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Soudan

la population confrontée à des horreurs inimaginables 

Amani Abdullah, 20 ans, une Soudanaise qui a fui le conflit à Geneina dans la région soudanaise du Darfour, porte sa fille, alors qu'elle pleure son mari, qui selon elle a été tué par les Forces de soutien rapide (RSF) dans leur maison, alors qu'elle était réunie avec le reste de la famille. Au Tchad, le 25 juillet 2023. REUTERS/Zohra Bensemra

Depuis six mois, le Soudan est déchiré par un terrible conflit. Plus de 5 000 civils tués, 12 000 blessés et 5,7 millions de personnes déplacées de force. Attaques délibérées et aveugles, pillages systématiques, violences sexuelles… Nous enquêtons depuis le début du conflit et dénonçons l’ampleur des violations et des crimes de guerre commis.

Depuis le 15 avril 2023, partout au Soudan, les civils sont confrontés chaque jour à une horreur inimaginable. Alors qu’une lutte acharnée opposent les Forces d’appui rapide (RSF) et les forces armées soudanaises (SAF) pour le contrôle du territoire depuis le 15 avril 2023, nous dénonçons les atteintes massives aux droits humains commises contre la population civile. 

Les deux principales forces armées du pays qui s’opposent mènent des attaques aveugles et délibérées contre des civils. Elles n’hésitent pas à cibler des bâtiments publics (hôpitaux, églises, etc.) et des infrastructures humanitaires, et se livrent à des pillages.  

Des gens sont tués chez eux ou alors qu’ils cherchent désespérément de la nourriture, de l’eau et des médicaments. Ils sont pris entre deux feux quand ils s’enfuient et abattus délibérément lors d’attaques ciblées.  

Des dizaines de femmes et de filles n’ayant parfois pas plus de 12 ans ont été violées et soumises à d’autres formes de violence sexuelle par des belligérants des deux camps. Il n’y a pas d’endroit sûr.  

Les RSF et les SAF, ainsi que les groupes armés qui leur sont affiliés, doivent cesser de cibler des civils et doivent garantir la sécurité de ceux qui partent pour échapper à la violence. Des mesures urgentes doivent en outre être prises pour garantir la justice et pour que les victimes obtiennent réparation.

Donatella Rovera

 Presque quatre millions de Soudanais ont été forcés d’abandonner leurs maisons en l’espace de trois mois. Cela risque de devenir l'une des pires crises de déplacement forcé dans le monde.

Donatella Rovera
Chercheuse spécialiste des crises et conflits à Amnesty International

Contexte

Depuis le 15 avril 2023, les SAF (dirigées par le président du Conseil souverain du Soudan, le général Abdel Fattah al Burhan) et les forces paramilitaires des RSF (dirigées par le général Mohamed Hamdan Dagalo, connu sous le nom de Hemedti) s’affrontent pour le contrôle du Soudan. En savoir plus.

Compte tenu de l’ampleur des combats et de l’organisation des deux camps, il s’agit d’un conflit armé non international au regard des conventions de Genève. Dès lors, les affrontements entre les deux parties sont régis par le droit international humanitaire, qui vise à protéger les civils et les autres non-combattants lors de conflits armés, et par le droit international relatif aux droits humains, qui continue de s’appliquer.

Certaines graves violations de ces règles constituent des crimes de guerre pour lesquels la responsabilité pénale individuelle de soldats et de commandants peut être engagée. 

Aller plus loin : Ce qu'il faut savoir sur le conflit au Soudan

Comment avons-nous enquêté ?

Notre rapport intitulé "La mort a frappé à notre porte" porte essentiellement sur des faits relevés à Khartoum et au Darfour occidental. Nous avons interrogé 181 personnes pour préparer ce rapport, essentiellement dans l’est du Tchad, en juin 2023, et à distance en utilisant des moyens de communication sécurisés. Nous avons également examiné de nombreux documents audiovisuels montrant de possibles violations, ainsi que des images satellitaires pour corroborer d’autres faits.

Un homme marche tandis que de la fumée s'élève au-dessus des bâtiments après des bombardements aériens lors d'affrontements entre les forces paramilitaires de soutien rapide et l'armée à Khartoum Nord, au Soudan, le 1er mai 2023. © REUTERS/Mohamed Nureldin Abdallah

Des civils pris entre deux feux  

👉 Ce que nous dénonçons : des hommes, des femmes et des enfants sont pris entre deux feux.  

👉 Ce que dit le droit international : les belligérants n’ont pas le droit d’utiliser des armes explosives à large champ d’action dans des secteurs densément peuplés par des civils. 

👉 Ils témoignent. 

 Kodi Abbas est enseignant. À 55 ans, il vit dans le quartier de Kalakla, dans le sud de Khartoum.  

