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QUAND UN DROIT TOMBE, DES VIES BASCULENT

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Image extraite du film « La Voix de Hind Rajab », de Kaouther Ben Hania. La photo montrée par le comédien est la vraie photo de Hind, 5 ans et demi / JOUR2FÊTE

« La voix de Hind, c’est Gaza qui appelle à l’aide » : entretien avec Kaouther Ben Hania

À Gaza, une personne tuée sur trois est un enfant. Dans son film « La Voix de Hind Rajab », Kaouther Ben Hania nous fait entendre le vrai appel au secours d’une petite fille à Gaza, Hind Rajab, qui s’est retrouvée piégée dans une voiture sous les tirs de l’armée israélienne. La réalisatrice franco-tunisienne rend ainsi hommage aux membres du Croissant-Rouge palestinien qui ont tout fait pour lui porter secours, en vain. Nous avons rencontré Kaouther Ben Hania qui nous raconte le procédé unique déployé pour son film et sa sidération face au génocide. Son film est un appel à se mobiliser.

Amnesty International est partenaire du film. Face au génocide à Gaza, qui se poursuit, le cinéma est un outil de prise de conscience et de lutte contre l’impunité. Là où nous enquêtons, les artistes, font ressentir. Le pont qui nous relie, c’est la quête de justice.

« Venez me chercher ! », supplie Hind Rajab, cinq ans et demi, prise au piège dans une voiture à Gaza. Au bout du fil, les bénévoles du Croissant-Rouge palestinien, à Ramallah. Nous sommes le 29 janvier 2024. Le matin même, l’armée israélienne émet un ordre d’évacuation aux habitant.es du quartier de Tel al Hawa. Un énième déplacement forcé, illégal au regard du droit international. Ils doivent fuir. Hind monte dans la voiture de son oncle et de sa tante, avec ses quatre cousins. Le véhicule est criblé de balles par l’armée israélienne. Hind est la seule survivante. Pendant plus de trois heures, elle reste en ligne avec les bénévoles, qui tentent de lui envoyer une ambulance. Des extraits de cet échange sont envoyés à la presse et diffusés partout sur les réseaux sociaux.

Et c’est là, sur son écran, que surgit la voix de Hind dans la vie de Kaouther Ben Hania. La petite voix sortie tout droit du chaos lui saisit le corps. Son unique moyen d’action, c’est le cinéma. Elle met en pause le projet de film sur lequel elle travaillait. Kaouther Ben Hania n’a pas choisi son nouveau film, il s’est imposé à elle. Alors que la réalisatrice franco-tunisienne s’interrogeait sur le sens de faire des films en plein génocide, La voix de Hind Rajab sera sa réponse. Dans le film, c’est la vraie voie de Hind que l’on entend et à travers elle, la voix de Gaza, la voix des Palestiniens et Palestiniennes.  

Où étiez-vous quand vous entendu la voix de Hind pour la première fois ? 

Kaouther Ben Hania : J’étais à l’aéroport, à Los Angeles. Je m’y rendais pour porter mon dernier film Les Filles d’Olfa, nominé aux Oscars. À cette période-là, j’étais collée aux informations : le génocide à Gaza se déroulait en live stream sur nos téléphones. Je vivais une crise existentielle en me demandant en boucle : « qu’est-ce que ça veut dire faire des films en temps de génocide ? » En entendant l’appel à l’aide de Hind, je me suis sentie basculer. J’ai ressenti un sentiment d’impuissance immense. Sa petite voix demandait juste qu’on ne la laisse pas seule. J’ai eu comme l’impression qu’elle me demandait de l’aide à moi. À cet instant, je passe par plein de questionnements : « Comment je peux la sauver ? Non, je ne peux pas la sauver. Je peux faire quelque chose ? Oui, mais quoi ? Tu ne sais que faire des films. Alors vas-y, fais un film ! » Ne rien faire, ça aurait été être complice. Je ne peux pas accepter un monde où personne ne répond à l’appel à l’aide d’un enfant.

Comment vous avez démarré la préparation de votre film ? 

