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Dessin de Simone Ringer

Dessin de Simone Ringer

En France, une psychiatrie à la dérive

En psychiatrie, la contrainte aux soins, l’isolement ou la contention doivent être utilisés en dernier recours. En réalité, l’urgence, le manque de moyens et de personnel tendent à banaliser ces pratiques.  

C’est un service de psychiatrie dans un département d’outre-mer sans contention ni isolement : en cas de crise, les patients ne sont ni attachés ni enfermés. Les personnes présentant un trouble psychique y séjournent au maximum trois jours, avant de sortir ou d’être transférées. Dans ce Centre d’accueil et de crise (CAC) le personnel soignant privilégie l’écoute de la souffrance et l’apaisement.

Notre unité de six lits est un sas de décompression entre les urgences et l’extérieur.

Raphaël G.*, jeune médecin psychiatre, qui travaille depuis deux ans dans ce service en soins libres.

Car en psychiatrie, il faut distinguer les soins libres de ceux qui ne le sont pas : les soins sans consentement. Quand il s’agit de santé, depuis la loi Kouchner de 2002, le consentement prime, c’est-à-dire que chacun a le droit de refuser un soin, même si ce refus met sa vie en danger, exception faite de la psychiatrie où une personne peut être hospitalisée « sous contrainte », « de force », « d’office ». Depuis la loi de 2011 qui précise les contours de ce type d’admission, il est d’usage de parler de soin sans consentement.

Être interné contre sa volonté requiert la signature d’un tiers, souvent la famille ou un proche, accompagnée de deux certificats médicaux. En cas de « péril imminent », s’il y a un risque urgent d’atteinte à l’intégrité du patient ou qu’un tiers ne peut être trouvé, un seul certificat médical suffit pour justifier l’enfermement. En cas de « danger imminent », le préfet peut aussi, au vu d’un certificat établi par un médecin extérieur à l’établissement, prononcer l’admission. « Qu’est-ce qu’un péril ou un danger imminent ? », s’inquiète le jeune psychiatre d’Outre-mer qui déplore des termes flous pour justifier de mesures coercitives. En l’absence de consentement, une évaluation doit être effectuée par un psychiatre à 24 et 72 heures pour confirmer la nécessité des soins. Pour prolonger ce type d’enfermement au-delà de douze jours, c’est au juge des libertés et de la détention que revient la décision.

La contrainte banalisée

Comme le dénonce le rapport Soins sans consentement et droits fondamentaux publié en mars 2020 par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) : « de cette contrainte aux soins, les professionnels ont parfois tiré l’autorisation implicite d’une contrainte au corps se traduisant par une contrainte aux comportements : horaires, tabac, visites, etc. ». En psychiatrie, les restrictions arbitraires, variables d’un établissement à l’autre, sont légion. Le rapport du CGLPL énumère : la sectorisation comme « première atteinte à la liberté des patients » qui ne peuvent choisir l’établissement dans lequel ils seront soignés, les présomptions de « dangerosité » des patients et de « toxicité » des familles qui poussent les soignants à être toujours plus sécuritaires et à exclure les proches, le secret médical peu respecté lors de la distribution des médicaments, l’imposition de rythmes collectifs dans la journée. De son côté, l’Unafam recense dans un rapport de mars 2021 des serviettes de toilette remplacées par des draps, des portions de nourriture insuffisantes ou encore l’absence d’horloge dans les chambres d’isolement faisant perdre au malade tout repère.

« Momo », 36 ans et sept hospitalisations au compteur, dont la première sans consentement, déplore de « petites restrictions imbéciles » qui, cumulées les unes aux autres, lui donnent à chaque fois l’impression d’être « prisonnier », alors qu’il vient en soins libres. « On fume tous, ou presque. Mais la pause clope, c’est quand ça leur chante et parfois, elle saute, comme pour nous punir », raconte cet homme de l’est de la France diagnostiqué bipolaire à 23 ans.

Il faut réclamer, se tenir à carreau, c’est hyper infantilisant.

« La confusion règne entre l’admission en soins sans consentement et la limitation d’aller et venir », déplore le rapport du CGLPL. Un constat effectué lors de ses visites en établissements par la juriste Sarah Hatry qui co-signe avec Adeline Hazan Psychiatrie : hospitalisation contrainte.

Certains hôpitaux mélangent les hospitalisations sous contrainte et les soins libres. Pour des raisons sécuritaires et organisationnelles, tous se retrouvent avec une limitation d’aller et venir, c’est illégal.

La contention dans l’urgence

Tout commence aux urgences générales d’où proviennent 60 % des admissions en soin sans consentement. « Je délirais, mes parents ont appelé les pompiers », raconte Maxime F. qui a ainsi été amené aux urgences de l’hôpital le plus proche, dans le sud-est de la France. « J’avais 19 ans et je me suis retrouvé harnaché sur un lit, ça m’a rendu fou », raconte le jeune homme diagnostiqué schizophrène deux ans plus tard.

Lors de cette première hospitalisation, Maxime a été vu par un psychiatre dans l’après-midi, détaché et interné d’office le lendemain.

L’isolement et la contention sont la pire atteinte à la liberté individuelle ! 

