Depuis le retour du Président américain Donald Trump à la Maison Blanche, c’est une attaque d’envergure qui est menée contre les droits humains mais aussi contre celles et ceux qui les défendent. Nous avons rencontré Paul O’Brien, directeur d’Amnesty International États-Unis. Il témoigne de l’impact profond des politiques de la nouvelle administration pour son organisation, les entraves croissantes à son travail ainsi que les risques accrus auxquels sont exposé·es les défenseur·es des droits humains.
Série "Ma vie sous Trump" - épisode 2/6 : Chaque mois, nous donnons la parole à celles et ceux qui, aux États-Unis, subissent l'offensive anti-droits de l'administration Trump.
Paul s’est battu toute sa vie pour défendre les droitshumains. Le 5 novembre 2024, avec ses équipes, il se pense en ordre de marche pour faire face à un éventuel retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Mais « la virulence, la rapidité et l’ampleur des attaques menées à la suite de l’investiture du nouveau président ont pris tout le monde par surprise ».
Offensive anti-immigration, attaques contre les personnes trans et le droit à l’avortement, fin des politiques de justice sociale, sanctions contre la Cour pénale internationale… La liste n’en finit pas. En seulement quelques semaines, une batterie de décrets étaient déjà signés dans le but d’anéantir des décennies de progrès pour les droits humains.
Cette politique a été réalisée avec férocité, cruauté et chaos. Ces attaques avaient été préparées de longue date, avec un agenda commun : réduire aux silences les communautés vulnérables et augmenter la tolérance du public américain en faveur de discours et politiques anti-droit.
Ces attaques visent les droits les plus fondamentaux des Américains mais aussi celles et ceux qui les défendent, les organisations non gouvernementales (ONG) en première ligne. Dix mois après le retour de Donald Trump au pouvoir, c’est dans un contexte extrêmement hostile que Paul et ses équipes doivent avancer et composer. La légitimité dont bénéficiaient les organisations de droits humains a été peu à peu sapée par l’administration américaine, tout comme leurs moyens d’actions.
Les ONGs asphyxiées par des coupes budgétaires massives
Première attaque d’envergure menée par l’administration Trump contre le secteur : des coupes budgétaires drastiques imposées à l’Agence américaine pour le développement international (USAID). Elles ont frappé de plein fouet des dizaines d’organisations dépendantes, en plus ou moins grande partie, du financement américain : « depuis janvier, on assiste à la destruction du plus grand système d’aide humanitaire et de développement au monde ». En 2024, l’USAID représentait plus de 40 milliards d’euros. Elle finançait 42% de l’aide humanitaire mondiale, faisant d’elle le plus important bailleur de fonds au monde.
Des centaines de milliers de vies sont menacées par ces coupes et par l’interruption soudaine de l’approvisionnement en médicaments antirétroviraux ou en alimentation, ou encore de la réponse aux crises. Et là, on ne parle que des aides immédiates et vitales.
Ces politiques ont été rendues possibles avec la propagation d’idées qui ont nourri un « sentiment croissant chez le public que les institutions multilatérales ne servent pas aux besoins et préoccupations principales des gens ordinaires : la hausse des prix, les droits économiques, les droits sociaux ». Par ailleurs, « beaucoup pensent que le pays consacre une part énorme de son budget aux aides étrangères, alors qu’en réalité, ces dépenses représentent moins de 1 % du budget fédéral ».
Cette perception a facilité l’acceptation, voire l’indifférence, du public face à des décisions véritablement dévastatrices explique Paul. Or au-delà des aides d’urgence, c’est aussi « la capacité des États-Unis à soutenir l’état de droit, la gouvernance démocratique et la société civile à l’international qui s’effondre ».
Contrairement à beaucoup d’autres ONG, Amnesty International États-Unis, comme toutes les autres sections du mouvement telles qu’Amnesty international France, ne reçoit pas de financement de l’État fédéral : « Cela nous permet de pouvoir continuer à résister et maintenir notre posture face à l’administration Trump. Mais pour beaucoup d’ONG qui reçoivent des fonds fédéraux ou d’institutions philanthropiques, c’est une autre histoire. »
Par ailleurs, « près de 200 organisations ont été directement visées par le Congrès, via des lettres menaçant de couper leurs financements fédéraux » explique Paul. Les organisations soutenant des politiques en faveur des personnes réfugiées et migrantes ont été particulièrement ciblées. Si elles résistent, d’autres attaques sont à craindre : « l’administration Trump n’a pas encore déployé toute sa force à l’encontre des ONG ».
Entre censure et criminalisation
Aux coupes budgétaires massives, s’ajoutent des attaques plus insidieuses. En février, un décret présidentiel a autorisé des sanctions inédites à l’encontre de la Cour pénale internationale (CPI), une institution juridique essentielle dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves. Toute entité soutenant le travail de la CPI est également exposée à des sanctions : « cela augmente considérablement les risques encourus par certaines organisations qui travaillent en lien avec l’institution. »
La CPI est une juridiction internationale permanente qui enquête et poursuit des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou le crime de génocide.
