Chacun de vos dons rend possible nos enquêtes sur le terrain dans plus de 150 pays

©Ashraf Shazly/AFP/Getty Images
Soudan
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Soudan en 2024.
Toutes les parties au conflit ont continué à commettre de graves violations du droit international relatif aux droits humains, ainsi que des violations du droit international humanitaire, qui ont fait de nombreuses victimes parmi la population civile. Des États ont fourni des armes aux parties belligérantes, notamment au Darfour, contrevenant ainsi à l’embargo sur les armes imposé par le Conseil de sécurité de l’ONU. Les femmes et les filles étaient fréquemment victimes de violences sexuelles liées au conflit. Des pillages et des destructions de biens de caractère civil ont eu lieu, en violation des droits économiques, sociaux et culturels. Une coupure presque totale des télécommunications a restreint le droit à la liberté d’expression et la possibilité pour les organisations humanitaires d’apporter leur aide. L’impunité était toujours de mise pour les atrocités liées au conflit. Depuis avril 2023, des millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays ou ont trouvé refuge dans les pays voisins et vivaient dans des conditions déplorables. Les autorités égyptiennes ont renvoyé de force des centaines de réfugié·e·s soudanais dans leur pays d’origine.
CONTEXTE
Le conflit armé qui a éclaté en avril 2023 à Khartoum, la capitale, entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces d’appui rapide (FAR) a continué de se propager à d’autres parties du pays, notamment aux États d’Al Djazirah, de Sennar et du Darfour septentrional. Pendant cette période, d’autres groupes armés et acteurs ont rejoint le conflit, se ralliant soit aux FAS, soit aux FAR.
En dépit de multiples démarches politiques, les combats se sont intensifiés tout au long de l’année. Le Conseil de sécurité de l’ONU, l’UA et le reste de la communauté internationale n’ont pas pris les mesures qui s’imposaient pour protéger les civil·e·s, mettre fin aux atrocités et interrompre la fourniture d’armes et d’autres soutiens aux parties au conflit.
VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
De nombreux civil·e·s ont été pris dans des tirs croisés entre les FAS et les FAR, ainsi que d’autres milices ou groupes armés, qui ont lancé des attaques dans et depuis des secteurs peuplés de civil·e·s, souvent au moyen d’armes explosives à large rayon d’impact. Selon l’ONU, plus de 27 000 personnes ont été tuées et plus de 33 000 blessées entre avril 2023 et décembre 2024, principalement des civil·e·s, lors de frappes aériennes, de tirs d’artillerie lourde et d’attaques terrestres contre leurs habitations et leurs villages.
Après la défection d’Abu Aqla Keikel, alors commandant des FAR dans l’État d’Al Djazirah, et son ralliement aux FAS le 20 octobre, les FAR ont lancé des attaques de représailles dans de nombreux villages et villes de l’est de cet État, notamment à Tamboul, Rufaa, Al Hilaliya, Al Seriha et Al Uzibah. Elles ont pris pour cible des personnes à leur domicile, sur des marchés et dans la rue. Selon les Nations unies, entre le 20 et le 26 octobre, au moins 124 civil·e·s ont été tués, des dizaines d’autres ont été blessés et environ 119 400 ont été déplacés de l’État d’Al Djazirah. Au moins 25 cas de violences sexuelles ont été signalés dans plusieurs villages de l’est de cet État.
TRANSFERTS D'ARMES IRRESPONSABLES
En septembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a prolongé d’un an l’embargo sur les armes en vigueur depuis 2004, qui ne concernait que le Darfour. En revanche, il ne l’a pas étendu au reste du Soudan. Cet embargo sur les armes n’était pas correctement appliqué et faisait l’objet de violations fréquentes, outre le fait qu’il ne répondait absolument pas aux exigences de la crise en cours.
Cette année encore, le conflit a été alimenté par un approvisionnement pratiquement sans entraves du Soudan, y compris du Darfour, en armes et en munitions provenant d’États et d’entreprises du monde entier. Les États et divers groupes armés actifs au Soudan se sont servis de pays voisins pour transférer des armes vers le Soudan et d’une région à l’autre du territoire.
