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Illustration Damien Roudeau

Illustration Damien Roudeau

France : Un chien dans un jeu de quilles

Grand raout international, le salon Milipol expose du matériel de maintien de l’ordre. Grâce au regard affuté d’un expert d’Amnesty International France, les vendeurs d’armes ne peuvent plus exposer certains engins de torture, en toute impunité.

Extrait de la Chronique d'avril # 449

Par Éric Dourel. Illustrations : Damien Roudeau.

C’est le Disneyland des policiers et des militaires. On y trouve les plus récentes attractions technologiques en matière de sûreté et de sécurité : masque de chien avec caméras intégrées, fusil LBD (lanceur de balles) « intelligent » qui se bloque dès que l’on vise la tête… Bienvenue à Milipol, le salon mondial de la sécurité intérieure des États, organisé une année sur deux, à Villepinte, en banlieue parisienne. Pendant quatre jours, plus d’un millier d’entreprises y exposent leurs dernières trouvailles devant plus de 30 000 visiteurs, dont 44 % viennent de l’étranger.

Le 14 novembre 2017, Aymeric Elluin,chargé de plaidoyer « Armes et conflits » à Amnesty International France, se rend sur place pour vérifier que les entreprises invitées sont dans les clous. En effet, le règlement anti-torture no 1236/2005 du Conseil de l’Union européenne (UE), entré en vigueur en 2006, interdit sur le sol européen l’exportation et l’importation d’équipements et de biens susceptibles d’être utilisés en vue d’infliger la torture ou la peine capitale. « Le texte de 2016, consolidé en 2019, prévoit de nouveaux contrôles sur les services de courtage et l’assistance technique, ainsi qu’une interdiction concernant la publicité de certains biens, précise Domitille Nicolet, qui travaille sur le droit de manifester à Amnesty International France. L’objectif est d’empêcher que les exportations de l’UE ne contribuent à ce que des violations des droits humains soient commises dans des pays tiers. » Ces dernières restrictions ont été introduites à la suite d’une campagne menée par Amnesty International en collaboration avec l’Omega Research Foundation. Cet organisme de recherche indépendant, basé au Royaume-Uni, enquête sur la fabrication, le commerce et l’utilisation, à l’échelle mondiale, d’équipements de maintien de l’ordre susceptibles d’être utilisés à des fins de torture. Milipol appartient au même Groupement d’intérêt économique que Civipol, une société de services et de conseil du ministère de l’Intérieur, qui compte parmi ses partenaires la police, la gendarmerie nationale, les douanes françaises. Tout devrait être au carré. Or, pas du tout…

 

Détonnantes trouvailles

Au stand 232, de l’allée F, Aymeric Elluin va faire de surprenantes découvertes. Il tombe sur une entreprise chinoise, Origin Dynamic, qui fait la promotion, sur son stand, d’un système d’attaches de chevilles, capable de délivrer une décharge électrique sous haute tension. Un autre dispositif est présenté : « Baptisé “Constraint”, cet ­équipement se place sur les bras ou les jambes, avec la possibilité d’envoyer une impulsion électrique. La société affirme qu’un simple clic sur un bouton suffit à faire tomber une personne et à lui ôter toute capacité d’action », détaille Aymeric Elluin. Plus loin, trois sociétés chinoises exposent sur catalogue des fers à entraver, lestés et attachés par une chaîne à des menottes. Et une quatrième fait la promotion, sur papier glacé, d’une matraque à pointes, couverte de piques.

Branle-bas de combat : le chargé de plaidoyer d’Amnesty International va directement trouver la direction de Comexposium, organisateur du salon, en lui expliquant que l’ONG communiquera sur ses trouvailles. Comexposium alerte sur-le-champ le préfet Yann Jounot, qui préside Civipol. Ce dernier ordonne la fermeture immédiate du stand tenu par Origin Dynamic. Le procureur de la République est saisi. Les catalogues des sociétés concernées sont retirés, leurs pages déchirées. Et elles reçoivent un avertissement. « À partir de là, le préfet Jounot prend la décision d’officialiser la présence d’Amnesty International à Milipol. Il ne veut pas d’un salon où la loi n’est pas respectée. Il propose à notre ONG un travail collaboratif. Nous acceptons, ce qui ne nous empêche pas de conserver notre totale liberté », raconte Aymeric Elluin. Désormais, tapis rouge pour Amnesty International autorisée à observer le déroulement de l’exposition et à vérifier que les entreprises présentes n’enfreignent plus les lois de l’UE. En parallèle, Civipol se mobilise pour que ce genre d’incidents ne se reproduisent plus. Outre le détail du règlement anti-torture de l’UE dans le guide de l’exposant, une alerte apparaît lors de l’inscription en ligne de Milipol. Les entreprises sont désormais invitées à cocher une case, dans laquelle elles déclarent qu’elles ne font pas la promotion d’équipements interdits par le règlement. Et au cas où les sociétés chinoises ne comprendraient toujours pas, Civipol fournit une traduction en mandarin des exigences du règlement anti-torture de l’UE et les sanctions qui y sont associées. Autre conséquence, un bureau de contrôle des matériels exposés est créé en 2017, et renforcé en 2019 : il a pour mission de vérifier chaque jour le matériel présenté sur les stands et de s’assurer de leur conformité.