J’ai pris contact avec le Croissant-Rouge palestinien pour obtenir l’enregistrement complet : 70 minutes d’appel à l’aide. C’était la pire expérience de mon existence. J’ai ensuite pris contact avec la mère de Hind, Wissam Hamad. Il était hors de question de faire le film sans son autorisation. Si elle refusait, on arrêtait tout. On a parlé longtemps, elle m’a parlé de justice, de mémoire. Nous avons eu son soutien total. Sa mère ne voulait pas que la voix de Hind disparaisse pas sous les décombres des cadavres à Gaza. C’est à partir de là que j’ai commencé à bâtir le récit. 

Après avoir écouté l’enregistrement complet de l’appel à l’aide de Hind, qu’est-ce que vous décidez d’écarter dans vos choix de réalisation ? 

Il y a mille et une façons de faire un film, mais très vite, j’ai écarté des options : je n’allais pas mettre en scène l’horreur, je n’allais pas rejouer la scène dans la voiture avec une comédienne. Cet angle, c'était non ! Et je n’allais pas effacer la vraie voix de Hind. J’allais la garder dans le film. Les spectateurs entendront le vrai enregistrement. La voix de Hind était tellement immédiate, je ne voulais pas la traiter comme une archive du passé. J’ai un eu besoin de raconter ce film au présent, quand tout était encore possible et qu’on pouvait encore la sauver. J’ai gardé le son brut, il ne fallait pas le toucher. Comme l’a dit sa mère : la voix de Hind devait retentir. 

Votre film rend hommage aux secouristes qui ont perdu tant de collègues à Gaza. On est en huis-clos dans le bureau des secouristes du Croissant-Rouge palestinien. Pourquoi avoir choisi leur point de vue ?

Dans l’enregistrement, on n’entend pas que la voix de Hind, on entend les secouristes du Croissant-Rouge. Les secouristes ne sont pas à Gaza, ils sont à Ramallah, à 83 kilomètres de l’enclave. Donc j’ai décidé de partir du point de vue des secouristes, tourner dans un bureau, montrer leur vécu, les dilemmes impossibles auxquels ils sont confrontés. Leur point de vue permettait de représenter notre situation : on est loin, on a envie d’aider mais on en est empêché. Ils devenaient nos oreilles pour écouter. Donc pour moi, c'était vraiment le meilleur point de vue. 

À travers le regard des secouristes vous montrez aussi le système impossible mis en place par Israël qui les empêchent d’agir… 

Ailleurs dans le monde, une petite fille de 5 ans et demi qui appelle à l’aide, on envoie une ambulance tout de suite ! Pas en Palestine. Pas à Gaza. L’ambulance se trouvait à seulement 8 minutes de la voiture où était Hind ! Mais il y a toute une série de procédures à suivre pour que l’ambulance puisse être envoyée sans que l’armée israélienne la bombarde. Il faut passer par des intermédiaires pour obtenir une autorisation de l’armée. Mais même si on respecte la procédure à la lettre, on est tués.

Des lois sont installées par Israël pour rendre la mission des secouristes impossible et pour rendre la vie des Palestiniens impossible. C'est ce qu'un dominant fait subir à un dominé pour lui dire, tu ne vaux rien, je vais rendre ta vie impossible. On est dans un système qui empêche une ambulance d’intervenir et qui une fois le feu vert donné la bombarde ! Ça, c'est ce qu'on appelle l’occupation, un génocide, tous ces termes qui font hurler pas mal de gens. 

Le comédien Amer Hlehel incarne Mahdi M. Aljamal, vrai employé du Croissant-rouge palestinien. Mahdi est coordinateur des opérations de sauvetage. Dans une scène du film, il montre tous les intermédiaires par lesquels il doit passer avant de pouvoir envoyer une ambulance.

Vous avez choisi de ne pas faire jouer les vrais bénévoles du Croissant-Rouge et de travailler avec des acteurs palestiniens, pourquoi ce choix ? 

J’étais évidemment en contact avec les vrais employés du Croissant-Rouge mais je n’allais pas leur demander de jouer leur propre rôle, je ne pouvais pas faire ce que j'avais fait dans Les Filles d’Olfa (qui associait acteurs et vrais protagonistes). Les vrais secouristes étaient dans un traumatisme énorme. Et ils avaient des Hind Rajab tous les jours !