 « Ma femme et mes enfants se sont enfuis de chez nous en courant quand les affrontements ont débuté dans notre quartier […] mais mes deux fils les plus jeunes […] étaient petits et ils ne pouvaient pas courir assez vite […] je ne sais pas qui les a tués. C’est la guerre qui les a tués. » 

Hassan, six ans, et Ibrahim, huit ans, ont été tués alors qu’ils tentaient d’échapper aux échanges de coups de feu. Nous n’avons pas été en mesure d’établir avec certitude lequel des deux camps a tiré les balles qui ont tué les deux petits garçons.  

Fawzi al Mardi, le père de Ala’ Fawzi al Mardi, médecin de 26 ans, tuée chez elle à Omdurman, dans le quartier de Hay al Manara, le premier jour des affrontements.  

 « Ce matin-là, nous nous sommes réveillés en enfer. On entendait sans arrêt et partout les bruits des coups de feu et des bombardements […] j’étais inquiet pour ma fille Ala’ qui était allée travailler à l’hôpital. Quelques minutes après son retour à la maison, une balle a traversé la fenêtre de la salle de séjour et a touché ma femme au visage. La balle a traversé le côté droit de son visage et de son cou et a ensuite touché Ala’ en pleine poitrine, la tuant sur le coup. Cette balle, à elle seule, a détruit notre famille en l’espace de quelques secondes […] Dès qu’[Ala’] est arrivée à la maison, où elle aurait dû être en sécurité, la mort s’est abattue sur nous. »  

De nombreux civils ont dit à Amnesty International qu’ils avaient été blessés et que des membres de leurs familles avaient été tués là où ils étaient allés chercher la sécurité.  

Le 6 juin, au Darfour occidental, plusieurs dizaines de personnes ont été tuées ou blessées dans les dortoirs des femmes de l’université d’El Geneina, ou à proximité, par des frappes de projectiles tirés depuis le sol ; de nombreuses personnes étaient allées se réfugier là pour échapper aux combats dans leur quartier. 

Des civils délibérément pris pour cible 

👉 Ce que nous dénonçons : des civils ont été délibérément tués ou blessés lors d’attaques ciblées, notamment par des membres des RSF.  

👉 Ce que dit le droit international : il interdit de prendre délibérément pour cible des civils  et de mener des attaques sans opérer de distinction entre les civils et les combattants, ou entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires. 

Le 13 mai, à Khartoum, des membres des RSF se sont introduits dans l’enceinte de l’église copte Mar Girgis (Saint Georges), dans le quartier de Bahri. Selon plusieurs témoins, ils ont abattu cinq membres du clergé et ont volé de l’argent et une croix en or.  

Le 14 mai, à El Geneina, Adam Zakaria Is’haq, un médecin et défenseur des droits humains âgé de 38 ans, a été tué en même temps que 13 patients dans le centre Markaz Inqadh al-Tibbi, un centre médical situé dans le quartier de Jamarik. Selon ses collègues, les 14 victimes ont été tuées par des membres de milices armées arabes.  

👉 Il témoigne : un collègue du Dr Adam Zakaria Is’haq. 

« Le docteur Adam […] était en train de soigner des malades dans un petit centre médical quand il a été tué, parce que le principal hôpital d’El Geneina avait été détruit fin avril par ces mêmes milices armées et par les RSF. On lui a tiré dans la poitrine. Il laisse derrière lui sa femme et deux petits garçons, âgés de quatre et six ans. »  

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Des Soudanais qui ont fui le conflit à Geneina, dans la région soudanaise du Darfour, s'assoient dans un camion qui va les transporter d'une école où ils étaient temporairement hébergés à un camp de réfugiés à Adre, au Tchad, le 23 juillet 2023. © REUTERS/Zohra Bensemra

Au Darfour occidental, des attaques motivées par l’appartenance ethnique

👉 Ce que nous dénonçons : avec la montée des tensions au Darfour occidental, de nombreuses personnes appartenant à l’ethnie masalit se sont enfuies dans l’est du Tchad. Des personnes ayant fui El Geneina ont dit à Amnesty International que la ville avait été attaquée par des milices armées arabes lourdement armées et soutenues par des combattants des RSF. 

👉 Ce que dit le droit international humanitaire : il interdit de prendre délibérément pour cible des civils  et de mener des attaques sans opérer de distinction entre les civils et les combattants 

Le 28 mai, plusieurs dizaines de civils ont été tués à Misterei, une ville située au sud-ouest d’El Geneina, lors d’affrontements opposant les RSF et des milices alliées à des groupes armés masalit. Des habitants de cette ville ont dit à Amnesty International avoir enterré 58 civils tués ce jour-là.  