Interrogé par La Chronique, un chargé de communication de Civipol explique que « tout fonctionne parfaitement bien depuis que l’on travaille en bonne intelligence avec Aymeric ». Pour Civipol, martèle-t-il, « le respect de la réglementation européenne est crucial et primordial ».

Du côté des douanes, qui ont quand même laissé entrer en 2017 sur le territoire national des équipements de torture, on jure que « concernant le salon Milipol, un rappel de la réglementation est systématiquement opéré auprès des organisateurs avant la tenue de cet événement. En outre, les services douaniers effectuent des contrôles en amont et lors du salon pour vérifier le respect des exigences du règlement de l’UE ».

Sauf qu’en 2019, rebelote ! Une société chinoise, Jiangxi Great Wall Protection Equipment Industry Co Ltd, tente d’exposer brièvement un bouclier à pointes sur son stand au salon Milipol. Coup de chance : dans le cadre de leurs contrôles de conformité, les organisateurs découvrent cet article juste avant l’ouverture. Ils le photographient et demandent qu’il soit retiré illico. En revanche, le produit interdit n’est saisi ni par les organisateurs ni par les douanes. Il est conservé par l’entreprise et vraisemblablement renvoyé en Chine…

Cette même année, cinq autres entreprises chinoises, dont trois qui s’étaient déjà distinguées en 2017, sont prises en flagrant délit. Leurs catalogues font la promotion de boucliers de bras ou de boucliers ronds, tous deux équipés de pointes métalliques. Informé par Amnesty International, le préfet Jounot les fait retirer des stands.

Promouvoir un traité international

En 2021, RAS. Mais deux ans plus tard, en novembre lors de la dernière édition de Milipol, rebelote et dix de der ! Désormais accompagnée d’Omega, Amnesty International débusque des entreprises chinoises en train de promouvoir sur catalogue des matraques à pointes et des boucliers de bras à pointes, des entraves aux jambes reliées à des menottes… « Ces produits sont illégaux. Leur promotion est illégale. Et malgré cela, les entreprises chinoises tentent quand même le coup. Aussi incroyable que cela puisse paraître, elles n’en ont rien à faire de la réglementation », enrage Aymeric Elluin.

Force est donc de constater que la batterie de moyens déployés par Civipol n’empêche pas la présence de certains équipements ou matériels dans des catalogues. Par ailleurs, Amnesty International et Omega souhaiteraient que soient interdits des produits autorisés par le ­règlement européen. Il s’agit notamment de matraques électriques, de pistolets paralysants électriques, de projectiles à impact cinétique multiple et de lanceurs à canons multiples qui ont été commercialisés à Milipol par des entreprises françaises, tchèques, italiennes, turques, sud-coréennes et américaines. « Première étape, il faut renforcer immédiatement le règlement anti-torture de l’UE afin d’interdire le commerce de tous les équipements intrinsèquement abusifs identifiés en octobre dernier par la rapporteuse spéciale de l’Onu1, insiste le Dr Michael Crowley, chercheur à l’Omega Research Foundation. L’étape suivante consiste à promouvoir un traité international sur le commerce sans torture au niveau des Nations unies qui sera juridiquement contraignant. » En attendant, les deux ONG continueront d’inspecter les stands du Milipol 2025. 

1— En octobre 2023, Alice Edwards, rapporteuse de l’Onu spécialisée sur la torture, a réclamé l’interdiction de 20 « outils de torture modernes » utilisés par des forces e l’ordre à travers le monde, certains dignes des « tortionnaires du Moyen Âge ».

 

Plus de contrôles à Milipol

2006

Interdiction de l’importation ou de l’exportation de matériels pouvant servir à la torture par le Conseil de l’UE.

2016

Interdiction de la promotion de matériels pouvant servir à la torture par le Conseil de l’UE.

2017

Visite d’Aymeric Elluin au salon de Milipol.

2023

Omega Research Foundation et Amnesty International militent en faveur d’un traité international.

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