Dominique Simonnot, nouvelle Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

Le psychiatre Raphaël G. est régulièrement appelé aux urgences générales pour les cas relevant de la psychiatrie. « Les urgentistes contentionnent trop vite », reconnaît-il. « Mais quand ils ont plusieurs patients alcoolisés, sous l’emprise de drogues, violents ou suicidaires, ils attachent. Ils doivent attendre que la personne redescende pour pouvoir l’ausculter ». En effet, avant de contacter un psychiatre, les urgentistes doivent évacuer tout problème somatique : vérifier que les délires ne sont pas dus, par exemple, à un problème neurologique ou provoqués par l’ingestion de substances. Explorer le corps avant d’explorer l’esprit est une obligation légale pour les médecins, bien que pas toujours respectée dans ce qui est perçu comme un « cas psy ». « L’alcool peut donner des idées suicidaires sans que la personne relève de l’internement », précise le jeune psy.

Lorsque nous sommes confrontés à un adolescent ou un enfant en crise, nous sommes contraints d’en arriver à la contention.

Marie-Pierre Martin, infirmière aux urgences pédiatriques de l’hôpital Necker.

Toute mesure restrictive de liberté doit être validée au plus vite par un psychiatre, selon la loi de 2011. « Ce n’est pas un geste anodin puisque parfois, le psychiatre ne peut venir immédiatement », admet cette urgentiste confrontée cette année à « une explosion des cas psy chez des ados de 11 à 13 ans ».

Ces témoignages corroborent le constat effectué par le CGLPL, selon lequel « des pratiques d’isolement et de contention de patients présentant des troubles psychiatriques sont décidées par des urgentistes sans validation par les psychiatres, mises en œuvre dans des locaux rarement adaptés à ces patients en crise et ne faisant l’objet d’aucune inscription dans un registre ». Depuis 2016, les mesures de restrictions des libertés doivent être inscrites dans un registre. Selon Raphaël G., dans son hôpital (et c’est ce qui motive sa demande d’anonymat), le registre n’est tout simplement pas tenu. « C’est comme ça », coupe, fataliste, le jeune psychiatre. Impossible dans ce cas pour les patients et leurs proches de tracer, et donc de contester, des actes restrictifs de liberté. « Je risque le parallèle avec la garde à vue », avance la juriste Sarah Hatry. « Cela paraîtrait fou que l’on ne sache pas quand une personne est entrée en garde à vue et quand elle en est sortie ». C’est pourtant ce qu’il se passe dans certains établissements psychiatriques. « Alors même que ces personnes ne sont suspectées de rien. Elles sont malades ! », s’emporte la juriste.

L’article 84 de la loi du 14 décembre 2020, vient modifier, à la demande du Conseil constitutionnel, l’article du Code de santé publique relatif à l’isolement et la contention. Ce nouvel article, dont le décret d’application est encore attendu, précise que « l’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que les patients en hospitalisation complète et sans consentement ».

Un manque criant de personnel pérenne

« Quand j’ai pu lui rendre visite, au bout de plusieurs jours à l’isolement, j’ai trouvé mon fils assis sur un matelas au sol, il n’avait même pas de drap. Dans un coin, un seau hygiénique lui servait de toilettes ». Alain M. se remémore cette vision d’horreur, dans un hôpital du sud de la France. « J’ai été choqué et pourtant, j’avais déjà rendu visite à mon fils à la prison de la Santé ». C’était il y a dix ans, et son fils s’en souvient encore comme d’une expérience traumatisante. « Avec cette prise en charge indigne, souligne le père, il est impossible de compter sur l’adhésion du patient aux soins ». Alain M. regrette de n’avoir porté plainte contre ce qu’il considère être « une maltraitance ». « Le pire, c’est que l’infirmière ne comprenait pas ma révolte face à une telle situation, pour elle, ce traitement était normal ».

Si le rapport du CGLPL dénonce « l’absence de perception des atteintes aux droits fondamentaux que constituent ces restrictions ou mauvais traitement », nombre de soignants n’acceptent pas ces pratiques. Mathieu Bellashen, chef du pôle psychiatrique d’un hôpital de région parisienne, explose : « la contention n’est pas du soin, je n’en veux plus ! » Pour l’éviter dans son service de 33 lits, les patients en crise sont sédatés et mis à l’isolement. « Mais ce n’est pas une solution, il faudrait réduire la contention chimique ». Ce psychiatre milite pour réinstaurer du collectif de soin, cela passe notamment par des équipes pérennes et formées à autre chose qu’à la gestion des symptômes, l’inverse de ce qui se fait actuellement.

30 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus à l’hôpital, par conséquent, nous fonctionnons avec des intérimaires qui passent quelques jours dans le service et se contentent de renouveler les ordonnances ou de sédater, ce n’est pas cela la psychiatrie ! 

Mathieu Bellashen propose d’autres approches avec ses patients, mais se confronte à une administration de plus en plus tournée vers une logique chiffrée.

« Quand je propose un bar thérapeutique, une radio ou un journal, on me rétorque que ce n’est pas du soin », s’exaspère-t-il.

Et si le changement venait de l’inclusion du patient dans les décisions thérapeutiques ? C’est l’esprit des directives anticipées, encore au stade de l’expérimentation en psychiatrie. Apparues dans la loi Leonetti de 2005 relative aux droits des patients, ces directives peuvent être comparées à un projet de naissance. Il s’agit de courts textes, modifiables à tout moment, dans lequel l’usager de la psychiatrie note les soins qu’il refuse en cas de crise, indique les médicaments qu’il prend, ceux qu’il ne supporte pas, les moyens de l’apaiser, etc. L’idée est de renouer le lien entre patients et soignants.

*à sa demande, Raphaël, le jeune psychiatre, a souhaité conserver l’anonymat.

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Cet article est tiré de La Chronique du mois de juin 2021.