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Syrie : des résidents rentrent dans leur village sur un camion pickup
Syrie : des résidents rentrent dans leur village sur un camion pickup © Rodi Said/REUTERS

Syrie : des résidents rentrent dans leur village sur un camion pickup © Rodi Said/REUTERS

Syrie

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Syrie en 2024.

Le président Bachar el Assad a été évincé du pouvoir en décembre, ce qui a suscité l’espoir que les victimes du régime obtiennent enfin justice et réparation. La famille el Assad était à la tête du pays depuis plusieurs décennies, marquées par la répression et de graves violations des droits humains. Tout au long de l’année, les parties au conflit et leurs alliés ont lancé des attaques illégales contre la population et contre des infrastructures civiles. Le régime de Bachar el Assad, des garde-frontières turcs et des factions de l’Armée nationale syrienne et des Forces démocratiques syriennes ont perpétré des homicides illégaux ainsi que des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Des dizaines de milliers de personnes étaient encore détenues arbitrairement ou soumises à une disparition forcée. Plus de 56 000 personnes ont été victimes d’atteintes aux droits humains alors qu’elles se trouvaient aux mains des autorités autonomes du nord-est de la Syrie. Après le renversement du régime de Bachar el Assad, des groupes d’opposition ont libéré des personnes incarcérées aux quatre coins du territoire, dans les centres de détention du pouvoir déchu. De nombreuses personnes détenues avaient subi des actes de torture et d’autres mauvais traitements, et on restait sans nouvelles de milliers d’autres. Toute l’année, la situation humanitaire en Syrie est demeurée dramatique : des millions de personnes vivaient dans la pauvreté et ne survivaient que grâce à l’aide humanitaire.

Contexte

Avant la chute du régime de Bachar el Assad en décembre, les populations des zones contrôlées par l’État ont vu leur situation socioéconomique se dégrader et se trouvaient confrontées à la violence et au risque de détention arbitraire. Entre janvier et juin, à Soueïda, une ville à majorité druze du sud-ouest du pays, des personnes ont manifesté contre la dégradation des conditions économiques et réclamé des réformes politiques. Des frappes aériennes attribuées à l’armée de l’air jordanienne, dont l’objectif était prétendument de contrer le trafic de drogue et d’armes, ont fait plusieurs victimes dans les zones frontalières du gouvernorat de Soueïda. Deraa, dans le sud-ouest de la Syrie, a été le théâtre de multiples attaques menées par des forces progouvernementales et des groupes armés d’opposition, qui ont fait des victimes civiles, selon la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne [ONU].

Les forces israéliennes ont intensifié leurs opérations militaires en Syrie, dans le contexte des conflits à Gaza et au Liban. Le 1er avril, une frappe aérienne israélienne a touché le consulat d’Iran à Damas, la capitale syrienne. Selon les médias, 16 personnes ont été tuées, dont plusieurs conseillers militaires iraniens de haut rang.

Entre février et juillet, le nord-ouest de la Syrie a connu des manifestations d’une ampleur sans précédent contre le groupe armé Hayat Tahrir al Cham (HTC). Les manifestant·e·s réclamaient la libération des personnes détenues pour des motifs politiques, des réformes socioéconomiques et l’éviction du dirigeant de HTC, Ahmed al Sharaa (alias Abu Mohammad al Jolani).

En août, une forte escalade des hostilités a été signalée dans le gouvernorat de Deir ez-Zor (nord-est de la Syrie) ; elle a fait au moins 25 morts parmi la population civile, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires [ONU]. Ces affrontements ont engendré une situation désastreuse sur le plan humanitaire : le Bureau de la coordination des affaires humanitaires a signalé des pénuries d’eau, de nourriture, de médicaments et d’autres produits de première nécessité.

Le 8 décembre, des forces d’opposition dirigées par HTC se sont emparées de Damas, renversant le régime de Bachar el Assad et mettant ainsi fin au règne de cette famille, au pouvoir depuis cinq décennies. Après l’éviction du président, l’armée israélienne a lancé des centaines de frappes aériennes contre la Syrie, affirmant viser des stocks d’armes et des infrastructures militaires abandonnées par les anciennes forces gouvernementales syriennes afin qu’elles ne tombent pas aux mains des rebelles. Israël a aussi déployé des troupes à l’extérieur de la zone du plateau du Golan sous occupation israélienne.

