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France
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en France en 2024.
Le racisme systémique et la discrimination religieuse, notamment à l’égard des femmes et des jeunes filles musulmanes, ont persisté. La pratique du profilage racial s’est poursuivie, en toute impunité. Cette année encore, des manifestations pacifiques ont fait l’objet de restrictions excessives et la police a eu recours à la force de façon injustifiée. La France a continué de livrer des armes à Israël. Les garanties entourant l’usage de la vidéosurveillance par les forces de l’ordre étaient insuffisantes. Des restrictions discriminatoires ont continué d’être appliquées en matière d’immigration, de nationalité et d’asile. La France est devenue le premier pays au monde à faire de l’avortement une liberté garantie par la Constitution. Les victimes de violences sexuelles appartenant à des groupes marginalisés, notamment les femmes migrantes, les femmes transgenres et les travailleuses du sexe, se heurtaient à des obstacles systémiques lorsqu’elles tentaient de porter plainte.
DISCRIMINATION
Les sportives françaises qui ont participé aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 n’ont pas eu le droit de porter le foulard durant les épreuves. Des interdictions discriminatoires similaires ont continué de s’appliquer dans le sport en général, tant au niveau amateur que professionnel, ce qui excluait de fait de la pratique sportive les femmes et les filles musulmanes portant le foulard.
Le Conseil d’État a confirmé en septembre l’interdiction faite aux élèves de porter l’abaya ou le qamis, conformément aux dispositions de la loi discriminatoire de 2004 restreignant « le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ».
Dans ses observations finales parues en décembre, le Comité des droits de l’homme [ONU] a regretté que la France n’ait pas revu les restrictions imposées au port de tenues et de signes religieux dans les lieux publics, et ait même élargi ces restrictions au domaine sportif. Il a fait observer que ces mesures avaient selon toute probabilité des conséquences discriminatoires, notamment sur les femmes et les filles musulmanes.
Lors d’une visite sur l’île de Mayotte en février, le ministre de l’Intérieur a annoncé un projet de révision constitutionnelle visant à mettre fin au droit du sol pour les enfants nés de parents étrangers dans ce département d’outre-mer. Une proposition de loi en ce sens a été déposée. Elle n’avait pas encore été examinée à la fin de l’année.
Des informations faisant état d’une hausse des crimes de haine antisémites, islamophobes ou racistes ont suscité de vives préoccupations. La stratégie du gouvernement en matière de lutte contre le racisme restait compromise par son refus de s’attaquer au racisme systémique et par l’absence de collecte de données fiables. Le Comité des droits de l’homme a demandé une nouvelle fois au gouvernement français d’élaborer des politiques de lutte contre la discrimination raciale basées sur des données recueillies au moyen d’outils plus efficaces, reposant sur les principes de l’auto-identification et de l’anonymat.
Profilage racial
En dépit des préoccupations et des questions soulevées tout au long de l’année par des organes d’expert·e·s de l’ONU, les autorités ont continué de nier l’existence d’un racisme systémique au sein des forces de l’ordre. Cependant, la pratique des contrôles d’identité discriminatoires restait très répandue. Cinq associations françaises et internationales ont déposé en avril une communication auprès du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale [ONU] pour l’alerter sur le fait que, bien que le Conseil d’État ait reconnu en 2023 l’existence du profilage racial, il n’avait pas contraint le gouvernement à mettre des réformes en œuvre.
La défenseure des droits a déclaré dans une interview en novembre qu’elle était « effarée » de voir que le gouvernement ne progressait pas sur la question des contrôles d’identité discriminatoires.
LIBERTÉ D'EXPRESSION ET DE RÉUNION
Les personnes qui exprimaient leur solidarité avec le peuple palestinien étaient en butte à des restrictions excessives et disproportionnées. En réaction aux rassemblements spontanés qui ont fait suite à l’offensive menée par Israël contre Rafah en juin, les autorités ont interdit de façon préventive les manifestations dans plusieurs villes du pays, comme Paris, Lyon et Alençon. Des manifestant·e·s pacifiques et de simples passant·e·s se sont vu infliger des amendes pour « participation à une manifestation non déclarée ou interdite ».
Des dizaines de défenseur·e·s des droits humains, de représentant·e·s syndicaux, de responsables politiques, de journalistes, d’universitaires et de médecins qui avaient exprimé leur solidarité avec le peuple palestinien ont été visés par des enquêtes pour « apologie du terrorisme », une infraction d’une portée excessive et définie en des termes vagues qui constituait une menace pour le droit à la liberté d’expression.
Huit membres des Hijabeuses, un collectif mobilisé contre l’interdiction discriminatoire du port du voile dans le sport, ont été soumises à un contrôle d’identité et à une arrestation arbitraire le 11 août alors qu’elles encourageaient une amie qui participait à un marathon organisé dans le cadre des Jeux olympiques de Paris. La police les a accusées de participation à une manifestation non autorisée car elles brandissaient des pancartes comportant le mot « hidjabis ». Maintenues en garde à vue pendant toute la nuit, ces femmes ont été interrogées et sommées arbitrairement d’ôter leur voile, avant d’être remises en liberté sans inculpation.
