est insupportable.
Nous ne sommes pas faibles, mais la guerre nous a cassé les os et le siège nous a creusé le ventre.
Nous ne sommes pas des mendiants. Nous sommes des personnes qui avons des droits fondamentaux. Nous sommes des habitants de ce territoire.
On nous assiège. On nous affame.
Je dis ce que je ressens – ce que ressentent tous les foyers à Gaza. Nos enfants ont faim et nous nous battons pour survivre. Nous nous battons pour la moindre bouchée de nourriture. Nous nous battons pour vivre.
Je suis un être humain. Je suis un père, un frère, un voisin.
Je connais la souffrance des gens car je la vis à chaque instant.
Après que nous avons été déplacés de notre maison dans le nord au cours de la dernière incursion, les forces israéliennes ont avancé dans notre quartier sur une courte période et ont détruit toutes les maisons. La nôtre en faisait partie. Elle a été détruite sauvagement. Ils ont détruit nos souvenirs dans cette maison, tous les moments que nous y avions vécus pendant neuf ans.
Aujourd’hui, il ne reste plus rien
Nous avions une belle maison où il faisait bien chaud et où régnait la paix. Il y avait un petit terrain devant où nous plantions des légumes, des oliviers et du thym. Nous avions un local où nous élevions des volailles et un endroit où s’asseoir à la fin de la journée. Aujourd’hui, il ne reste plus rien. Plus de maison, plus de terrain pour planter.
Nous ne mourons pas seulement sous les bombes. Nous mourons aussi de faim.
La faim a détruit des logements, elle fait pleurer les personnes âgées comme des enfants et le pain est devenu un rêve.
Avant, nous critiquions le largage d’aide humanitaire. C’était dangereux et inefficace. Il arrivait que les bidons largués tuent des personnes. Mais finalement, c’était moins cruel que la méthode actuelle de distribution, qui prend des dizaines de vie chaque jour.
L’humiliation. Le déshonneur. Le meurtre. La brutalité. Le sang. Le chagrin. La peine.
Nous sommes des morts-vivants, enveloppés dans nos linceuls.
Nous n’allons pas bien.
Le nom de l’auteur n’est pas révélé pour des raisons de sécurité.