Attaques illégales

Toutes les parties au conflit et leurs alliés ont poursuivi leurs attaques illégales contre la population et des biens civils dans le nord de la Syrie, faisant des dizaines de morts et de blessés et détruisant des infrastructures civiles.

Régime de Bachar el Assad et Russie

Au premier semestre, le régime de Bachar el Assad, soutenu par la Russie, a continué à intensifier ses attaques, commencées fin 2023, contre des zones du nord-ouest de la Syrie sous le contrôle de groupes armés d’opposition.

La Commission d’enquête internationale a mené des investigations sur 13 de ces attaques ayant fait des victimes civiles (12 imputables à l’armée syrienne et une aux forces russes) et a conclu qu’elles avaient toutes probablement bafoué le droit international humanitaire. Elle a établi que certaines de ces attaques visaient directement des civil·e·s, comme celle menée dans le village de Kafr Nouran le 28 mai, lors de laquelle les forces gouvernementales ont tiré un missile antichar guidé sur un véhicule agricole, tuant deux enfants. D’autres attaques étaient probablement aveugles, dont celle à la roquette lancée le 1er avril contre la ville de Sarmin, qui a tué une femme et deux filles et endommagé des logements, une école et un marché.

La Commission d’enquête internationale et la Défense civile syrienne (Casques blancs) ont accusé l’État syrien d’avoir utilisé des armes à sous-munitions dans des quartiers densément peuplés de la ville d’Idlib les 6 et 7 janvier.

Alors que des groupes d’opposition entamaient leur progression pour s’emparer du territoire détenu par les forces de Bachar el Assad, l’armée de l’air syrienne, soutenue par les forces gouvernementales russes, a intensifié ses frappes contre certaines régions du nord de la Syrie, en particulier les gouvernorats d’Idlib et d’Alep, entraînant la mort et le déplacement de civil·e·s. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, au moins 75 civil·e·s, dont 28 mineur·e·s, ont été tués et 282 blessés dans le nord-ouest de la Syrie entre le 26 novembre et le 8 décembre.

Turquie

La Turquie a continué à mener des attaques aériennes illégales contre des civil·e·s et des objets de caractère civil dans le nord-est de la Syrie. La région demeurait sous le contrôle de l’Administration autonome démocratique du nord et de l’est de la Syrie (DAANES), à majorité kurde, fervente opposante de la Turquie et de l’Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de groupes armés soutenus par la Turquie. Après le renversement de Bachar el Assad, la Turquie a intensifié son offensive contre des groupes kurdes dans ce secteur.

En janvier, Northeast Syria (NES) NGO Forum, une coalition d’organisations internationales, a déclaré que, dans le nord-est de la Syrie, plus d’un million de personnes étaient privées d’électricité et que plus de deux millions n’avaient qu’un accès limité à de l’eau potable. La Turquie a mené au moins 345 frappes aériennes dans cette région au premier semestre, détruisant des dizaines d’installations, dont des centres de santé, des postes électriques et des champs pétroliers et gaziers, selon Synergy-Hevdesti, un groupe de défense des victimes.

En octobre, les forces turques ont mené des opérations militaires dans le nord et l’est de la Syrie, en représailles, selon elles, d’une attaque contre les installations de Turkish Aerospace Industries à Kahramankazan (province d’Ankara, Turquie), attaque revendiquée par les Forces de défense du peuple, branche armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Les Forces démocratiques syriennes (FDS), un groupe armé dirigé par des Kurdes, ont déclaré que les frappes turques en Syrie avaient tué 12 civil·e·s, dont deux mineur·e·s, et blessé 25 personnes.

Selon une association de journalistes, deux journalistes travaillant pour des médias kurdes ont été tués le 19 décembre, semble-t-il par un drone turc, alors qu’ils couvraient les combats entre les factions de l’ANS, soutenues par la Turquie, et des groupes kurdes. Le lendemain, les forces kurdes ont affirmé qu’un drone turc qui visait une voiture dans le gouvernorat d’Hassaké avait tué trois civil·e·s.

Groupes armés

Les attaques du groupe armé État islamique se sont considérablement multipliées, selon la Commission d’enquête internationale.

