Les sécheresses de plus en plus intenses se succèdent dans le sud de Madagascar à cause du changement climatique. La population des Antandroy est forcée de fuir la famine. Mais sur les routes de l’exil, ces populations subissent de nombreuses violations de leurs droits humains. Enquête.
Madagascar est particulièrement vulnérable aux effets du changement climatique. Dans le sud du pays, la région de l’Androy ressemble de plus en plus à un désert. Les sécheresses, aggravées par la crise climatique, multiplient les épisodes de famine qui frappent les populations, en particulier le peuple des Antandroy, qui n’ont souvent d’autre choix que de fuir.
Dans notre nouveau rapport « Cette souffrance me hante même ici », nous avons enquêté sur le parcours de ces déplacé·es du sud de Madagascar entre 2017 et 2024 à cause du changement climatique.
Une équipe d’Amnesty International s’est rendue dans six villages d’Antandroy déplacé·es dans le nord de Madagascar et à la principale gare routière d’arrivée.
Au total, elle s’est entretenue avec 122 personnes déplacées, a consulté des représentant·es des autorités, des organisations locales et internationales, des universitaires et des scientifiques spécialistes du climat, et a analysé des images satellitaires.
Fuir la famine
La région de l’Androy est historiquement frappée par des épisodes de sécheresse et de famine. Mais les scientifiques l’affirment, le changement climatique intensifie et aggrave cette situation.
Entre 1930 et 2021, Madagascar a subi 15 épisodes de kéré (famine, en dialecte Antandroy).
La famine de 2021 est la pire que le sud du pays ait connu depuis 40 ans avec plus d’un million de personnes atteintes. La plupart des Antandroy vivent de l’agriculture, de l’élevage du bétail et de la pêche. Les troupeaux sont décimés par la sécheresse, et les cultures peinent à pousser dans ce sol aride.
Lire aussi : Notre enquête sur la famine de Madagascar en 2021

Un homme tente de se rafraichir à l’ombre d’un arbre dans la région de l’Androy dans le sud de Madagascar © Pierrot Men for Amnesty International
Lire aussi : Pourquoi le changement climatique menace les droits humains
Face à la famine et au manque d’aide de l’État malgache, les populations n’ont souvent d’autre choix que de partir.
La destruction de cactus résistants à la sécheresse par la France coloniale :
C'est lors de la colonisation française (1896-1960) que les sécheresses chroniques, qui faisaient déjà partie de la vie des Antandroy, ont commencé à entraîner de graves famines. Le déplacement du sud vers le nord du pays est alors devenu un mécanisme d’adaptation pour le peuple Antandroy.
Les forces françaises coloniales ont détruit délibérément environ 40 000 hectares de cactus Opuntia monacantha résistants à la sécheresse. Contrairement aux autres espèces de cactus que l'on trouve aujourd'hui à Androy et qui ne sont pas comestibles pour l'homme, l'opuntia monacantha fournissait de l'eau et de la nourriture essentielles aux populations et au bétail pendant les périodes de sécheresse, leur permettant de rester sur leurs terres ancestrales.
En 1929, toute la végétation de ces cactus a complétement été détruite par l’armée française au motif qu’elle abritait des bastions de résistance malgache.
La famine qui a suivi en 1930 a été dévastatrice. 32 000 membres des Antandroy sont mort·es de faim ou ont été forcé·es à fuir. Cette grande famine a été dénommée “kéré”, signifiant “mourir de faim” dans le dialecte des Antandroy. Ce terme a été gardé pour parler des famines successives.
La France a ainsi une responsabilité historique. Elle a accru la vulnérabilité des populations malgaches face à la famine en réduisant à néant les mécanismes traditionnels leur permettant de faire face aux sécheresses chroniques.
Parcourir 1 500 kilomètres pour survivre
A pieds ou en bus lorsqu’ils en ont les moyens, la route de l’exil des Antandroy est semée d’embuches. Cette route les mène bien souvent dans la région de Boeny à 1500km au nord de leur région d’origine.
90 000 personnes ont fui le sud de Madagascar entre 2018 et 2024. La plupart sont des Antandroy.
Beaucoup de personnes que nous avons rencontré ont témoigné qu’elles n’avaient pas les moyens d’effectuer ce voyage. Elles ont dû emprunter de l’argent, vendre leurs biens, s’arrêter en chemin pour travailler ou demander à des membres de leur famille de leur envoyer de l’argent. Les femmes et les enfants sont d’autant plus vulnérables aux risques d’exploitation rencontrés sur la route.
Le gouvernement malgache n’a pas fourni de moyens de transport gratuit ou abordables aux Antandroy pourtant forcé·es de quitter leurs terres à cause des famines. Aucune aide alimentaire ni aucun abri de base pendant leur transit n’a été prévu.

Un bus quitte la région désertique de l’Androy. © Pierrot Man pour Amnesty International, 2021
Lors de notre enquête, nous avons collecté des témoignages de victimes d’exploitation sur la route de l’exil (les noms de victimes ont été modifiés pour des raisons de sécurité) :
Lia nous a expliqué avoir été contrainte à des relations sexuelles avec des conducteurs en échange d’une place dans le bus.
