Nos expert·es ont détecté des armes chinoises de pointe sur des images du conflit au Soudan. Elles sont fournies par les Emirats arabes unis, en violation de l’embargo sur les armes. C’est loin d’être la première fois que le pays se rend coupable d’alimenter le conflit au Soudan par son commerce des armes. Enquête.
Le conflit entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces d’appui rapide (FAR), qui s’est intensifié depuis avril 2023, continue de dévaster le Soudan. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et de nombreuses autres blessées. C'est l’une des pires crises humanitaires au monde.
Ce conflit est alimenté par le commerce mondial des armes. Malgré un embargo des Nations unies sur la région soudanaise du Darfour, les armes continuent de circuler illégalement au Darfour et dans le reste du Soudan.
Notre dernière enquête révèle de nouvelles armes chinoises identifiées dans le Darfour. Ces armes sont fournies par les Emirats arabe unis (EAU) en violation de l’embargo. Cette révélation fait écho à notre enquête de novembre 2024 qui montrait comment les EAU fournissaient du matériel de guerre français aux FAR, coupables d’atrocités envers les populations civiles.
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Des armes chinoises sophistiquées retrouvées au Soudan
Il est manifeste que des bombes guidées et des obusiers sophistiqués de fabrication chinoise ont été utilisés au Soudan
Brian Castner, responsable de la recherche sur les crises à Amnesty International.
En analysant des images et des vidéos sur les attaques menées par les Forces d’appui rapide, nos expert·es ont identifié des bombes guidées GB50A et des obusiers AH-4 de 155 mm de fabrication chinoise. C’est la première fois que des bombes GB50A ont été détectées dans un conflit.
Ces armes sont fabriquées par le groupe Norinco, également connu sous le nom de China North Industries Group Corporation Limited, une entreprise publique chinoise du secteur de la défense. Ces armes ont très certainement été réexportées au Soudan par les Émirats arabes unis.
Le 18 avril 2025, nous avons envoyé les conclusions de notre enquête au groupe Norinco. Au moment de la publication de notre rapport, nous n’avons toujours pas reçu de réponse de leur part.
Dans la nuit du 9 mars 2025, les Forces d’appui rapide (FAR) ont lancé une attaque de drone près de la ville d’al Malha dans le Darfour du Nord, visant probablement les Forces armées soudanaises (FAS). Les médias locaux et une organisation soudanaise de défense des droits humains ont indiqué que 13 personnes avaient été tuées et plusieurs autres blessées.
En analysant des images numériques des restes de la bombe utilisée lors de la frappe, nos équipes ont déterminé que ces fragments appartenaient à une bombe aérienne guidée Norinco GB50A. Des inscriptions présentes sur les fragments indiquent que cette bombe a été fabriquée en 2024. Ces bombes peuvent être larguées par divers drones chinois, notamment le Wing Loong II et le FeiHong-95, tous deux uniquement utilisés par les forces soudanaises de sécurité et fournis par les Émirats arabes unis.

Les images révèlent des inscriptions distinctives présentes sur la bombe GB50A.
Nos équipes ont également analysé des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux qui montrent les Forces armées soudanaises saisissant des armes laissées par les Forces d’appui rapide après qu’elles ont été contraintes de se retirer de Khartoum les 27 et 28 mars 2025.
L’une des armes figurant dans la vidéo était un obusier Norinco AH-4 de 155 mm. Les Émirats arabes unis sont le seul pays au monde à avoir importé des obusiers AH-4 depuis la Chine. Le transfert a eu lieu en 2019, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.

Éléments distinctifs de l’obusier AH-4 de Norinco sur les images au Soudan analysées par nos équipes.

