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En France, a Menton, la police francaise, arrete des migrants en situation irreguliere pour les conduire dans les locaux de la police des frontieres, Menton le 20 janvier 2023. Crédit Frederic Pasquini / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

En France, a Menton, la police francaise, arrete des migrants en situation irreguliere pour les conduire dans les locaux de la police des frontieres, Menton le 20 janvier 2023. Crédit Frederic Pasquini / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Personnes réfugiées et migrantes

Immigration : cette loi contre les droits des personnes exilées ne doit pas être appliquée

Considérablement durci, à l'issue d'un parcours législatif chaotique, et finalement adopté en décembre 2023, le projet de loi immigration a de fortes chances d'être en grande partie censuré par le Conseil constitutionnel. Mais même s'il l'était, ce texte ne doit absolument pas être appliqué, rappellent Agnès Callamard et Jean-Claude Samouiller, respectivement secrétaire générale d'Amnesty International et président d'Amnesty International France, dans une tribune publiée par Le Monde le 21 janvier 2024. Monde le 21 janvier 2024.

Comment en est-on arrivé là ? D’une question qui n’apparaissait plus ou presque dans les principales préoccupations des Français il y a à peine de deux ans, l’immigration semble être redevenue l’alpha et l’oméga de la politique française. Elle a pris une telle importance pour le gouvernement et les parlementaires, qu’ils ont fait adopter en décembre dernier, dans un chaos législatif inédit, un texte fortement remanié et durci par l’opposition la plus réactionnaire, dont de nombreux points sont attentatoires aux droits et libertés des personnes exilées.

Pourtant, comme le remarquait la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son dernier rapport annuel, alors que les études montrent une montée de la « tolérance à l’égard des migrants », l’institution note paradoxalement le « franchissement d’un seuil dans la façon dont les thématiques racistes, antisémites et xénophobes s’expriment dans le débat politique et médiatique ».

Des faits divers montés en épingle et détournés par des chaînes d’information en continu enchaînant les plateaux polémiques, une radicalisation des prises de positions d’éditorialistes, la désinformation et l’intimidation par des groupuscules violents et racistes à l’encontre d’élus favorables à l’implantation de migrants dans leur commune : le sentiment anti-migrants est de plus en plus diffusé en France.

Loin d’apaiser les tensions, les tweets de Gérald Darmanin affichant quotidiennement son “score” de personnes migrantes expulsées de France sur X (ex-Twitter), ont encore accentué cette impression. D’autant que le ministre de l’Intérieur a clairement affiché sa volonté de s’opposer aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme concernant certains de ces dossiers.

Optique sécuritaire

En quelques mois, les personnes exilées ont fait les frais de ces amalgames, pour ne plus apparaître que comme une menace dont il faut se prémunir. C’est clairement la philosophie générale qui émane de l’ensemble des points de cette loi inique, dont la vision n’est plus guidée que par une optique sécuritaire. Il n’est plus en effet question de « l’humanité et de la fermeté », initialement annoncées par le président Macron, mais bel et bien d’un texte de repli sur soi à tous les niveaux.

Tant et si bien que de façon totalement incongrue, nous avons pu entendre des représentants de l’Exécutif, au plus haut niveau, reconnaître eux-mêmes que certaines dispositions de la loi n’étaient probablement pas conformes à la Constitution, et espérer qu’elles soient censurées par le Conseil Constitutionnel.

Une situation qui pourrait presque prêter à sourire, s’il ne s’agissait en toile de fond, de la vie quotidienne de centaines de milliers de personnes, qui seront directement ou indirectement concernées par ce durcissement législatif.

Pour l’immense majorité des personnes exilées, tout d’abord, et notamment des travailleuses et travailleurs le plus souvent précaires, qui exercent légalement dans de nombreux secteurs de l’économie française (bâtiment, restauration, petite enfance, santé, agriculture, nettoyage, etc.), les conditions de vie seront terriblement aggravées.