D’autres groupes ont eux aussi subi des restrictions excessives. En juillet, plusieurs manifestations liées à des mégabassines ont été interdites par la préfecture dans la Vienne et les Deux-Sèvres. À la suite d’une visite dans le Tarn en février, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement au titre de la Convention d’Aarhus s’est déclaré préoccupé par les méthodes de maintien de l’ordre utilisées contre des militant·e·s de l’environnement qui s’opposaient, par des actions de désobéissance civile, à la construction de l’autoroute A69.
RECOURS EXCESSIF ET INUTILE À LA FORCE
Des membres des forces de l’ordre ont été accusés d’avoir utilisé une force excessive et meurtrière en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, lors des troubles qui ont éclaté après l’adoption par le Parlement d’un projet de loi modifiant les règles électorales dans ce territoire d’outre-mer. En août, des expert·e·s de l’ONU ont exprimé leurs préoccupations concernant ces allégations et celles faisant état d’arrestations arbitraires, de placements en détention et de disparitions forcées.
Dans ses observations finales parues en décembre, le Comité des droits de l’homme s’est dit gravement préoccupé par les informations faisant état d’un usage excessif de la force lors de contrôles routiers, d’interpellations, d’évacuations forcées et de manifestations. Il a souligné que ces cas touchaient de façon disproportionnée les membres de certains groupes minoritaires, en particulier les personnes d’ascendance africaine ou d’origine arabe, les peuples autochtones et les migrant·e·s.
Le Comité a également relevé le manque de sanctions et l’impunité apparente dont jouissaient les forces de l’ordre, constatant que personne n’avait encore été jugé responsable de la mort d’Adama Traoré, un jeune homme d’ascendance africaine décédé en 2016 lors d’une opération de contrôle de la gendarmerie. Une juridiction d’appel a confirmé en mai l’ordonnance de non-lieu rendue en 2023, qui mettait fin à toute poursuite contre les trois gendarmes impliqués. La famille de la victime a déposé un nouveau recours.
Le gouvernement a lancé en novembre un appel d’offres d’un montant de 27 millions d’euros pour la fourniture de grenades de désencerclement, un matériel de guerre dangereux par nature utilisé par la police et ayant déjà provoqué des blessures graves chez des manifestant·e·s.
TRANSFERTS D'ARMES IRRESPONSABLES
Les transferts d’armes s’effectuaient toujours sans grande transparence et le gouvernement a manqué à son obligation juridique de transmettre avant le 1er juin un rapport sur les exportations d’armes réalisées l’année précédente.
La France a continué d’autoriser des exportations d’armes vers Israël, malgré les appels lancés par plusieurs expert·e·s de l’ONU en faveur de l’arrêt immédiat de tels transferts, susceptibles de violer le droit international humanitaire, et bien que le président Emmanuel Macron se soit prononcé en octobre en faveur de l’arrêt des livraisons d’armes destinées à être utilisées à Gaza.
Des systèmes d’armement de fabrication française fournis aux Émirats arabes unis ont cette année encore été utilisés sur les champs de bataille au Soudan, selon toute probabilité en violation des embargos de l’UE et de l’ONU sur les armes à destination du Darfour.
IMPUNITÉ
La cour d’appel de Paris a confirmé en juin la validité du mandat d’arrêt délivré en 2023 contre le président syrien Bachar el Assad pour sa responsabilité dans les attaques à l’arme chimique perpétrées contre la population civile dans la Ghouta orientale et à Douma. Le parquet général a toutefois formé un pourvoi en cassation en juillet.
À la suite de la décision de la CPI de décerner des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, ainsi que contre le dirigeant du Hamas Mohammed Diab Ibrahim Al Masri, pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés, la France a indiqué dans un premier temps qu’elle respecterait l’obligation qui est la sienne de procéder à une arrestation si l’un de ces hommes venait sur son territoire. Dans un deuxième temps, toutefois, le ministère des Affaires étrangères a affirmé que les ministres israéliens bénéficiaient de l’immunité car Israël n’était pas membre de la CPI.
SURVEILLANCE DE MASSE
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a estimé en juin qu’il n’existait pas de garde-fous suffisants garantissant que la surveillance vidéo par les forces de l’ordre réponde à une nécessité et soit utilisée de façon proportionnée.
Dans une décision rendue en juillet, le tribunal administratif d’Orléans a jugé que l’installation par la ville d’un dispositif d’audiosurveillance basé sur l’intelligence artificielle et couplant des micros à des caméras de surveillance constituait une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée et ne reposait sur aucun fondement légal.
Le Comité des droits de l’homme a considéré dans ses observations finales parues en décembre que l’utilisation par les forces de l’ordre de technologies de vidéosurveillance de masse pilotées par l’intelligence artificielle pendant les Jeux olympiques était une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée.
