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Contrôle des armes

Traité sur le Commerce des Armes : un appel à une responsabilisation des entreprises qui montre ses limites

La 9e conférence des États parties au Traité sur le Commerce des Armes a cette année mis en exergue le rôle potentiel que peuvent jouer les entreprises de l'armement dans les transferts “responsables” d’armes. Une question délicate qui ne remet pas en cause la responsabilité des États exportateurs, seuls signataires du Traité.

Il y a bientôt 10 ans, un traité historique était adopté par l’Organisation des Nations unies, encadrant pour la première fois les ventes internationales d’armes conventionnelles. Si le Traité sur le Commerce des Armes (TCA) s’adresse aux États qui l’ont ratifié ou signé, le texte souligne dans son préambule que les industriels du secteur ”peuvent contribuer activement, de leur propre initiative, à faire connaître l’objet et le but du présent Traité et concourir à sa mise en œuvre”.

C’est ainsi, sous la présidence de l’ambassadrice sud-coréenne Seong-mee Yoon, que la 9e conférence des États parties au TCA, qui s’est tenue du 21 au 25 août 2023, avait pour thème cette année le rôle des industriels de l’armement dans la mise en œuvre effective du TCA.

Un appel à “des pratiques commerciales responsables”

À travers un document de travail présenté par la présidente Yoon, repris en grande partie dans le rapport final de la CEP9, il a notamment été rappelé que le TCA et la législation internationale fournissent aux entreprises concernées des “orientations” sur ce qui constitue “un comportement” et “des pratiques commerciales responsables”. Il a aussi été rappelé que celles-ci étaient élaborées à partir des notions établies par les Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme (UNGP) ainsi que les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE, ou encore à travers les législations régionales et nationales. Le document de travail de la présidence indique par ailleurs que les synergies entre le TCA et les UNGP offraient “une opportunité aux États, aux industriels et à la société civile d’échanger sur de meilleures pratiques et d’élaborer des orientations pertinentes pour garantir une conduite responsable des entreprises en ce qui concerne le commerce international des armes classiques”.

Si l'évocation de ces cadres et principes ont été salués par Control Arms, dont fait partie Amnesty International, d’autres aspects du texte sur le rôle des entreprises posent question. Le document de travail de la présidence de la Corée du Sud s’interroge ainsi sur “les avantages potentiels pour les entités industrielles et privées de s’impliquer dans le TCA”, et indique que “le TCA n'a pas été établi pour porter atteinte au commerce légitime des armes classiques ni pour engendrer des coûts ou des charges supplémentaires injustifiés pour les transactions légales”.

La coalition Control Arms a souligné, lors de sa prise de parole, que ces considérations étaient “extrêmement problématiques”, et qu’il faudrait “au contraire se poser la question de ce que l’industrie peut faire pour le TCA”, et non l’inverse.

Comme l’a en outre rappelé la délégation costaricaine lors de sa prise de parole en plénière, l’objectif fondamental du TCA est “non seulement de réguler le transfert d’armes” mais avant tout “de réduire la souffrance humaine” et de “sauver des vies”.

La responsabilité fondamentale des États

Cesar Jaramillo, président du conseil international de Control Arms, souligne par ailleurs que cet appel à la vigilance des entreprises “ne remet ni ne doit aucunement remettre en question la responsabilité fondamentale des États”, seuls signataires du Traité. Anita Ramasastry, professeure à l’Université de Washington et ancienne membre du Groupe de Travail sur les droits de l’homme et les sociétés transnationales à l’ONU, souligne aussi qu’il est “du rôle des États de mettre en place des outils de sanctions et de réglementation” vis-à-vis des entreprises, à travers la notion de devoir de vigilance, afin d’encadrer les pratiques commerciales du secteur de l'armement. Un devoir de vigilance dans les faits peu respecté par les géants de l’armement.

En 2019, Amnesty International mettait en lumière, dans un rapport, la défaillance des grandes entreprises du secteur de l’armement dans leur devoir de diligence en matière de droits humains.

Des Etats avaient pour objectif de diluer les recommandations

Au dernier jour de la conférence s’est tenu un échange très vif autour de la rédaction du Rapport Final (ici en VF) de cette 9e conférence du Traité. Malgré les protestations de plusieurs États parties et d’ONG, les interventions de certains États, en particulier de la Chine et des États-Unis, avaient pour intention de diluer les recommandations du texte pour une responsabilisation des industriels et plusieurs  références juridiques aux Droits Humains. La Chine a ainsi notifié qu’elle refusait que le rapport se réfère aux principes du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. Les Etats-Unis - qui par ailleurs n’ont pas ratifié le  Traité -, sont également  parvenus à faire pression pour diluer certaines de ces recommandations.

Parmi les bonnes nouvelles, tout de même, deux nouveaux États, le Gabon et l’Andorre, ont cette année ratifié le TCA, amenant le nombre d'États Partie au TCA à 113 pays.

Ainsi, le paragraphe 22e  devient « Les États Parties sont encouragés à prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que les activités de l’industrie et des entités du secteur privé relevant de leur juridiction nationale mènent leurs activités conformément à l’objet et au but du Traité. » au lieu de « … toutes les mesures nécessaires … » et «  … à l’appui de l’objet et du but du traité » dans la version soumise pour discussion par la présidente. L’ambassadeur des USA, soutenu par des portes paroles de l’industrie, a déclaré que « ce n’est pas la responsabilité de l’industrie de soutenir le traité » . Néanmoins plusieurs références aux droits humains, que la délégation chinoise avait vivement critiqué, ont été retenues.

Un long chemin reste cependant à faire pour le Traité, notamment pour ce qui est de sa mise en œuvre et les questions de transparence, puisque 42% des rapports attendus pour l’année 2022 n’ont pas été soumis. Un chiffre qui ne cesse de croître depuis l’adoption du Traité. Parmi les rapports rendus, une grande partie – dont celui de la France - était cependant transmis avec retard et étaient déficients en termes de données. Les défaillances notoires en matière de respect du TCA, en particulier de la part de membres permanents des Nations unis, signataires ou États Parties du traité, comme la France, les Etats-Unis ou le Royaume Uni, demeurent, aujourd’hui encore, un problème majeur.

En savoir plus sur la Commission Armes, transferts et usage d'Amnesty International France