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URGENCE GAZA

 Exigez avec nous la justice pour toutes les victimes et la protection sans condition des populations civiles

Des Syriens se rassemblent lors d’une cérémonie commémorative silencieuse en hommage aux victimes de l’attaque à l’arme chimique perpétrée par les forces du régime Assad déchu en 2018, à Douma, dans la Ghouta orientale de Damas, en Syrie, le 7 avril 2025. © Hamza Abbas / Anadolu /via AFP

Une ONG syrienne contre la guerre chimique 

Des Syriens se rassemblent lors d’une cérémonie commémorative silencieuse en hommage aux victimes de l’attaque à l’arme chimique perpétrée par les forces du régime Assad déchu en 2018, à Douma, dans la Ghouta orientale de Damas, en Syrie, le 7 avril 2025. © Hamza Abbas / Anadolu via AFP

L’enquête exclusive de La Chronique « Syrie-Opération mensonge » est le fruit d’un partenariat inédit entre le magazine d’Amnesty France et le Centre de documentation des violations chimiques en Syrie (CVDCS), une organisation indépendante spécialisée dans la traque des attaques chimiques en Syrie. Le CVDCS joue un rôle essentiel dans la recherche de la vérité et de la justice.  Entretien avec son directeur général, Nidal Shikhani. 

Créé en 2012, enregistré en Belgique, le CVDCS a pour objectifs d’établir les faits, rendre justice aux victimes d’attaques à l’arme chimique et empêcher que ces armes interdites ne se banalisent dans les guerres modernes. L’organisation collabore avec des experts scientifiques et s’appuie sur un solide réseau de terrain : survivants, soignants, témoins directs. Elle rassemble des preuves — échantillons, photos, vidéos, témoignages — qui alimentent les enquêtes de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), de l’ONU et des tribunaux internationaux.  

Qui gaze qui en Syrie ? 

Pendant la guerre civile syrienne, plusieurs armes chimiques ont été utilisées : sarin, chlore, gaz moutarde. La quasi-totalité des attaques – entre 200 et 300 selon les ONG et les services de renseignement occidentaux – est attribuée au régime syrien, principalement avec du sarin et du chlore. Daech a mené au moins cinq attaques confirmées au gaz moutarde, dont une à Marea (province d’Alep) en septembre 2015. Quant aux groupes rebelles, ils sont soupçonnés d’avoir utilisé du chlore, mais aucune preuve irréfutable n’a été produite par les enquêtes internationales. 

Dans l’affaire de l’attaque chimique de Douma, détaillée dans La Chronique, le CVDCS a permis d’identifier et de faire entendre des témoins clés, longtemps restés dans l’ombre. Aujourd’hui, son directeur, Nidal Shikhani, demande au gouvernement syrien de garantir leur protection. Il appelle également l’OIAC à les auditionner, afin qu’une annexe soit ajoutée au rapport d’enquête sur Douma.  

Même si la chute du régime de Bachar al-Assad a modifié la donne politique en Syrie, le rôle du CVDCS reste plus que jamais essentiel à la recherche de la vérité et de la justice, comme l’explique le directeur général de l’organisation. 

Nidal Shikhani : Le programme d'armes chimiques en Syrie pose de multiples défis depuis de nombreuses années. Même si l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) a supervisé la destruction des stocks d’armes chimiques déclarés en 2014, la situation reste floue, car le régime de Bachar al-Assad a souvent dissimulé la vérité et joué double jeu. Il a même essayé de continuer à se procurer des agents chimiques tout en prétendant se conformer au mandat de l’OIAC ? Nous savons par expérience que le gouvernement n'avait pas déclaré l'ensemble de son programme d’armes chimiques. Il a déclaré seulement ce qu'il souhaitait bien déclarer. Depuis 2014, notre préoccupation majeure est donc de savoir comment les armes restantes vont être détruites. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la Mission d'établissements des faits (FFM), le Mécanisme d'investigation conjoint (JIM), le Mécanisme international, impartial et indépendant (IIIM) et l'Equipe d'identification et d'investigation (IIT) [ndlr : structures créées par l'OIAC pour enquêter et identifier les auteurs des attaques chimiques].  Nous avons tous constaté que le régime syrien avait continué d’utiliser des armes chimiques après 2014. Plusieurs attaques au chlore ont été recensées entre 2014 et 2017.  De toute évidence, le chlore n'étant pas classé comme arme chimique dans son usage civil, le régime a utilisé cette faille pour ne pas déclarer ses stocks de chlore qu’il a utilisés à des fins militaires. Et nous n’avons toujours pas la preuve que tous les stocks d’armes chimiques ont bien été détruits.