En raison de son travail d’enquête, notamment sur des crimes commis par les forces américaines en Afghanistan ou par Israël à Gaza, l’administration Trump a émis plusieurs sanctions notamment à l’encontre de son personnel, notamment le procureur général de la Cour, Karim Khan.
Ces sanctions visent à empêcher la CPI d’exécuter son mandat indépendant. Elles représentent une menace considérable pour l’institution, son personnel, mais aussi toute personne ou organisation participant directement aux efforts de la CPI.
C’est sur ce motif qu’en septembre 2025, le gouvernement a imposé des sanctions à l’encontre de trois organisations palestiniennes de défense des droits humains : Al Haq, le Centre Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains. En gelant leurs avoirs éventuels aux États-Unis et toute possibilité de transaction financière, ces sanctions ont rendu « leur fonctionnement totalement impossible ».
La répression s’est encore accrue fin septembre avec un mémorandum présidentiel ordonnant des enquêtes fédérales contre des fondations et ONG accusées de « fomenter la violence politique ». Sous couvert de sécurité et de lutte contre le terrorisme intérieur, la directive cible toutes opinions critiques jugées « anti-américaines », « anticapitalistes » ou « hostiles aux valeurs chrétiennes traditionnelles ».
Enquêtes fédérales, surveillance renforcée, gel des avoirs, accusation de terrorisme... Les risques encourus par les ONG sont majeurs. Sur la base d’accusations floues, la société civile se retrouve surveillée, censurée et criminalisée : « Ils s’en prennent désormais aux organisations qui ne sont pas d’accord avec eux, les accusant de conspirer contre les droits ». Cela produit des effets dissuasifs majeurs, en poussant les organisations à l'autocensure.
Pour Paul O’Brien, « ces attaques, loin d’être isolées, traduisent une remise en cause profonde des droits humains ». Et plus largement, des institutions qui protègent les droits : « le président n’hésite plus à attaquer publiquement les juges dont les décisions lui sont défavorables. En s’appuyant sur une Cour suprême désormais acquise à sa cause, il tente de restreindre l’indépendance du pouvoir judiciaire afin de renforcer son emprise sur les institutions ». En affaiblissant ces contre-pouvoirs, « tout est mis en œuvre pour bâtir un pouvoir échappant à toute obligation de rendre des comptes ».
Une société civile sous tension
Dans ce contexte, l’inquiétude monte au sein de la société civile : « la situation actuelle m’a donné un sentiment d’urgence. Le contexte dans lequel nous travaillons a complètement changé pour notre organisation comme pour tant d'autres ». Les menaces sont désormais concrètes, explicites et directes : « nous craignons d’être soumis à des investigations administratives qui pourraient entraver notre fonctionnement quotidien, compliquer la mise en œuvre de nos missions, voire entraîner l’interdiction pure et simple de notre organisation », s’alarme Paul.
Il y a un réel enjeu à prouver et réaffirmer plus que jamais notre impartialité et notre apolitisme.
Face aux tentatives croissantes de l’administration Trump de décrédibiliser le secteur, un danger majeur se profile : celui d’une remise en cause de leur légitimité et de leur intégrité. Dans cet environnement miné, l'heure est à la vigilance : « Sinon, cela pourrait impacter les personnes que nous défendons, notre organisation, nos équipes et plus largement nos institutions ».
À l’ère du numérique, Paul et ses équipes doivent également composer avec de nouveaux défis : « en raison du fonctionnement des médias et de la manière dont les algorithmes structurent les réseaux sociaux, nos messages et nos démarches ne parviennent qu’à une fraction limitée de la population. ».
Conçus pour maximiser l’engagement, les algorithmes jouent désormais un rôle majeur dans la propagation de la désinformation. En privilégiant les contenus qui suscitent des réactions fortes et polarisantes, ils créent des bulles informationnelles dans lesquelles les utilisateurs se retrouvent exposés à des opinions similaires aux leurs. Cela renforce les biais cognitifs et limitent l’accès à des points de vue contradictoires.
Cette nouvelle réalité limite la visibilité des messages diffusés par les ONG et fragilise la confiance du public vis-à-vis de ces organisations. De fait, il faut redoubler d’efforts pour préserver la crédibilité de l’organisation, notamment à travers un rappel constant du droit international sur lequel repose le travail de Paul et ses équipes.
Paul et ses équipes doivent donc réinventer leur approche et leur manière de travailler. Présenter à l’administration des recherches solides visant à mieux informer les politiques publiques n’est plus envisageable : « Notre façon traditionnelle d’engager le dialogue avec les responsables politiques au sein de l’administration ne peut plus fonctionner. L’administration n’est plus intéressée par des politiques basées sur les droits humains. Tenter de la convaincre des conséquences dévastatrices sur les droits des populations serait vain. C’est extrêmement dangereux. ».