Homicides illégaux, torture et autres mauvais traitements

Régime de Bachar el Assad

Entre janvier et octobre, le Réseau syrien des droits de l’homme (SNHR) a recueilli des informations sur l’arrestation par les autorités syriennes d’au moins 208 personnes réfugiées expulsées de force du Liban. Dans six cas recensés par le SNHR, des personnes de retour ont été soumises à des actes de torture à leur arrivée et sont mortes en détention.

Après l’éviction de Bachar el Assad, des chercheuses d’Amnesty International se sont rendues dans de nombreux centres de détention du pouvoir déchu, à Damas, où elles ont trouvé des éléments prouvant les actes de torture que les victimes avaient décrits. Des personnes récemment libérées de ces centres ont aussi dénoncé des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des exécutions extrajudiciaires et des conditions de détention inhumaine.

Armée nationale syrienne

Human Rights Watch a recueilli des informations sur des atrocités (enlèvements, détentions illégales, violences sexuelles, actes de torture) commises par diverses factions de l’ANS. En mars, la Commission d’enquête internationale a déclaré que des factions de l’ANS continuaient d’incarcérer des civil·e·s et d’infliger à certains des actes de torture et d’autres mauvais traitements dans plusieurs centres de détention.

Forces démocratiques syriennes

Le 25 avril, les FDS ont arrêté Khirou Ra’fat al Shlash dans le gouvernorat d’Alep. Elles l’ont roué de coups et lui ont tiré dans le dos avant de l’emmener à la prison d’Al Maliya en raison de ses liens présumés avec l’État syrien. Le 27 avril, sa famille a été informée de sa mort en détention. Il avait été victime d’actes de torture et d’autres mauvais traitements en détention, selon le SNHR.

Détention arbitraire et disparitions forcées

D’après le SNHR, au moins 2 623 détentions arbitraires ont été recensées au cours de l’année, la vaste majorité d’entre elles étant imputables aux forces gouvernementales syriennes. Parmi ces détentions, 1 084 ont été qualifiées par la suite de disparitions forcées.

Régime de Bachar el Assad

En décembre, des groupes d’opposition ont libéré des personnes incarcérées aux quatre coins du pays, dans les centres de détention et les prisons du régime déchu. Selon le SNHR, 24 200 détenu·e·s ont ainsi recouvré la liberté, ce qui ne représentait qu’une petite partie des plus de 100 000 personnes disparues que l’on pensait retrouver dans ces établissements et soulevait donc la question du sort de ces personnes (voir Droit à la vérité, à la justice et à des réparations).

Hayat Tahrir al Cham

Dans le gouvernorat d’Idlib, HTC a réprimé la liberté d’expression en plaçant arbitrairement en détention des journalistes, des militant·e·s et d’autres personnes qui remettaient en cause son pouvoir, sans leur permettre d’entrer en contact avec un·e avocat·e ou leurs proches.

Armée nationale syrienne

Entre janvier et juin, Synergy-Hevdesti a recueilli des informations sur l’arrestation arbitraire de 338 personnes par des factions de l’ANS dans le nord de la Syrie. En juillet, l’organisation a signalé que 231 personnes étaient toujours en situation de disparition forcée dans les prisons de l’ANS.

Le 26 août, les journalistes Bakr al Qassem et Nabiha Taha ont été arrêtés par la police militaire de l’ANS à un poste de contrôle à Al Bab. Nabiha Taha a été libérée plus tard dans la journée. Bakr al Qassem a été remis en liberté sans inculpation le 2 septembre.

Autorités autonomes/DAANES

Dans le nord et l’est de la Syrie, les autorités autonomes étaient responsables d’atteintes de grande ampleur aux droits de plus de 56 000 personnes qu’elles détenaient en raison de leur appartenance présumée à l’État islamique. Parmi les victimes figuraient environ 30 000 mineur·e·s, 14 500 femmes et 11 500 hommes enfermés dans au moins 27 centres et deux camps de détention (Al Hol et Roj). Nombre de ces personnes étaient détenues depuis 2019.

Droit à la vérité, à la justice et à des réparations

Appliquant le principe de compétence universelle, des pays européens ont continué à enquêter sur des personnes soupçonnées d’avoir perpétré des crimes de droit international en Syrie et à les poursuivre devant leurs propres tribunaux.

