Avignon se transforme en « pays éphémère des arts vivants » du 5 au 26 juillet, selon Tiago Rodrigues, directeur du festival. Pour cette 79e édition, La Chronique met en lumière la pièce Taire, de Tamara Al Saadi.

Extrait de La Chronique d'été #464-465
"Taire" une pièce présentée au festival d'Avignon — Par Aurélie Carton
En prologue de la pièce Taire de Tamara Al Saadi, une phrase est tracée à la craie sur le rideau de scène métallique : « enfant : infans en latin / celui qui ne parle pas ». Tout est dit, ou presque. C’est en effet autour du mutisme que la metteuse en scène franco-irakienne a construit son spectacle. Dans un jeu de miroirs, elle fait dialoguer deux époques, deux silences, face à la fureur du monde. D’un côté, Antigone, héroïne de la Grèce antique, choisit de se taire pour résister à Créon, son oncle, va-t’en-guerre implacable dont les discours martiaux résonnent étrangement avec notre actualité : « Il ne s’agit pas de défendre la cité [de Thèbes]. Il s’agit d’exterminer toute éventuelle menace […]. C’est avec la haine qu’on fait la guerre. » De l’autre, Eden, adolescente d’aujourd’hui, née d’un viol, ballottée de familles d’accueil en foyers. Elle aussi s’est murée dans le silence, faute de mots, broyée par l’arbitraire d’une institution comme l’Aide sociale à l’enfance, avec ses règles rigides et ses défaillances. Jusqu’au jour où elle explose : « Je dois louer ma place sur terre avec zéro thune », hurle-t-elle à son éducatrice. Pour Taire, Samara Al Saadi a mené un travail de terrain approfondi auprès de jeunes suivis en milieu hospitalier, notamment en pédopsychiatrie.
Bruitages et musique
Sur scène, le décor est minimaliste : un simple échafaudage se transforme en tour de guet, en salon, en dortoir… Les comédiens glissent avec fluidité d’une époque à l’autre. Les rôles ne sont pas genrés : une femme incarne un Créon tout en imprécations, tandis qu’un homme enturbanné joue avec fantaisie une servante espiègle. Tamara Al Saadi fait confiance à la magie du théâtre : « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas d’avoir une voiture sur scène parce que j’en aurais les moyens, mais de la raconter de façon ludique et amusante. » Car, malgré la gravité du propos, l’humour affleure. Dès les premières minutes, un jeune soldat qui s’ennuie ferme, posté devant Thèbes, met ses écouteurs pour écouter Mylène Farmer : « Tous mes idéaux : des mots abîmés... Je cherche une âme, qui pourra m’aider ? Je suis d’une génération désenchantée, désenchantée. » Ces télescopages comiques ou grinçants offrent une respiration bienvenue à la tragédie. Tout comme les interventions sur scène d’une bruiteuse et des musiciens Bachar Mar-Khalifé (percussions, chant, composition) et Fabio Meschini (guitare et basse électriques). La musique vient alors raconter ce que les mots ne peuvent plus dire.
Pour en savoir plus : Trois questions à Caroline Gillet, documentariste et cocréatrice de One’s own room Inside Kabul
Informations pratiques
Taire
📅 21, 22, 23 juillet à 13h
📍 La FabricA, 11 rue Paul-Achard, Avignon
⌚ 2h

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