Avez-vous une idée du nombre de stocks d’armes chimiques non encore déclarés ? Les nouvelles autorités syriennes sont-elles plus coopératives que le régime de Bachar al-Assad ne l’était ? Contribuent-elles au recensement des sites d’armes encore existant ?  

Notre problème aujourd’hui est le manque de stabilité en Syrie et l’absence de contrôle du pays, ce qui empêche de commencer à localiser les derniers sites non déclarés. Après, si vous suivez les informations syriennes, vous pouvez constater que le nouveau gouvernement est activement à la recherche des vendeurs de drogues ou des drogues elles-mêmes, comme le Captagon. Or produire ce genre de drogues nécessite des équipements chimiques particuliers. Cela signifie que le régime syrien, en dépit des sanctions de l'Union Européenne ou des États-Unis, avait bien trouvé les moyens de se doter de ce genre d'équipements... A ce jour, nous estimons qu’il reste encore plus d’une centaine de sites à déclarer et à démanteler pour sauvegarder la sécurité internationale.  

Un autre enjeu majeur : il reste à déterminer si les nouvelles autorités accepteront de coopérer et comprendront l’importance de conserver les preuves des crimes passés. Nous les avons déjà informées de la nécessité d’enquêter sur un certain nombre d'incidents qui ont eu lieu en Syrie. La Mission d'établissement des faits  (FFM), qui recueille des échantillons et des témoignages sur le terrain, enquête actuellement sur 152 incidents d’utilisation présumée d’armes chimiques. Une fois que la FFM confirme l’utilisation d’armes chimiques et identifie les agents impliqués, l’Équipe d’enquête et d’identification (IIT) prend le relais et cherche à déterminer les auteurs des attaques confirmées. Le processus d’investigation est donc très long. Par conséquent, à ce stade, nous ne sommes pas en mesure de juger si le nouveau gouvernement coopère pleinement à la mission de l’OIAC, car nous n’avons pas encore assez de recul. Mais nous le verrons dans les mois à venir.  En attendant, nous leur avons envoyé différents messages, qui disaient en gros : si vous trouvez un site, ne le déplacez pas, ne touchez à rien, n’ouvrez rien, car vous risqueriez de détruire des preuves. Renforcez la sécurité autour de ce lieu, et appelez simplement l'OIAC.

New York, 5 décembre 2024. Le processus d’élimination des armes chimiques en Syrie est à l’ordre du jour de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies. L’intervention de Nidal Shikani, le directeur du Centre de documentation des violations chimiques de la Syrie (CVDCS) est retransmise sur les écrans. © Even Schneider/UN photo

L’armée israélienne a procédé à de nombreux bombardements contre des cibles militaires sur le sol syrien ces derniers mois. Savez-vous si des sites qui abritaient des armes chimiques ont été touchés ?  

Oui. Après la chute du régime de Bachar al-Assad, l’armée israélienne a bombardé des centaines d’endroits différents. La plupart des sites qui ont été attaqués en décembre et en avril étaient effectivement liés au programme d'armes chimiques. C'était une très mauvaise idée, car ces attaques ont détruit de nombreuses preuves essentielles, sans pour autant rendre inutilisables les munitions chimiques.  

Comment savoir maintenant ce qui est encore existant ? Comment pouvons-nous, désormais, recenser les sites d’armes chimiques cachés de l’ancien régime ? Imaginez, s’il reste encore une tonne de sarin en Syrie, comment allons-nous pouvoir la détruire ?  

