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La coalition au Yémen est menée par l'Arabie saoudite
Au Yémen, la coalition militaire est menée par l'Arabie saoudite © AFP/Getty Images

Au Yémen, la coalition militaire est menée par l'Arabie saoudite © AFP/Getty Images

Contrôle des armes

Royaume-Uni : le Traité sur le commerce des armes bientôt appliqué ?

Pour le Royaume-Uni, l'un des événements phares du premier trimestre de 2017 sera, début février, l'audience devant la Haute Cour sur la légalité de la poursuite de ventes d'armes du Royaume-Uni à l'Arabie Saoudite, compte tenu des violations du droit international humanitaire (DIH) commises par l'Arabie Saoudite au Yémen.

Un article de Roy Isbister Directeur de l'unité Armes chez Saferworld (publié initialement sur le site de http://www.forumarmstrade.org/)

En juin 2016, l'ONG britannique Campaign Against the Arms Trade (CAAT) a été autorisée à demander un contrôle juridictionnel des décisions du gouvernement du Royaume-Uni concernant la délivrance de licences d'exportation d'armes vers l'Arabie Saoudite. Au cours des 18 derniers mois, le Royaume-Uni a autorisé des exportations d'armes vers l'Arabie Saoudite d'une valeur de plus de 3,3 milliards de livres, dont une grande quantité de bombes guidées laser Paveway IV et d'avions de combat Typhoon destinés à la Force aérienne royale saoudienne (RSAF).

Ces exportations ont eu lieu dans le contexte des conflits violents qui sévissent au Yémen. La coalition de dix États menée par l'Arabie Saoudite a lancé son intervention militaire au Yémen en mars 2015, après la prise de la capitale Sanaa et la destitution du président Abd Rabbo Mansour Hadi par des rebelles houthis aidés de l'ancien président Ali Abdallah Saleh. L'alliance formée par les Houthis et l'ex-président Saleh s'est dirigée vers le sud pour s'emparer de villes clés, notamment d'Aden. Le pays a rapidement sombré dans la violence, marquant ainsi la fin d'un processus de transition politique délicat.

Lire aussi : l’Arabie saoudite reconnaît enfin utiliser des armes à sous-munitions au Yémen

Dès les débuts de la campagne de bombardements menée par l'Arabie Saoudite, des frappes aériennes visant des biens de caractère civil d’importance primordiale et des zones résidentielles ont peu à peu été signalées, ainsi que des frappes aériennes visant de larges rassemblements de civils, notamment le camp de personnes déplacées d'Al Mazraq, des entrepôts de stocks de secours et la vieille ville de Sanaa. Ces attaques régulières commises à l'encontre de civils et de biens de caractère civil, l'utilisation d' armes à sous-munitions (que le gouvernement britannique pourrait être sur le point de reconnaître pour la première fois), le fait de prendre des villes entières pour cibles militaires et d'autres pratiques démontraient collectivement des violations systématisées du droit international humanitaire. Les Houthis ont également commis des actes s'apparentant à des violations du droit international humanitaire lors de tirs d'artillerie et de missiles sur des zones civiles en Arabie Saoudite et au Yémen. Toutes les autres parties au conflit semblent avoir également commis des violations du droit international humanitaire.

En décembre 2015, l'ONG internationale Saferworld, conjointement avec Amnesty International et Oxfam, se sont adressées au cabinet Matrix Chambers pour leur demander un avis juridique, demande motivée par l'ampleur des problèmes relatifs aux bombardements au Yémen. L'avis juridique a conclu que le gouvernement britannique avait fait preuve d’« égarement juridique » en continuant d’autoriser les ventes d'armes à l'Arabie Saoudite. Citant le troisième alinéa de l'article 6 du Traité sur le commerce des armes (TCA), Matrix Chambers a conclu que le gouvernement avait connaissance du fait que ses armes seraient utilisées pour commettre des violations du droit international humanitaire, et que les ventes de ce type étaient donc interdites. Matrix Chambers est allé plus loin : après avoir passé en revue toute une série de potentielles infractions du droit international humanitaire commises par la RSAF, ils concluent que même s’il est impossible d’établir que le gouvernement avait « connaissance » de l’utilisation qui serait faite de ces armes (ce qui en vertu de l'article 6.3 aurait dû entraîner une interdiction de ventes), le critère de « risque prépondérant » que les armes britanniques servent à commettre de graves violations du droit international humanitaire avait été rempli. Toute évaluation du risque raisonnable aurait donc conclu que les ventes destinées à l'Arabie Saoudite de tout type de matériel contrôlé susceptible d'être utilisé dans le conflit au Yémen devraient être empêchées.