Présentation de l’obusier AH-4 de Norinco.
La violation de l’embargo sur les armes au Darfour : une longue tradition par les Emirats arabes unis
Cette enquête confirme que les Émirats arabes unis continuent de soutenir les FAR par leur livraison d’armes. Le Groupe d’experts des Nations unies sur le Soudan et d’autres rapports ont tiré des conclusions similaires.
Ce n'est pas la première fois que nous prouvons que les Émirats arabes unis enfreignent l’embargo sur les armes dans le Darfour au Soudan. L’an dernier, notre rapport sur les nouvelles armes alimentant le conflit au Soudan a montré que des armes de fabrication récente provenant de pays tels que la Chine, la Russie, la Turquie et les Émirats arabes unis ont été transférées au Soudan et à l’intérieur du territoire, souvent en violation flagrante de l’embargo sur les armes en vigueur au Darfour.
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Les informations que nous avons recueillies sur la présence d’obusiers AH-4 à Khartoum viennent s’ajouter au nombre croissant d’éléments attestant que les Émirats arabes unis apportent un important soutien aux Forces d’appui rapide soudanaises, ce qui est contraire au droit international.
Brian Castner, responsable de la recherche sur les crises à Amnesty International.
Du matériel de guerre français retrouvé au Soudan
Cette nouvelle enquête sur les armes chinoises fait écho à notre enquête de novembre 2024 qui révélait que des systèmes d’armement fabriqués en France étaient également utilisés sur le champ de bataille au Soudan.
Nos équipes de recherche avait détecté le système GALIX, fabriqué par les entreprises françaises KNDS France et Lacroix Défense, incorporé sur des véhicules blindés émiratis. Ces véhicules ont été vendus par les EAU et se sont retrouvés entre les mains des Forces d’Appui Rapide.
Les obligations des Etats et des entreprises
Les Emirats arabes unis doivent cesser de violer l’embargo sur les armes en vigueur au Darfour depuis 2004.
En outre, en tant que pays signataire du traité sur le commerce des armes, les EAU doivent cesser de livrer des armes à destination de pays où l’on sait qu’elles serviraient à commettre ou à faciliter un génocide, des crimes contre l’humanité ou d’autres atteintes graves aux droits humains.
La Chine, en sa qualité d’État partie au traité sur le commerce des armes, doit prendre des mesures urgentes pour empêcher le détournement d’armes vers le Soudan. En continuant à procurer de telles armes aux Émirats arabes unis - un État ayant l’habitude de fournir des armes dans des conflits où des crimes de guerre et des violations du droit international humanitaire sont régulièrement commis - la Chine risque de fournir indirectement des armes au conflit.
Les autres Etats comme la France doivent également cesser tout transfert d’armes aux EAU jusqu’à ce que ces derniers puissent garantir qu’aucune arme ne sera réexportée vers le Soudan ou vers d’autres destinations soumises à un embargo.
Le groupe Norinco est tenu de respecter les droits humains dans l’ensemble de ses activités mondiales. Il doit respecter son devoir de vigilance qui l’oblige, tout au long de sa chaîne de valeur, à identifier, prévenir et atténuer toute implication réelle ou potentielle dans le cadre de violations des droits fondamentaux.
Norinco Group doit ainsi réexaminer en urgence toutes ses exportations d’armes, passées, présentes et futures, vers les Émirats arabes unis, et cesser ses exportations d’armes vers les Émirats arabes unis si ce pays continue à détourner des armes vers le Soudan.
Les populations civiles soudanaises sont les principales victimes
Depuis le début du conflit en 2023, les populations civiles au Soudan sont victimes d’atrocités commises par les deux parties au conflit, les FAR et les FAS.
Attaques délibérées et aveugles contre les civils, pillages systématiques, nous dénonçons depuis les débuts du conflit les atteintes aux droits humains commises. Plus de 11 millions de personnes sont déplacées au Soudan depuis avril 2023. C’est la pire crise de déplacés interne au monde.
Nous avons récemment publié une enquête qui révèle que les Forces d’appui rapide s’étaient rendues coupables de violences sexuelles généralisées - notamment de viols, de viols en réunion et d’esclavage sexuel - contre des femmes et des jeunes filles. Ces violences sexuelles constituent des crimes de guerre et de possibles crimes contre l’humanité. En fournissant des armes aux FAR, les Emirats arabes unis contribuent à laisser libre cours à ces crimes commis en toute impunité.
Lire aussi : Les violences sexuelles commises par les FAR au Soudan
Le monde ferme les yeux sur le Soudan
La décision du gouvernement Trump de démanteler l’Usaid (aide humanitaire américaine) met en danger des millions de vies comme celles au Soudan.
Malgré l’urgence humanitaire, le Soudan est délaissé par la communauté internationale. En mars 2025, seulement 6,6% des fonds d’aide humanitaire requis ont été financés par la communauté internationale selon les données des Nations unies. Les récentes coupes dans les budgets des Etats pour l’aide humanitaire comme en France, au Royaume-Uni et plus particulièrement aux Etats-Unis menacent des millions de vie au Soudan.
Nos demandes
👉 Nous appelons les Nations unies à étendre l’embargo actuel sur le commerce des armes au Darfour à l’ensemble du Soudan.
👉 Les Émirats arabes unis doivent immédiatement cesser leurs transferts d’armes aux Forces d’appui rapide.
👉 Tant que les EAU n’auront pas cesser ces transferts d’armes, les autres pays comme la Chine et la France doivent suspendre tout transfert d’armes vers les EAU.
👉 Les responsables d’atrocités commises contre des civil·es au Souan doivent répondre de leurs actes devant la justice.
👉 Nous appelons la communauté internationale à accélérer l’aide humanitaire au Soudan.