👉 Elle témoigne : Zeinab Ibrahim Abdelkarim, mère de deux enfants, âgée de 27 ans. 

 « Six membres des RSF se sont introduits chez nous à 8 heures du matin ; ils sont allés dans la pièce où se trouvaient mon mari et ses quatre frères et les ont tous abattus […] La RSF est ensuite venue dans la pièce où je me trouvais avec mes enfants et 12 autres femmes et enfants […] Ils nous ont frappés à coups de bâton et avec des fouets et nous ont demandé ‘Où sont les armes ?’, et ensuite ils ont volé nos téléphones. »  

Comme Al Haj Mohamed Abu Bakr, quatre autres hommes de cette même famille ont été abattus chez eux. 

La spirale de la violence dans la région du Darfour, où les RSF et les milices qui s’y sont alliées sèment la mort et la destruction, ravive le spectre de la tactique de la terre brûlée utilisée par le passé, avec parfois des acteurs identiques. 

Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International

Face aux violences sexuelles 

👉 Ce que nous dénonçons : des dizaines de femmes et de filles, dont certaines avaient à peine 12 ans, ont été soumises à des violences sexuelles, notamment des viols, par des belligérants des deux camps. Certaines ont été séquestrées pendant plusieurs jours dans des conditions constituant un esclavage sexuel.  

Dans la plupart des cas examinés, les victimes ont déclaré que les responsables des sévices étaient des membres des RSF ou de milices armées alliées à ces dernières.  

👉 Ce que dit le droit international : les viols, l’esclavage sexuel et les autres violences sexuelles commis dans le cadre d’un conflit armé constituent des crimes de guerre. 

👉 Elle témoigne : une jeune femme de 25 ans vivant à El Geneina. Le 22 juin, dans le quartier d’al Jamarik, trois hommes armés arabes en civil l’ont forcée à entrer dans le bâtiment de l’état civil, où ils l’ont violée.  

« On n’est nulle part en sécurité à El Geneina. Je suis sortie de chez moi parce qu’il y avait partout des coups de feu […] et ces criminels m’ont violée. Maintenant je crains d’être enceinte […] Je ne pourrais pas le supporter. » 

L’absence de soutien médical et psychologique 

Un groupe de 24 femmes et filles ont été enlevées par des membres des RSF et emmenées dans un hôtel où elles ont été séquestrées pendant plusieurs jours dans des conditions constituant un esclavage sexuel. De nombreuses victimes n’ont pas eu accès à un soutien médical et psychologique.  

De nombreux centres médicaux et humanitaires ont été détruits ou endommagés partout dans le pays, ce qui prive les civils de nourriture et de soins ou produits médicaux, et aggrave encore une situation déjà très difficile. La plupart des cas de pillage sur lesquels nous avons réuni des informations mettent en cause des membres des RSF. Les attaques visant intentionnellement du personnel ou des biens humanitaires, des centres de santé ou des unités médicales constituent des crimes de guerre. 

Un conflit oublié

Il est scandaleux et déplorable que ce qui se passe au Soudan ne fasse pas l’objet de l’attention que cette crise mérite et que les pays européens ne soient pas prêts a accueillir au moins une partie des réfugiés soudanais.

Donatella Rovera

 « La situation humanitaire des réfugiés dans les pays voisins est catastrophique. Malgré cette situation catastrophique, la communauté internationale n’a jusqu’à aujourd’hui pas répondu à la demande des agences d’aide humanitaire – seulement 24 % des fonds requis ont été reçus.  S’il y a de l’argent pour les guerres, il doit y avoir l’argent pour les conséquences des guerres » dénonce notre chercheuse Donatella Rovera.

Face à ces violations terribles, la communauté internationale doit étendre immédiatement à l’ensemble du Soudan l’actuel embargo sur les armes qui s’applique actuellement au Darfour,  et veiller à ce qu’il soit appliqué. Quant aux pays qui disposent d’une influence importante sur les parties au conflit, ils doivent utiliser leur position pour les pousser à mettre fin aux atteintes aux droits humains.

Nos demandes 

Amnesty International demande au Conseil de sécurité des Nations unies d’étendre à l’ensemble du Soudan l’embargo sur les armes qui s’applique actuellement au Darfour, et de garantir son respect.  

La communauté internationale doit considérablement accroître l’aide humanitaire pour le Soudan, et les pays voisins doivent veiller à ce que leurs frontières soient ouvertes pour les civils en quête de sécurité. 

 Amnesty International salue la mise en place d’un mécanisme indépendant d’enquête et de reddition de comptes par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce mécanisme sera chargé de contrôler, de réunir et de conserver les preuves des violations des droits humains commises au Soudan. Des moyens suffisants doivent désormais être mis à disposition de ce mécanisme. 

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