De grandes quantités d’armes et d’équipements militaires de fabrication récente ont été exportées au Soudan, notamment par la Chine, les Émirats arabes unis, la Russie et la Turquie, et détournées ou acheminées clandestinement vers le Darfour, où ce matériel risquait fortement d’être utilisé pour commettre de graves violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire.
Des entreprises russes et turques ont fourni des variantes d’armes légères, habituellement vendues sur le marché civil, à des marchands d’armes ayant des liens étroits avec les FAS. De plus, des centaines de milliers de pistolets à blanc (armes à létalité réduite) ont été exportés vers le Soudan par des entreprises basées en Turquie, ainsi que des millions de balles à blanc, probablement en vue de leur transformation en armes meurtrières.
VIOLENCES SEXUELLES OU FONDÉES SUR LE GENRE
Des femmes et des filles ont cette année encore subi des violences sexuelles liées au conflit. La Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan [ONU] a constaté que les violences sexuelles ou fondées sur le genre, en particulier les viols et les viols en réunion, étaient monnaie courante dans tout le Soudan. Elle a également découvert que des membres des FAR avaient perpétré des violences sexuelles à grande échelle lors d’attaques de villes situées dans la région du Darfour et dans le Grand Khartoum.
Dans de nombreux cas, des soldats des FAR ont violé, seuls ou en réunion, des femmes et des filles devant des membres de leur famille, en particulier dans la région du Darfour et dans l’État d’Al Djazirah. Le 27 mai, trois soldats des FAR ont ainsi violé en réunion une femme dans le quartier de Thoura Sud, à El Fasher (Darfour septentrional), sous les yeux de son mari et de son fils de cinq ans.
DROITS DES PERSONNES DÉPLACÉES
Le conflit a connu une escalade et s’est révélé de plus en plus dévastateur pour les civil·e·s.
Plus de 11 millions de personnes étaient déplacées à l’intérieur du pays, dont 8,6 millions depuis avril 2023, ce qui faisait du Soudan le théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements de population. Un nombre croissant de personnes ont dû fuir leur domicile au cours de l’année, ce qui n’a fait qu’aggraver une situation humanitaire déjà catastrophique.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Depuis avril 2023, plus de 3,2 millions de personnes ont quitté le Soudan pour se réfugier dans les pays voisins (Égypte, Éthiopie, Libye, République centrafricaine, Soudan du Sud et Tchad), où elles vivaient dans des conditions déplorables.
En Égypte, les garde-frontières et la police, agissant respectivement sous l’autorité du ministère de la Défense et du ministère de l’Intérieur, ont procédé à des arrestations arbitraires en grand nombre et détenu des femmes, des hommes et des enfants dans des conditions cruelles et inhumaines dans l’attente de leur renvoi forcé au Soudan. Entre janvier et mars, les autorités égyptiennes ont renvoyé de force environ 800 Soudanais·es en 12 fois, sans effectuer d’évaluations individuelles ni accorder à ces personnes le droit de solliciter une protection internationale ou de contester leur expulsion (voir Égypte). Ces renvois ont coïncidé avec la propagation du conflit dans les États d’Al Djazirah et de Sennar, entre autres ; en conséquence, de nombreuses personnes qui étaient de retour ont été contraintes de fuir de nouveau vers l’Égypte ou un autre pays.
DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Les Nations unies ont dénoncé une situation de famine dans le camp pour personnes déplacées de Zamzam (Darfour septentrional), qui accueillait plus de 400 000 personnes. L’insécurité alimentaire aiguë a atteint des niveaux record sur l’ensemble du territoire, touchant 25,6 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population. Ce problème a été accentué par la hausse des prix des denrées alimentaires, en particulier dans les zones où une situation de famine était signalée. À El Fasher, les prix du sorgho et du mil ont plus que triplé depuis 2023, et celui du blé a plus que doublé.