Une coalition d’organisations de défense des droits a saisi le Conseil d’État en octobre pour demander que la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) cesse d’utiliser un algorithme discriminatoire de notation des risques pour détecter la perception potentiellement frauduleuse d’allocations. Cet algorithme était discriminatoire envers les foyers à faibles revenus, les personnes vivant dans des quartiers défavorisés, celles qui consacraient une part importante de leurs revenus au loyer et les travailleuses et travailleurs bénéficiaires d’une allocation d’adulte handicapé.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Le Conseil constitutionnel a invalidé en janvier un grand nombre des dispositions de la loi discriminatoire et xénophobe adoptée en novembre 2023 visant à « contrôler l’immigration » et « améliorer l’intégration ». La version finale contenait cependant toujours des dispositions qui, entre autres, renforçaient les pouvoirs de l’autorité administrative en matière de détention et d’éloignement des personnes étrangères considérées comme représentant une « menace grave pour l’ordre public », quel que soit leur lien avec la France. Dans ses observations finales parues en décembre, le Comité des droits de l’homme s’est inquiété de ce que la loi réduisait les garanties procédurales accordées aux demandeurs et demandeuses d’asile, notamment les garanties contre l’expulsion tant que tous les recours n’avaient pas été examinés.
Dix décrets d’application de la Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration ont été publiés en juillet. L’un d’eux conditionnait la délivrance d’un titre de séjour au respect des « principes de la République », une notion excessivement large qui ouvrait la porte à des interprétations arbitraires ou discriminatoires.
Les discours xénophobes et de dénigrement qui ont imprégné les débats sur ce texte législatif ont continué d’être encouragés par de nombreux responsables politiques. Le nouveau ministre de l’Intérieur a promis en septembre de renforcer les pouvoirs des autorités locales en matière de reconduite à la frontière des migrant·e·s en situation irrégulière et de refus de régularisation de leur situation. Il a également renouvelé les appels en faveur d’une restriction de l’accès à l’aide médicale d’État.
L’année 2024 a été la plus meurtrière jamais enregistrée pour les personnes migrantes qui tentaient la traversée irrégulière de la Manche en bateau, dans un contexte où les autorités françaises et britanniques ont continué d’esquiver leurs responsabilités en matière de droits humains. Plus de 70 personnes ont péri en tentant de rejoindre le Royaume-Uni depuis la France par voie maritime. Le ministre français de l’Intérieur a déclaré en octobre que ces décès en mer étaient les « conséquences néfastes » de l’« efficacité » des forces de l’ordre.
La France a continué de prendre des mesures d’éloignement et de détention contre des ressortissant·e·s de pays vers lesquels un renvoi forcé constituerait une violation du principe de « non-refoulement », tels que l’Afghanistan, l’Iran, le Soudan, la Syrie et Haïti. La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a reconnu en juillet les femmes afghanes comme appartenant à un groupe social susceptible d’être protégé comme réfugié. La France n’a cependant pas pris de mesures pour délivrer des visas aux femmes afghanes dans leur pays, au Pakistan ou en Iran. Il n’existait par conséquent pratiquement pas de voies d’accès sûres et légales leur permettant de trouver refuge en France.
DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS
La France est devenue en mars le premier pays du monde à inscrire dans sa Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Cette évolution juridique historique ne garantissait toutefois pas le droit à l’avortement pour toutes les personnes susceptibles de tomber enceintes, notamment les hommes transgenres et les personnes non binaires.
Dans une décision rendue en juillet dans l’affaire M. A. et autres c. France, la Cour européenne des droits de l’homme a débouté des travailleuses et travailleurs du sexe qui demandaient réparation pour la violation présumée de leurs droits résultant de l’incrimination de leur travail. Dans le cadre de cette affaire, elle a examiné les conséquences sur les droits humains du « modèle nordique », un cadre juridique adopté par la France en 2016 qui rendait illégal l’achat de services sexuels et érigeait en infractions les aspects organisationnels du travail du sexe.
VIOLENCES FONDÉES SUR LE GENRE
Les femmes migrantes, les travailleuses du sexe et les femmes transgenres se heurtaient à des obstacles systémiques lorsqu’elles tentaient de déposer une plainte pour violences sexuelles. Elles étaient notamment confrontées à des refus d’enregistrer la plainte ou à des menaces d’expulsion, ainsi qu’à des comportements fondés sur des préjugés et à des représentations stéréotypées de la part des membres des forces de l’ordre.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Selon des chiffres couvrant la période allant de janvier à septembre, les progrès de la France en matière de réduction des émissions générées par les combustibles fossiles ont ralenti par rapport à 2023. Dans un contexte marqué par des lacunes dans les politiques comme dans la mise en œuvre, l’expansion du secteur des énergies renouvelables est restée insuffisante pour atteindre les objectifs à long terme. Le climat et l’environnement ont été relégués au second plan et l’adoption de stratégies en matière énergétique et d’adaptation connaissait des retards.
En juin, la cour d’appel de Paris a jugé recevables deux actions judiciaires distinctes contre deux entreprises du secteur énergétique. Ces affaires ont été ouvertes au titre de la Loi relative au devoir de vigilance, qui imposait aux entreprises de mettre en place un plan de vigilance exposant comment elles entendaient prévenir les violations des droits humains et les dommages environnementaux découlant de leurs activités.
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