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France - Matraque décibels

Le gouvernement français nie utiliser des armes soniques pour le maintien de l’ordre. Mais une vidéo semble montrer le contraire. Et sur Internet, certains modèles sont en vente libre, conçus pour infliger « une sensation de torture ».

Dossier de La Chronique de septembre #467

— Par Élodie Emery

La France utilise-t-elle des armes soniques ? Officiellement, non. Le ministère de l’Intérieur l’assure à La Chronique : « Les forces de sécurité intérieure n’utilisent pas d’armes soniques de type LRAD. » Pourtant, certaines images racontent une autre histoire.

Extrait d'une vidéo du journaliste Yazid Bouziar, tournée le 18 juin 2021.

Extrait d'une vidéo du journaliste Yazid Bouziar, tournée le 18 juin 2021.

Un CRS disperse des manifestants avec un appareil diffusant un son strident et assourdissant. Extrait d'une vidéo du journaliste Yazid Bouziar, tournée le 18 juin 2021. © Yazid Bouziar

Dans une vidéo filmée en 2021 aux Invalides, à Paris, par le journaliste Yazid Bouziar, un policier apparaît, appareil à la main, courant derrière un groupe de manifestants. L’engin diffuse un son strident, pulsé, proche d’une alarme assourdissante. Les jeunes fuient en panique, effrayés par le bruit. L’appareil en question ? Un LRAD ? Non, rétorque le ministère : « C’est un mégaphone » conçu pour « l’amplification de la voix », mais « également doté, précise-t-il, d’un dispositif sonore de type sirène ». Un simple mégaphone, donc, capable d’émettre un son pulsé, insupportable, et perceptible à plusieurs centaines de mètres ? C’est justement ce qui définit une arme sonique de type LRAD. Mais le gouvernement campe sur sa position : « Il ne s’agit en aucun cas d’un LRAD ou canon à son [...]. Le matériel a vocation de communication et de signalement, sans finalité coercitive ou offensive. » Une version officielle que les manifestants pourchassés par le bruit qualifieraient sans doute autrement. Cette ligne de défense rappelle d'ailleurs celle du ministre serbe qui, en mars, niait l'existence d’armes soniques dans son pays, malgré les preuves accablantes.

Une sensation de torture

En France, les armes soniques sont autorisées… sans le dire. Rien, dans la loi, n’en interdit explicitement l’usage. Le Code de la sécurité intérieure (1) autorise « tout moyen de force nécessaire et proportionné » pour disperser une foule, sans détailler les types d’armes utilisées. Le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) parle de « moyens non létaux » et de « dispositifs de communication », mais reste lui aussi vague. Résultat : un flou juridique béant. Les armes sonores échappent à toute régulation… Et n’importe qui peut en acheter.

Un simple mégaphone ? ou une arme qui ne dit pas son nom ?

Sur Internet, des fabricants comme Genasys vendent des LRAD en les présentant comme de simples « systèmes de communication pour situations d’urgence ». En France, l’entreprise Qualiforce propose un canon sonore à 1 895 €, capable d'émettre 131 dB, soit le bruit d’un avion au décollage, à bout portant. L’effet recherché ? Il est annoncé sans détour sur leur site : « une sensation de torture, de désorientation et de paranoïa ». Son directeur, Lucas Prouteau, relativise : « Le but ce n’est pas de torturer qui que ce soit, mais que les personnes se bouchent les oreilles et partent immédiatement. » Le dispositif est vendu à des clients très divers : pharmacies, Apple Store, entrepôts… Mais aussi, ajoute-t-il, à « des mairies souhaitant protéger des bâtiments inoccupés contre les intrusions ou les squatteurs », notamment à Nice et à Villeurbanne. La puissance maximale a été fixée à 131 dB, « par bon sens », assure-t-il. Mais rien, dans la législation, ne l’y oblige. Et selon l’entreprise, certains clients institutionnels, comme le GIGN, ont déjà manifesté leur intérêt pour des modèles encore plus puissants. Pour Aymeric Elluin, spécialiste des armes à Amnesty International, ces armes soniques posent un sérieux problème : « Les dispositifs sonores de type LRAD peuvent porter atteinte au droit de manifester, à la santé, à la dignité humaine et à l’intégrité physique et mentale. En l’absence d’étude scientifique fiable et indépendante, leur usage est incompatible avec les obligations fondamentales des États. » Pourtant, en France, ces dispositifs sont bel et bien présents. Officiellement, ce ne sont pas des armes. Mais ils en ont tous les effets. 

 

1— Code juridique créé en 2012 regroupant l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires relatives à la sécurité publique et civile.

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