« J’ai négocié avec le chauffeur. Pour qu’on le rembourse, il a employé mon fils comme gardien de troupeau pendant un an, la dette envers le chauffeur s’élevait à 220 000 ariarys (environ 50 dollars des États-Unis). Mon fils l’a fait car il n’avait pas le choix, étant donné que le chauffeur avait menacé de nous emprisonner si la dette n’était pas remboursée. »
« Je ne peux pas subvenir aux besoins de ma famille. Je voudrais les faire venir ici, mais je n'ai pas les moyens de payer les frais de transport. Je demande à l'État de m'accorder une aide financière pour que je puisse faire venir mon plus jeune enfant, qui est encore à Androy [région touchée par la sécheresse]. »
A l’arrivée, pas d’Eldorado
Les Antandroy, aux fortes traditions culturelles agropastorales, fuient pour la région de Boeny en quête de nouvelles terres à cultiver et où élever du bétail. Mais après avoir parcouru ces milliers de kilomètres, ils continuent de subir des violations de leurs droits humains à leur arrivée.
Ces populations sont complètement délaissées par l’État malgache. Aucune aide ne leur est proposée. Pire, elles sont les victimes d’expulsions forcées par des gendarmes et civils embauchés par les autorités.
Des expulsions brutales
Les Antandroy ne sont pas prévenu·es de ces expulsions. Ils sont ensuite laissé·es sans abris, forcé·es à fuir de nouveau et à dormir à même le sol.
Nous nous sommes caché·es sous terre, dans des trous. Nous y sommes resté·es [pendant deux semaines] jusqu'à ce qu'ils aient fini de brûler nos huttes. Ensuite, nous sommes revenu·es pour nettoyer et récupérer tout ce que nous pouvions parmi les débris.
Fisoara, une femme de 40 ans victime d’expulsion forcée.
Betro, une femme de 28 ans, se rappelle un épisode traumatique lors d’une expulsion en juillet 2021. Les gendarmes ont fait irruption dans une église où elle était en train de prier : « À ce moment-là, sous le choc de les voir, j’ai accouché et puis j’ai fui [elle était enceinte de neuf mois]. Le cordon ombilical n’avait même pas encore été coupé... L’État n’a rien fait... Ils se sont contentés d’arrêter des gens. »
Dans trois des sept villages touchés par les expulsions entre avril et juillet 2021, plus de 222 cases ont été détruites ou brûlées. Plus de 1 554 personnes y vivaient.
Une prison à ciel ouvert
Ce n’est qu’en mars 2023, deux ans après les violentes expulsions de 2021, que les autorités régionales de Boeny proposent aux Antandroy un site de réinstallation. Ce site sert de projet pilote pour le relogement des déplacé·es climatiques de la région d’Androy. Pourtant, les conditions que nous avons observées sur place sont catastrophiques.
100 nouvelles personnes arrivent chaque semaine de la région du sud Androy à celle du nord Boeny.
Ce site est composé de 33 petites cases dont les murs ne sont pas étanches, laissant entrer la pluie, le vent et la chaleur écrasante. Pendant la saison des pluies, le niveau du fleuve Kamoro, situé à proximité, monte dangereusement. Le courant est fort et le site se retrouve encerclé par des eaux infestées de crocodiles. Les populations se retrouvent coupées des services essentiels comme les commerces, les pharmacies, les hôpitaux et les écoles. En 2023, un homme a été attaqué par un crocodile et un autre s’est noyé en tentant de traverser.
Les capacités du site sont trop faibles pour accueillir les plus de 1500 personnes expulsées et les nombreux nouveaux déplacé·es climatiques du·es à la famine.
Qu’est-ce que je peux vous dire ? On ne peut pas y faire grand-chose. Si on tombe malade, c’est la mort, car on ne peut pas traverser la rivière, nous n’avons pas assez d’argent pour payer la pirogue.
Mandry, mère de huit enfants.
Les violations des droits humains subies par les Antandroy :
Droit de circuler librement
Droit de choisir son lieu de résidence
Droit à un logement convenable
Droit à un niveau de vie suffisant
Nos demandes :
👉 L’État de Madagascar doit adopter une stratégie et des politiques publiques pour répondre à la crise des déplacé·es climatiques en accordant la priorité aux droits fondamentaux des Antandroy déplacé·es, dont l’accès au transport, à la nourriture, à l’eau, à des installations d’assainissement, au logement et à la sécurité personnelle.
👉 Les pays à haut revenu, les plus responsables historiquement du changement climatique, doivent apporter leur aide à Madagascar à travers un soutien financier et technologique pour répondre aux besoins du sud du pays touché et favoriser l’adaptation de ses habitant·es, réparer les pertes et préjudices subis, et améliorer ainsi les conditions de vie.
👉 La France doit reconnaitre sa responsabilité historique et mettre en place une justice réparatrice quant à la vulnérabilité des Antandroy face au changement climatique.
Madagascar doit garantir les droits fondamentaux des déplacé·es climatiques !
Damisoa et sa famille se trouvent dans un site de réinstallation pour les déplacé·es climatiques du sud de Madagascar. Ce site, isolé, est dépourvu d’accès à l’alimentation, l’eau, la santé, l’éducation et à un logement convenable.
Les autorités malgaches doivent assurer l’accès à ces droits fondamentaux.