Selon la Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan, des pillages et des destructions de biens, principalement imputables aux FAR et à leurs alliés, ont touché les populations non arabes, en particulier les Masalits. Les moyens de subsistance de ces populations ont été mis à mal, de même que des infrastructures civiles, notamment des habitations, des sources de nourriture et d’eau, le système de santé, des stations de pompage d’eau, ainsi que des bureaux et autres locaux publics. La Mission d’établissement des faits a conclu que ces actes constituaient des violations des droits économiques, sociaux et culturels de la population civile, en particulier de ses droits à la santé physique et mentale, à l’alimentation, à l’eau et au logement.
DROIT À L'INFORMATION
Le blocage presque total des communications causé par une coupure des télécommunications début février a restreint le droit à la liberté d’expression et risquait fortement de compromettre la coordination des services humanitaires et d’aide d’urgence à destination de millions de personnes prises au piège du conflit. Avant cette coupure, les FAR avaient pris le contrôle des centres de données des fournisseurs d’accès à Internet de Khartoum, selon l’ONG Access Now.
Le 7 février, l’ONG Netblocks a indiqué que Zain, principal opérateur de téléphonie mobile, était « en grande partie indisponible ». L’accès à Internet a été perturbé tout au long de l’année dans de nombreuses régions. De ce fait, les observateurs et observatrices et les défenseur·e·s des droits humains n’ont pas pu recueillir d’informations sur les atteintes aux droits humains commises.
Parallèlement, les Soudanais·es de la diaspora et les personnes coordonnant les interventions d’urgence sur le terrain n’étaient pas en mesure d’envoyer ni de transférer de l’argent vers le Soudan ou à l’intérieur du pays par l’intermédiaire d’applications bancaires mobiles, qui étaient l’un des derniers moyens permettant les virements financiers. Dans certains cas, lorsque l’argent était transféré, les bénéficiaires n’y avaient pas accès.
DROIT À LA VÉRITÉ, À LA JUSTICE ET À DES RÉPARATIONS
L’impunité était toujours de mise pour les atrocités liées au conflit. Trois hommes inculpés par la CPI (dont l’ancien président Omar el Béchir) n’avaient toujours pas été remis à la Cour pour être jugés.
En août, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a adopté une résolution créant une mission conjointe d’établissement des faits avec le Département des affaires politiques, de la paix et de la sécurité de l’UA. Cette mission était chargée d’enquêter sur la situation des droits humains au Soudan et de publier ses conclusions dans un délai de trois mois. Aucune conclusion ou recommandation n’avait été publiée à la fin de l’année.
Le premier rapport de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan, publié en septembre, a conclu que les FAS et les FAR avaient commis des crimes de guerre et que les FAR avaient également perpétré des crimes contre l’humanité. Ce rapport contenait des recommandations concernant l’obligation de rendre des comptes et l’accès des victimes à la justice. Il recommandait notamment d’étendre la compétence de la CPI à l’ensemble du territoire et non plus au seul Darfour, de mettre en place un mécanisme judiciaire international, d’accroître l’utilisation de la compétence universelle par les États, et de créer une commission vérité et un bureau d’aide aux victimes et de gestion des réparations. En octobre, une résolution du Conseil des droits de l’homme [ONU] a prolongé d’un an le mandat de la Mission internationale indépendante d’établissement des faits pour le Soudan.

Violences sexuelles au Soudan : les témoignages des victimes des forces armées

Comment le commerce des armes alimente le conflit au Soudan

Soudan : la population confrontée à des horreurs inimaginables

Soudan : un an après, ce qu'il faut savoir sur le conflit
Au Soudan, l’espoir d’un avenir meilleur