J’ai essayé d’alerter la communauté internationale sur ce point. Détruire les preuves qui permettent de remonter jusqu’aux auteurs des attaques à l’arme chimique entrave la mission de l’OIAC et va à l’encontre du droit des Syriens de savoir, et d’obtenir justice. Le régime de Bachar al-Assad n’est pas le seul responsable. Dans au moins trois incidents, nous avons identifié que c’était l‘État islamique (EI) qui était à l’origine des attaques. C’est une autre de nos préoccupations majeures. Si les armes chimiques non détruites tombent dans de mauvaises mains - si tant est qu'elles puissent tomber dans de bonnes mains -, alors c’est un danger pour la sécurité internationale. 

Est-ce que les bombardements israéliens ou les récents affrontements entre groupes armés ont endommagé des preuves qui mettent en avant la responsabilité de pays tiers, notamment la Russie, comme le montre le reportage de La Chronique ?   

Que vous soyez Syrien, Russe ou Iranien, vous ne pouvez pas juste commettre un crime et repartir comme si de rien n’était. Nous avons déjà pu identifier une liste de personnes responsables de l’attaque de Douma [ndlr : cette ville de la banlieue de Damas a été la cible d’une attaque chimique le 7 avril 2018 faisant au moins 43 morts]. Il faut déjà commencer par les interroger. Nous avons aussi des images de généraux impliqués et leurs noms. Les corps des victimes sont par ailleurs toujours enterrés. Si une enquête internationale est menée, des recherches ADN pourront prouver que ces personnes ont bien été tuées par un agent chimique.  

Les Russes, comme le régime syrien, doivent répondre de leurs actes devant la justice. La douzaine de témoignages directs, que nous avons réunis au cours de l’enquête réalisée par le magazine d’Amnesty, La Chronique, seront très utiles à la justice internationale. Maintenant, il est urgent de trouver un moyen de protéger les témoins de Douma. Entre la publication de l’enquête de La Chronique, et la projection prévue d’un documentaire sur ce sujet en juillet, il peut y avoir dans la foulée des tentatives d’intimidation contre l’un d’entre nous. Un ami, expert en sécurité, m'a déjà averti : «  Attention, c'est dangereux. Traiter d'une façon ou d'une autre de cette affaire peut te créer beaucoup d'ennuis... ». Après, même s’ils veulent nous arrêter, si ce n’est pas nous qui sortons l’information, quelqu'un d'autre le fera et continuera ce que nous faisons. La paix ne peut pas se faire sans justice. 

Cela étant dit, les armes chimiques ne sont pas les seules menaces graves qui pèsent sur la Syrie…

Les armes de destruction massive en Syrie représentent une question complexe et dangereuse. Il ne s'agit pas uniquement du programme d’armes chimiques, mais également d’activités liées à l’enrichissement de l’uranium. Le régime d’Assad, en coopération avec la Corée du Nord, a mis en place un projet nucléaire dans la région de Deir ez-Zor en 2005. Ce site a été entièrement détruit par une frappe aérienne israélienne en septembre 2007. Deux ans plus tard, lorsque l’Agence internationale de l’énergie atomique a visité le site, elle a découvert des traces indiquant clairement l’existence d’activités nucléaires liées à l’enrichissement de l’uranium. Cela a suscité de vives inquiétudes quant aux intentions du régime Assad et de ses partenaires de développer un programme nucléaire interdit. Il s’agit là aussi d’un danger majeur dont il faut impérativement s’assurer de l’élimination.

 

Les armes chimiques sont des produits choisis pour leur toxicité et utilisés dans le but de causer des dommages physiques ou la mort. La définition porte non seulement sur les substances chimiques elles-mêmes mais aussi sur le matériel (mortiers, obus et bombes) conçu spécialement pour les propager et infliger ainsi des dommages.   

Ces armes sont prohibées par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, entrée en vigueur en 1997. L'usage d'armes chimiques constitue un crime de guerre. L'interdiction internationale portant sur l'utilisation, la mise au point, la fabrication, le stockage et le transfert des armes chimiques est absolue et ne saurait être assujettie aux querelles politiques. »  

Plus d’infos sur le site du CVDCS