Aux États-Unis, les femmes ont été abandonnées par la plus haute institution du pays. Le 24 juin 2022, la Cour suprême a annulé l’arrêt Roe vs. Wade qui faisait du droit à l’avortement un droit constitutionnel. Cette décision est un retour en arrière tragique et un mépris total des droits des femmes, des filles et des personnes pouvant être enceintes. Comment en sommes-nous arrivés là ? Voici huit informations clés à connaître sur la répression du droit à l’avortement qui sévit depuis plusieurs années dans le pays.
La Cour suprême des États-Unis a décidé de revenir sur le droit à l’avortement. Quel est l'impact de cette décision ?
Il n’y a plus aucune protection de ce droit au niveau fédéral aux États-Unis. Concrètement, chaque État peut donc choisir s’il garde le droit à l’avortement ou non. On estime qu’au moins la moitié des États pourrait le supprimer totalement ou presque. Vingt-six États ont déjà annoncé prendre des mesures immédiates dans ce sens. C’est un désastre pour les droits des femmes dans le pays.
Pour mieux comprendre le débat sur le droit à l’avortement aux États, voici huit faits à savoir.
1 - Un processus de longue haleine
En 1973, la Cour suprême des États-Unis statuait que l’avortement était légal en rendant l’arrêt historique Roe vs. Wade. Depuis lors, les militants et les responsables politiques opposés à l’avortement se mobilisent en vue de faire annuler cette décision, et nous assistons aujourd’hui aux fruits de ce travail. Les attaques contre l’arrêt rendu dans l’affaire Roe se sont intensifiées lorsque le président Donald Trump a nommé deux nouveaux juges à la Cour suprême, tous deux ayant exprimé des opinions hostiles à l’avortement. En 2022, la Cour suprême devrait rendre sa décision, et nous pourrions nous retrouver face au pire des scénario : l’annulation de l’arrêt Roe c Wade.
Toutefois, il faut savoir que la loi n’est pas le seul facteur qui détermine si les femmes peuvent avoir accès à l’avortement. Depuis 1973, les militants « antichoix » rognent progressivement sur l’accès à l’avortement, notamment en érigeant des obstacles financiers ou logistiques, rendant ainsi cet accès difficile voire impossible, en dépit de ce que dit la loi.
2 - Des difficultés d'accès à l'avortement
Prenons l’Alabama par exemple. En mai, le gouverneur de cet État a promulgué une loi draconienne permettant de condamner à la réclusion à perpétuité les médecins qui pratiquent des avortements. Pourtant, dans la pratique, l’avortement est déjà inaccessible pour de nombreuses femmes en Alabama.
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L’Institut Guttmatcher a révélé qu’en 2014 93 % des comtés de l’Alabama ne disposaient pas de cliniques réalisant des avortements. Aussi la plupart des habitantes de l’Alabama doivent-elles se rendre dans d’autres États pour avoir accès à l’avortement. Même ainsi, de nombreuses femmes n’ont pas les moyens de mettre un terme à leur grossesse.

Des femmes marchent pour protester contre la loi anti-avortement au Texas. New York, le 2 octobre 2021, © Yana Paskova / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Des femmes marchent pour protester contre la loi anti-avortement au Texas. New York, le 2 octobre 2021, © Yana Paskova / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
3 - Pas assez de cliniques pratiquant l'avortement
Six États américains ne disposent que d’une seule clinique pratiquant des IVG. Vingt-sept grandes villes des États-Unis et une grande partie de l’Amérique rurale sont des « déserts » en termes d’avortement : la plupart des habitants vivent à plus de 160 kilomètres d’un tel service.
Aux États-Unis, la plupart des habitants vivent à plus de 160 kilomètres d’une clinique pratiquant des IVG
L’un des moyens pour les militants « antichoix » de rayer de la carte des services essentiels consiste à réglementer de manière ciblée ceux qui réalisent des avortements, via les lois « TRAP » (Targeted Regulation of Abortion Providers). Il s’agit de critères d’enregistrement tatillons, qui font qu’il est difficile pour ces services de rester ouverts. Par exemple, les autorités de l’État peuvent préciser de quelle largeur doivent être les couloirs dans un bâtiment où les médecins pratiquent des avortements, la taille des places de parking ou la distance qui doit séparer ces locaux d’une école. Ces normes n’ont rien à voir avec la sécurité des patientes. Elles visent à exercer une pression sur les services réalisant des avortements telle qu’ils sont contraints de fermer.
4 - Certains États ont déjà interdit l'accès à l'avortement
Le droit à l’avortement existe-il encore aux États-Unis ? La question se pose.
Depuis le début 2019, vingt-huit États américains ont introduit plus de 300 nouvelles règles afin d’en limiter l’accès, incitant ainsi la Cour suprême à revenir sur l'arrêt Roe vs. Wade. Introduit en 1973, cet arrêt reconnaît le droit des femmes à avorter tant que le fœtus n'est pas viable. Le Missouri souhaite poursuivre les médecins qui pratiquent l’IVG après huit semaines de grossesse ; la Géorgie l’interdit dès le premier battement de cœur du fœtus ; l’Alabama totalement, y compris en cas de viol ou d'inceste.
Au Texas, la loi de septembre 2021 interdit d’avorter dès six semaines de grossesse : à cette date, la plupart des personnes concernées ne savent pas encore qu’elles sont enceintes. Cette loi va même plus loin avec une disposition sans précédent en criminalisant toute personne qui aiderait une autre à avorter. Cela signifie que les centres de santé et leur personnel risquent d’être poursuivis en justice, tout comme les membres de la famille ou les amis.