Faire front commun contre les attaques
L'offensive massive de l’administration « a rendu difficile une réponse globale et coordonnée » du secteur. Mais à mesure que les pratiques autoritaires se renforcent et que l’agenda anti-droits se précise, les manière de penser l’action collective évoluent : « nous partons tous d’un constat commun : les impacts de ces politiques risques d’être absolument désastreuses pour les Américains ordinaires ».
Cela a poussé les organisations de la société civile à se rapprocher et mieux collaborer : « Nous travaillons désormais de manière rapprochée avec de nouveaux types d’acteurs tels que les organisations de droits civiques mais aussi des organisations humanitaires. Nous mettons de côté nos différences pour répondre aux attaques contre les droits humains de manière non partisane et impartiale ».
Face à l’annonce du nouveau mémorandum présidentiel visant explicitement les ONG, la riposte ne s’est pas fait attendre. Le 30 septembre, plus de 3 000 organisations à travers les États-Unis ont signé une lettre ouverte dénonçant une attaque majeure contre la liberté d’association et d’expression. Une mobilisation sans précédent.
Partout, des activistes du monde entier se mobilisent contre les attaques à l’encontre des droits humains aux Etats-Unis. Cette mobilisation internationale est essentielle : « cela montre que nous ne sommes pas seuls, que notre voix est entendue, et que la communauté mondiale continue de se mobiliser en faveur des droits humains ».
À l'heure du réveil collectif
L'idéologie anti-droits de l’administration Trump s’est construite autour d’un mythe : « celui selon lequel les attaques contre les minorités profiteraient à une partie des Américains » explique Paul. Mais ces politiques sont en réalité dramatiques pour « les libertés et les droits sociaux, économiques et politiques de toutes et tous ». L’adoption de la « Big Ugly Bill » (un texte de loi budgétaire prénommé le “One Big Beautiful Bill” par Donald Trump et promulguée en juillet 2025) en est une illustration frappante. En un seul texte, « le président a réussi à attaquer les femmes, les personnes migrantes, les demandeurs d’asile, mais aussi des millions d’Américains désormais privés de leur droit à la santé ».
Pour Paul, ces politiques « ne prospéreront que tant qu’elles bénéficieront du soutien du public, ou à défaut, d’une forme de tolérance ». D’où l’importance, selon lui, de « documenter, démontrer et dénoncer plus que jamais les effets concrets et dévastateurs de ces mesures sur les droits, les libertés, et la vie quotidienne des Américains ». Entre affaiblissement des institutions et restriction des espaces d’expression, les citoyens sont progressivement privés de leurs moyens de défense... Faisant peser le risque qu’il soit trop tard pour réagir, lorsque les atteintes seront devenues irréversibles.
Mais progressivement, la colère monte : « Face aux politiques injustes, aux déportations massives, à la militarisation des rues ou à la transphobie, de plus en plus d’Américains s’indignent ». Les récentes manifestations pacifiques contre la politique migratoire à Los Angeles en sont une illustration claire : « Ça a été un véritable réveil pour les Américains pour qui non seulement ces pratiques violent les droits humains, mais aussi les normes fondamentales de la décence humaine. L’administration est inquiète face à ce regain. »
Si l’indignation générale reste timide, Paul perçoit un soutien croissant d’une frange de la population, réceptive aux messages portés par son organisation : « De plus en plus de personnes se tournent vers nous ». De même, « au Congrès, dans les États, au sein même de certaines municipalités, des voix s’élèvent contre les dérives du pouvoir fédéral ». Et pas uniquement dans le camp démocrate : « des responsables politiques et institutionnels se réouvrent progressivement à notre travail et comprennent son importance. Cela fait l’objet d’une partie de plus en plus importantes de nos efforts ».
Résister, par-delà les frontières
S’exprimer, protester et se mobiliser contre le délitement progressif des droits civiques et politiques aux États-Unis et partout dans le monde est plus urgent que jamais : « Parfois, nous sommes démoralisés. Trop de personnes sont déjà durement impactées par les politiques de Trump. Mais nous ne pouvons pas nous permettre de reculer : nous devons absolument résister et montrer notre solidarité avec les communautés impactées ! ».
« Le monde regarde la France comme un gardien des droits humains, mais en France comme aux États-Unis, on assiste à une réelle polarisation de la société. [...] Ce qui est à l’œuvre aux États-Unis n’est qu’une accélération profonde de ce que l’on observe déjà ailleurs, notamment en Europe ». Partout, les discours et politiques anti-droits gagnent du terrain. C’est pourquoi il est essentiel d’en tirer les enseignements, pour éviter que dans d'autres pays, comme la France, de telles attaques soient mises en œuvre.
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