J’ai cherché des acteurs qui ressemblaient aux vrais secouristes, et surtout, je tenais à avoir des acteurs palestiniens. Nous avons tourné à Tunis et tous les acteurs, figurants compris, sont Palestiniens. C'était important d’avoir l’accent juste, le ressenti, et surtout leur bagage palestinien. Et ça, ça n’a pas raté. Ils arrivaient avec leurs traumatismes liés à leur identité. Comme moi, les quatre comédiens vivaient une crise existentielle. Ils se posaient des questions par rapport à leur métier d'acteur en temps de génocide : "Qu'est-ce que je peux faire ? Est-ce que je sers à quelque chose ?" Mais faire ce film justement c’était une façon pour eux de retrouver du sens en tant que Palestiniens. 

Faire résonner la voix de Hind c’est aussi porter la voix de Gaza et des Palestiniens… 

Complètement. Pour les comédiens, être dans ce film, c’était aussi une façon de raconter leur propre histoire. Le problème avec la perception occidentale des Palestiniens, c'est qu’on ne leur permet pas d'exister. Et c'est parce qu’on ne leur permet pas d'exister, qu'ils n'existent pas. Ils sont déshumanisés, n’ont pas le droit d’avoir leur propre histoire. C’est aussi pour ça que j’ai fait ce film. 

À l’époque j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose de suspect dans la mort des Palestiniens, suspect aux yeux des médias. Parce que, non seulement on ne les laisse pas parler, mais il y a les étiquettes à coller sur eux, il y a tout un imaginaire autour du Palestinien qui fait que, même dans sa mort, il est suspecté d'avoir causé sa mort.

Vous avez tourné en novembre 2024, à Tunis, en plein génocide à Gaza. En quoi ce tournage était-il différent des autres ?

C'était le tournage le plus facile en termes de fabrication mais le plus difficile émotionnellement. On n’était pas dans un tournage habituel. D’habitude dans mes films, je ne lâche pas les comédiens ! Je peux faire quatre prises sur une même scène. Là, je n’ai pas du tout dirigé les comédiens. Ils ne jouaient pas mais revivaient un évènement réel. Dans leur casque, ils entendaient la vraie voix de Hind. Ils découvraient l’enregistrement qu’au moment du tournage. J'ai beaucoup parlé avec eux du fait de tourner ce film au présent, de faire vivre ce moment où il était encore possible de sauver Hind.

La comédienne Saja Kilani incarne Rana Hassan Faqih, vraie employée du Croissant-rouge palestinien. Rana était en ligne avec Hind pour tenter de la sauver.

C’est aussi le tournage où j’ai dû faire le plus de pauses. Nous étions tous dans l’émotion, on était dans le partage, besoin d’arrêter de tourner, de se prendre dans les bras car l’émotion était trop forte. Dans un moment où on vivait une totale perte de sens, ce projet nous en a donné. En faisant ce film, on rendait hommage à cette petite fille et à toutes les victimes civiles de Gaza. 

Les personnes découvrant l'histoire de Hind pourraient la trouver irréelle...

Oui j’avais peur que le spectateur mal informé se dise « ah c’est un thriller, c'est une rescue mission ». Non. Ça a eu lieu. Quand j’ai mis bout à bout tous les évènements de cette journée, ça ressemblait à un film d’horreur, sauf que ça ne l’était pas. C’était la réalité. Les secouristes qui respectent à la lettre la procédure et qui se font tirer dessus au moment de secourir Hind, même le plus diabolique des scénaristes n’aurait pas écrit ça ! Alors il fallait que je rappelle sans cesse au spectateur que c’était la réalité.  

Dans un monde où même la mort des enfants n'indigne plus, qu’est-ce que le cinéma permet ?

Le cinéma, c’est le lieu d’empathie par excellence. Le cinéma, ne débat pas, il vous fait ressentir. On est assis dans le noir, on se met à la place de l'autre, on a accès à son expérience. Si on n'a pas l'expérience de l'autre, l'autre n'existe pas, pire, on a peur de l'autre parce qu'on ne le connaît pas. Les drames peuvent s'effacer, rester dans le cercle familial de la mémoire des gens, mais leur représentation, racontée dans une histoire, devient un acte de mémoire. C’est comme ça que je me suis tournée vers le seul outil à ma disposition, le cinéma, non pas pour expliquer, ni analyser mais pour offrir un écrin à la voix de Hind et marquer un moment que l’humanité ne devrait jamais oublier. 