Des milliers de manifestants pro-avortement se sont réunis à Austin pour protester la nouvelle loi sur l'avortement au Texas. 29 mai 2021, © Sergio Flores/Getty Images/AFP
Des milliers de manifestants pro-avortement se sont réunis à Austin pour protester la nouvelle loi sur l'avortement au Texas. 29 mai 2021, © Sergio Flores/Getty Images/AFP
5 - Ces nouvelles lois se traduisent par des lésions et des décès
Les lois anti-avortement ne se traduisent pas par une réduction ni une disparition des avortements, elles les rendent simplement plus dangereux. Lorsqu’ils sont pratiqués avec l’aide d’un professionnel de santé qualifié dans de bonnes conditions d’hygiène, les avortements comptent parmi les actes médicaux disponibles les plus sûrs. Cependant, lorsqu’ils sont restreints ou criminalisés, les femmes sont contraintes de rechercher des moyens moins sûrs pour mettre un terme à leur grossesse.
Dans le monde, on estime que cinq millions de femmes sont hospitalisées chaque année à la suite de complications liées à un avortement et qu’environ 47 000 en meurent.
Dans le monde, on estime que cinq millions de femmes sont hospitalisées chaque année pour être soignées pour des complications liées à un avortement et qu’environ 47 000 en meurent. Les États-Unis ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé de tous les pays développés ; les États dotés des lois sur l’avortement les plus restrictives présentent déjà des taux plus élevés de mortalité infantile et maternelle. C’est pourquoi ces nouvelles lois mènent droit au désastre s’agissant de la santé des femmes.
6 - Des lois discriminatoires
Les femmes et les jeunes filles à faibles revenus, adolescentes, femmes de couleur, migrantes et réfugiées notamment, sont les plus durement touchées par les restrictions en matière d’avortement, parce qu’il leur est plus difficile de s’acquitter de frais, de se rendre à l’étranger ou de s’absenter de leur travail.
Les Afro-Américaines ont trois ou quatre fois plus de risques de mourir pendant leur grossesse ou leur accouchement que les femmes blanches aux États-Unis, et cette inégalité honteuse risque fort de s’aggraver du fait des nouvelles lois qui rendent la grossesse plus dangereuse.
Ces lois sont un coup dur pour les personnes LGBTI, dont les droits ont été gravement mis à mal sous le gouvernement de Donald Trump. Les personnes transgenres aux États-Unis sont déjà confrontées à de nombreux obstacles pour accéder aux services de santé en matière de procréation, et cette série de nouvelles lois ne fera que les exclure davantage.
7 - 80 % des Américains souhaitent que l’avortement demeure sûr et légal
Les législateurs qui imposent ces restrictions excessives à l’accès à l’avortement ne représentent pas l’opinion de la majorité des Américains.
Un sondage en 2022 révèle que les deux-tiers des Américains pensent que l’avortement devrait être légal « dans tous » ou « dans la plupart » des cas et 77 % s’opposent à l’annulation de l’arrêt Roe vs. Wade.

Des militantes et militants pour le droit à l'avortement manifestent devant la Cour suprême des Etats-Unis à Washington. 4 mars 2020, © Saul Loeb / AFP
Des militantes et militants pour le droit à l'avortement manifestent devant la Cour suprême des Etats-Unis à Washington. 4 mars 2020, © Saul Loeb / AFP
8 - Le combat n'est pas terminé !
Alors que les mesures de dépénalisation et de légalisation de l'avortement prises ces dernières années dans des pays comme l'Argentine, l'Irlande, le Mexique et la Colombie ont constitué une énorme victoire pour la communauté internationale, il est clair que les États-Unis ne sont pas en phase avec les progrès réalisés par le reste du monde en matière de protection des droits sexuels et reproductifs. La décision de la Cour suprême de supprimer le droit à l’avortement est un retour en arrière tragique. Qui sait ce que cette décision pourrait inspirer à d’autres gouvernements opposés à la protection de ce droit ? L'annulation de l'arrêt Roe vs. Wade pourrait devenir le symbole d'une réaction brutale dans le monde entier, mettant en péril les progrès récents et mettant en danger la santé et la vie de millions de personnes.
Les mobilisations vont se poursuivre partout aux États-Unis, où des milliers de personnes ont pris part à des rassemblements coordonnés pour demander aux États de mettre fin aux interdictions. Ailleurs, des citoyennes et citoyens du monde entier continuent de faire entendre leurs voix pour défendre les droits en matière de santé sexuelle et reproductives.
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