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URGENCE GAZA-ISRAËL

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Illustration Damien Roudeau

Le scandale des armes non létales « Une opacité dangereuse »

La majorité des armes de maintien de l’ordre passe sous les radars des traités internationaux. Entretien avec Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes à Amnesty International France.

Extrait de la Chronique de mai 2024 #450

— Propos recueillis par Michel Despratx

La France exporte des armes de maintien de l’ordre, dites « à létalité réduite » qui peuvent pourtant tuer ou mutiler. Le droit international a-t-il les moyens, aujourd’hui, de moraliser ce commerce ?

aymeric elluin — Oui et non. Le droit international protège des atteintes au droit à la vie, prohibe la torture ou encadre le recours à la force par les forces de police, mais le commerce de ces équipements manque de contrôle. Prenons l’exemple de la grenade lacrymogène et assourdissante. Deux traités internationaux, le Traité sur le commerce des armes (TCA) et la position commune de l’Union européenne (UE) sur les exportations d’armes, obligent la France à bloquer son exportation si un acheteur peut s’en servir pour commettre une grave violation des droits humains. Un État lié par le TCA peut signaler la France si elle ne le fait pas. Mais aucun ne l’a fait pour l’instant, et, de toute façon, aucun mécanisme de sanction internationale n’est prévu. Quant à la grande majorité des armes de maintien de l’ordre, je veux parler des balles en caoutchouc ou des grenades lacrymogènes simples, elles sont tout simplement exclues de ces traités. Ce qui signifie qu’aucune instance internationale ne surveille leur exportation. 

 

Comment savoir quelles armes de maintien de l’ordre la France exporte et vers quels pays ?

C’est mission quasi impossible. On n’a aucune information officielle permettant de connaître la nature des armes, leurs quantités, et les pays qui les achètent. On ne le découvre que de façon incidente, par un entrefilet dans la presse, ou en suivant le travail des ONG qui repèrent, parfois, qu’une balle en caoutchouc ou une grenade lacrymogène a mutilé ou tué plusieurs manifestants. On peut scruter aussi les informations douanières, mais c’est un exercice très compliqué pour le profane. Il faut connaître les nomenclatures par cœur, des séries de chiffres qui désignent des catégories d’armes génériques, et, au final, on ne saura pas ce qu’on a précisément exporté. Rien que pour savoir, par exemple, si c’est le Premier ministre ou si ce sont les douanes qui signent l’autorisation d’exporter un lanceur de grenades, cela prend des journées de recherche. Il faut décortiquer un enchevêtrement de lois, d’arrêtés gouvernementaux, de textes d’application qui renvoient à des codes de la Défense, à des codes de la sécurité intérieure, et naviguer dans un millefeuille législatif déchiffrable uniquement si l’on est juriste. Et quand on veut connaître quels critères, liés aux droits humains, ont poussé un gouvernement à accorder une autorisation d’exporter une arme, c’est impossible. Les délibérations interministérielles sont secrètes. C’est une opacité dangereuse, car elle n’encourage pas le gouvernement à se montrer plus vigilant sur les exportations. Ni les entreprises à exercer un vrai devoir de vigilance, c’est-à-dire à s’inquiéter des utilisations des équipements qu’elles fournissent, et prévenir, ainsi, leur exportation.

 

Le Parlement pourrait-il exercer un contrôle démocratique sur ce commerce ?

Il le devrait. Mais il ne le fait pas. On peut même affirmer qu’en cette matière, il a abandonné son obligation de contrôle de l’action du gouvernement. Pourtant, lorsque l’on exporte une arme de maintien de l’ordre, un équipement policier, on l’exporte au nom de chaque Français. On devrait donc en rendre compte à chaque Français. Et c’est d’autant plus crucial que si les parlementaires, les médias et la société civile étaient informés de telles exportations, certaines d’entre elles, une fois soumises à la critique et à la contradiction, n’auraient certainement pas lieu.

 

Comment pourrait-on réguler ou moraliser ce commerce des armes de maintien de l’ordre ?

L’idéal serait de le soumettre à un contrôle international. Un nouveau traité, par exemple, pourrait obliger chaque État à examiner la situation des droits humains avant toute exportation de matériel de maintien de l’ordre. Dans le but d’empêcher toute vente à des polices étrangères aux comportements violents. Un tel traité pourrait, aussi, contraindre chaque État à publier un rapport annuel complet – inexistant aujourd’hui – sur ses exportations.

 

Un tel traité est-il envisageable aujourd’hui ?

Oui. Il est même en cours de construction. En mai 2022, les Nations unies ont recommandé l’adoption d’un contrôle mondial sur le commerce de certains équipements de maintien de l’ordre comme les gaz lacrymogènes, certaines menottes, les balles en caoutchouc ou certains types de matraques qui peuvent être utilisés pour infliger des tortures ou des mauvais traitements. L’Onu, soutenue par l’UE et de nombreux pays du monde, travaille aujourd’hui pour élaborer un traité juridiquement contraignant. Et Amnesty International fait partie des ONG qui lui soumettent des recommandations. 

 

Pour aller plus loin

Une pétition à signer

« Pour un contrôle des armes à létalité réduite »

 

Une vidéo à voir

« J‘ai perdu un œil »

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