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Lorsque la CAAT a demandé que le texte fasse l’objet d’un contrôle juridictionnel, le gouvernement a tenté d’annuler l'audience en prétextant qu'il détenait des informations inconnues des Nations Unies et du public qui démontraient que les agissements de l'Arabie Saoudite étaient conformes au droit international humanitaire. Mais en insistant sur la légitimité d'un contrôle juridictionnel et la nécessité d’accélérer la procédure d'audience, le juge a avancé qu'il existait un nombre non négligeable d'éléments de preuve indiquant des violations du droit international humanitaire que le gouvernement devait prendre en considération. Il se référait en particulier à des rapports de l'ONU qui citaient de nombreuses violations du droit international humanitaire.

L'affaire sera d'une grande importance. Le gouvernement britannique s'est limité à une prise en compte très minimisée du droit international humanitaire dans son évaluation des risques pour l'octroi de licences d'exportation d'armes. Des avocats ont suggéré que ces pratiques reflètent les tentatives, ces vingt dernières années, du gouvernement britannique et d'autres gouvernements occidentaux de réduire la portée du droit international humanitaire, enterrant ainsi le fruit de soixante-dix ans de jurisprudence internationale. Conscientes des conséquences qu'elle aura sur des années de travail de campagne, Amnesty International et Human Rights Watch ont décidé d'intervenir dans cette affaire. Elles ont le sentiment d'être en mesure de soulever des questions que la Cour doit prendre en compte et qui contribueront à favoriser un succès de la CAAT.

Une défaite du gouvernement soulignera le fait que le risque que représentent les transferts d'armes au regard du droit international humanitaire ne peut être mis de côté au profit d'autres considérations ; elle pourrait en outre renforcer la légitimité des articles concernés du TCA. Ce jugement pourrait également avoir des répercussions particulières pour d'autres États membres de l'UE, puisque le droit britannique est en outre subordonné à des obligations partagées en vertu d'un instrument européen (la position commune).

La décision récente des États-Unis d’interrompre les ventes d'armes à guidage de précision à destination de la RSAF et de limiter le partage de renseignements en raison d'échecs systématiques et endémiques de ciblage sera sans aucun doute d'un grand soutien pour la CAAT. Dans le système américain, le président peut envoyer un « message » au gouvernement saoudien en refusant de lui vendre certaines armes tout en continuant de soutenir la campagne aérienne saoudienne par d'autres moyens (par exemple en approvisionnant les avions saoudiens en combustible). Cependant, le Royaume-Uni ne bénéficie pas de cette option. Dans le cas du Royaume-Uni, le droit national, la position commune de l'UE et le TCA prévoient tous qu'aucun transfert international d’armes classiques ne peut être autorisé s’il existe un risque substantiel que ces armes soient utilisées pour commettre ou favoriser de graves atteintes au droit international humanitaire ou au droit relatif aux droits humains. Par conséquent, s'il existe des problèmes « systémiques et endémiques » relatifs aux pratiques de ciblage de la RSAF au Yemen, tous les transferts d'armes provenant du Royaume-Uni et pouvant être utilisés par la RSAF devront être empêchés. Le Parlement a déjà demandé pourquoi le Royaume-Uni ne prenait pas exemple sur la décision prise par le gouvernement d'Obama. La Cour ne manquera pas de poser ces mêmes questions. Espérons que 2017 commence avec une décision de la Haute Cour britannique qui vienne considérablement renforcer le TCA

. Roy Isbister Directeur de l'unité Armes chez Saferworld

Le Forum on the Arms Trade (Forum sur le commerce des armes) est un centre d'informations, un forum et un point de contact pour canaliser les efforts visant à remédier aux conséquences économiques, humanitaires et sécuritaires des transferts d'armes légaux, illicites et illégaux. Centré principalement sur les transferts d'armes et l'aide sécuritaire des Etats-Unis, le Forum est un réseau professionnel d'experts de la société civile dont les travaux portent sur le contrôle des armes, le développement, les droits humains et les questions s'y rattachant. Basé à Washington, le Forum offre un lieu de convergence pour les experts en tout genre qui forment sa communauté afin de permettre à celle-ci d'étendre et de renforcer la portée du travail qu'elle fournit, tout en mettant à disposition des représentant du gouvernements et des média une ressource unique, un point d'information et de mise en lien utile.