Désormais vus comme un danger potentiel à tout moment de leur présence sur le territoire, celles et ceux qui bénéficient d’un titre de séjour, et qui ont un lien familial avec la France, ou sont entrés sur le territoire avant 13 ans, pourront se voir retirer leur titre ou être expulsés, en raison d’une « menace grave pour l’ordre public », ou si leurs actes ne respectent pas « la devise et les symboles de la République ».

Flou et dérives

Le flou qui encadre ces deux notions laisse craindre une stigmatisation et une atteinte aux libertés d’expression ou de manifestation. La définition de la « menace grave à l’ordre public » est ainsi aujourd’hui interprétée de façon très différente selon les préfectures, ce qui laisse planer une idée de partialité quant à la décision prise, et des conséquences familiales qui peuvent être désastreuses.

A ces dérives, on pourrait ajouter les restrictions importantes au regroupement familial, qui vont faire peser un danger sur les familles, tentées, là encore, de rejoindre leurs proches par les voies meurtrières des migrations irrégulières (Balkans, Méditerranée, etc.).

Une des dispositions les plus cruelles pour les personnes venues chercher asile ou simplement un avenir meilleur est certainement le rétablissement du délit de séjour irrégulier. Il s'agit d'une mesure disproportionnée de contrôle des frontières, en l’absence de voie sûre, légale et sûre. Cette incrimination de l’immigration irrégulière précarise d’autant plus la situation des personnes exilées qu’elle les expose à d’autres séries de violations des droits humains (discriminations, exploitation, etc.). A ces exemples précis, on pourrait ajouter les menaces directes sur le droit au logement, avec la suppression de l’accès à l’hébergement d’urgence pour les personnes sans titre de séjour et faisant l’objet d’une OQTF. Les graves risques qui pesaient sur l’Aide médicale d’Etat courent enfin toujours, ce qui pourrait précariser encore davantage les personnes exilées et faire courir un risque sanitaire à l’ensemble de la société.

L’impact risque enfin d’être considérable pour la plupart des demandeurs d’asile, qui fuient des persécutions, des conflits armés, ou la répression, et dont les conditions de recours vont se durcir et gagner en arbitraire, avec la mise en place d'un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Jusque-là, le collège de trois juges, dont l’un provenait du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), permettait un échange d’informations et de contextualisation nécessaire à une meilleure compréhension des situations individuelles.

L’ensemble de ces mesures, dictées par une vision cloisonnée des migrations, ne règleront du reste en rien les questions soulevées par les promoteurs de la loi. Elle encouragera encore davantage, en réduisant les voies légales et sûres, l’exploitation et les atteintes commises par les trafiquants et les passeurs envers ceux qui veulent fuir les violences politico-militaires, économiques, ou les catastrophes climatiques à répétition. Celles et ceux-là tenteront de toute façon de venir, le plus souvent contraints, quelles que soient les mesures prises pour les en dissuader. Souhaiter fermer les frontières européennes ou nationales est illusoire et certainement dommageable, pour ne parler que de l’image de la France à l’étranger. Utiliser et faire respecter le droit existant pour examiner leurs cas et normaliser leur parcours serait selon nous une bien meilleure solution pour la société entière, même si elle demande plus de volonté politique.

De fait, comme l’espèrent le président et le ministère de l’Intérieur, certaines dispositions seront probablement retoquées par le Conseil constitutionnel, mais Laurent Fabius, président de la juridiction, a lui-même prévenu du risque de dévoiement de ses prérogatives, soulignant que « le Conseil constitutionnel n’était ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement ». La question de la loi immigration va donc bien plus loin que les enjeux et le sujet initial auquel elle se rattache.

C’est pourquoi nous demandons solennellement au Président de la République que les mesures de cette loi, qui constituent une grave atteinte à l’Etat de droit ne soient pas mises en œuvre.