En France, par exemple, la Cour de cassation a confirmé le 17 janvier sa décision de septembre 2021 concernant la mise en examen du cimentier français Lafarge pour complicité de crimes contre l’humanité et financement d’une entreprise terroriste.

Le 11 mars, le procureur général de la Confédération suisse a renvoyé Rifaat el Assad, oncle de Bachar el Assad et ancien commandant de l’armée, devant le Tribunal pénal fédéral afin qu’il soit jugé pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans la ville syrienne de Hama en 1982.

Le 24 mai, la cour d’assises de Paris a condamné en leur absence Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud, trois hauts représentants de l’État syrien, pour complicité de crimes contre l’humanité et délit de guerre.

Le 26 juin, la cour d’appel de Paris a confirmé les mandats d’arrêt décernés contre Bachar el Assad, son frère Maher el Assad et deux hauts responsables militaires syriens. Ces quatre hommes étaient soupçonnés de complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre pour l’utilisation d’armes chimiques interdites contre des civil·e·s en août 2013 dans la Ghouta et à Douma.

Après l’éviction de Bachar el Assad, une chercheuse d’Amnesty International a pu constater par elle-même que les dossiers officiels conservés dans les centres de détention et les prisons avaient été laissés pour la plupart sans protection, et qu’une grande partie d’entre eux avaient été pillés, détruits ou emmenés par des particuliers, dont des familles de personnes détenues et quelques journalistes. Selon des témoins, il est aussi arrivé que des agents des forces de sécurité ou du renseignement brûlent des documents avant de fuir, et que des groupes armés ayant pris le contrôle de ces centres ou des détenu·e·s tout juste libérés incendient et pillent des documents. Or, ces documents pourraient contenir des informations cruciales sur la structure de l’appareil de sécurité et de renseignement de l’État syrien, sur l’identité d’auteurs présumés de crimes de droit international, et sur les personnes détenues et leur sort.

Droits économiques et sociaux

La situation humanitaire en Syrie demeurait catastrophique. En août, les Nations unies ont indiqué que 16,7 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire pour survivre – ce qui était le chiffre le plus élevé jamais atteint depuis le début de la crise syrienne, en 2011. Au moins 90 % de la population vivait dans la pauvreté et 12,9 millions de personnes étaient en situation d’insécurité alimentaire.

Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires, le plan d’intervention humanitaire pour la Syrie souffrait toujours d’un déficit de financement alarmant. En décembre, seuls 33,4 % des 4,07 milliards de dollars des États-Unis nécessaires avaient été obtenus.

Droits des personnes réfugiées ou migrantes

Peu après l’éviction de Bachar el Assad, au moins 21 pays européens ont annoncé qu’ils allaient revoir leurs pratiques d’asile, ce qui allait principalement consister à suspendre les demandes d’asile de Syrien·ne·s ou à examiner la possibilité de le faire.

À la fin de l’année, les informations crédibles concernant la situation en Syrie sur le plan de la sécurité demeuraient rares. On ignorait toujours quels groupes armés contrôlaient certaines villes et comment ils avaient l’intention de les administrer. Les attaques sur le territoire syrien attribuées à Israël, aux États-Unis et à la Turquie, ainsi que les combats entre groupes armés, risquaient de mettre encore en péril la population civile. Au mois de décembre, Amnesty International a donc demandé aux États européens de continuer à traiter les demandes d’asile de Syrien·ne·s et de ne pas donner suite aux appels les incitant à renvoyer ces personnes ou à restreindre le regroupement familial.

Plateau du Golan occupé

Le plateau du Golan était toujours occupé par Israël, qui l’avait annexé illégalement. Après le renversement de Bachar el Assad, l’armée israélienne a déployé des troupes dans la zone tampon démilitarisée établie par les Nations unies.

Le cabinet du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré que son gouvernement avait approuvé à l’unanimité un plan d’un montant de 11 millions de dollars des États-Unis destiné à encourager la croissance démographique sur le plateau du Golan, laissant présager une expansion de cette colonie israélienne illégale.

Le 26 juillet, un tir de roquette a frappé la ville de Majdal Shams, dans le nord du plateau du Golan, tuant 12 enfants et jeunes de la communauté druze.

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