Le comédien Motaz Malhess incarne Omar A.Alqam, vrai employé du Croissant-Rouge palestinien. Omar aussi était en ligne avec Hind pour tenter de la sauver. A droite de la photo, la comédienne Clara Khoury, incarnant la vraie employée Nisreen Jeries Qawas du Croissant-Rouge.

Vous avez rencontré la mère de Hind pour la première fois il y a quelques jours… comment s’est passée cette rencontre ? 

C'était un moment de grande émotion. Après un an et demi d’échanges au téléphone, on se rencontrait enfin au festival de film de Doha : les vrais employés du Croissant-Rouge, les comédiens du film, la maman de Hind, toute l’équipe. C’était très émouvant de se retrouver, surtout qu’avant, j’étais très inquiète pour la mère de Hind : à Gaza, elle recevait des menaces de l’armée israélienne. J'avais peur que le drame de Fatma Hassona de Put Your Soul in Your Hand and Walk se répète. [La photographe palestinienne de 25 ans, protagoniste du film de Sepideh Farsi a été tuée le 16 avril 2025, quelques jours après que le film ait été sélectionné au Festival de Cannes]. Quand la mère de Hind a enfin pu être évacuée de Gaza, c’était un immense soulagement.  

Elle ne veut pas voir le film, ni écouter les enregistrements mais elle tenait à rencontrer le public après les projections. Pour elle, c'était comme une cérémonie où elle recevait les condoléances pour sa fille. Elle a eu cette phrase à Doha : « J’ai perdu ma fille, mon réconfort mais je n’ai pas perdu mon humanité ni ma mission : Je me tiens ici pour être leur voix quand on les réduit au silence pour dire au monde : Sauvez l’enfance de Gaza avant que sa dernière lumière ne s’éteigne. » Elle m’a raconté qui était sa petite fille, son rire, ses rêves : Hind voulait devenir dentiste. Avec sa cousine, Layan Hamada, 15 ans, elles disaient qu’ensemble elles ouvriraient un cabinet de dentiste à Gaza. Sa cousine était dans la voiture. Dans l’enregistrement, on entend son dernier cri et le tir qui la touche.

Pensez-vous que La Voix de Hind Rajab puisse changer les regards et devenir un outil pour la justice ? 

Avec ce film, j’espère beaucoup plus qu’un simple changement de regard. Le changement de regard, si on a un cœur, il est acquis. Il suffit juste de regarder comment les choses se passent.  

Je souhaite surtout que le film participer à un processus de justice : justice pour Hind, et toutes les victimes. Chacun apporte une pierre à l'édifice d’une justice qui est bafouée. C’est angoissant de vivre dans un monde où il n'y a pas de justice et c'est pour ça que le travail d’Amnesty International est si précieux. Tuer des civils ne doit pas diviser les gens, tuer un enfant ne doit pas diviser les gens, donc attaquer les ONGs, attaquer la Cour pénale internationale, pourquoi ? C'est un déni de réalité. Maintenant, on ne veut pas que le film reste cantonné dans un cercle de cinéphiles ou trop niche. Il doit voyager, toucher au-delà, et devenir un outil de changement. Le film va être projeté à des sessions à l'ONU, le 4 décembre. J’espère que le film pourra nourrir un mouvement plus large. 

Que répondriez vous aux personnes qui disent « c’est trop dur » ou « je sais déjà ce qui se passe, pas besoin de voir le film » ?

Je leur dis : ce n'est pas votre vie. Des gens ont vraiment vécu ça, allez voir pour être témoin, ne soyez pas dans le déni. Comment une petite fille de cinq ans et demi a vécu ses dernières heures sur cette terre, c’est innommable. Il faut voir, témoigner et surtout agir. La voix de Hind, c’est Gaza qui appelle à l’aide. Si c'est trop dur pour vous, faites au moins quelque chose pour alléger leur peine.

Voir « La Voix de Hind Rajab » au cinéma, c’est déjà une façon d’agir. C’est emporter la voix de Hind avec soi, emporter la voix de Gaza pour ne jamais oublier. C’est prendre part à la justice, à commencer par mettre fin à l’impunité d’Israël. Vous pouvez le faire dès aujourd’hui en signant notre pétition.

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