Célia est originaire de Colombie. Elle est arrivée seule en France après avoir fui un réseau de traite. En s’échappant, elle pensait trouver ici un peu de répit et de la stabilité. Neuf ans plus tard, elle vit à Toulouse où elle élève ses deux enfants, dont l’un est autiste. Elle travaille comme auxiliaire de vie avec une carte de séjour précaire. Une vie qui ne lui laisse aucun répit. Chaque jour, elle puise sa force dans le sourire de ses enfants et dans l’espoir de leur offrir enfin une stabilité. Elle a accepté de nous ouvrir les portes de son quotidien pour raconter sa vie, à la merci d’un papier.
Avant la France, j’ai vécu au Portugal. J’y ai vécu l’enfer. J’ai quitté la Colombie car on m’avait promis du travail au Portugal comme infirmière. Mais c’était un piège. Je me suis retrouvé dans un trafic : prostitution, trafic d’humain, trafic de drogue. On m’a contraint à tout faire. Dès que j’ai pu, j’ai fui. J’ai pris un bus pour Toulouse. Je n’avais rien, pas de papiers, juste une amie qui habitait ici.
Je ne pouvais pas rentrer en Colombie car j’ai dénoncé les personnes qui m’avaient piégée. En représailles, ils ont assassiné mon petit frère. Il avait cinq ans. Depuis ce jour, je sais que je ne reverrai plus mon pays. Alors j’ai essayé de reconstruire ma vie ailleurs.
Je suis arrivée à Toulouse en 2016. J’ai fait tous les petits boulots possibles : ménage, restauration, plonge. J’ai travaillé dans le restaurant du stade de rugby, dans des cafés. Je n’avais pas de papiers, on me payait en liquide. Quand je demandais un contrat, on me disait : « On ferme, on n’a plus besoin de toi. » Ils savaient que j’étais sans papiers, alors ils en profitaient.
En 2017, j’ai demandé l’asile. La CNDA a refusé ma demande. J’étais seule, perdue, je voulais juste pouvoir travailler normalement. Mais sans titre, on ne peut rien construire. Pas de logement, pas de sécurité, pas d’avenir.

Pochettes de Célia, dans lesquelles sont conservées soigneusement toutes ses preuves de présence en France (bulletins de paie, contrat de travail, ordonnances, relevé de compte bancaire, diplômes…). Ses documents lui serviront pour renouveler son titre de séjour au début de l’année 2026 à Toulouse, 22 Octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France
En 2022, j’ai trouvé un emploi dans une entreprise d’aide à domicile. C’est là que je travaille encore. Au début j’étais payée huit euros de l’heure au lieu de onze. On me disait : « Quand tu seras régularisée, on te paiera mieux. » C’est grâce à la CGT que j’ai pu enfin monter un dossier de régularisation. En juillet 2024, j’ai obtenu mon premier titre de séjour salarié, valable jusqu’en un an. J’aurais dû avoir un titre « vie privée et familiale », parce que mes enfants sont français, mais la préfecture a décidé autrement. Je n’ai pas compris pourquoi. Je vis avec mes deux enfants. Un qui a six ans et le petit, qui a quatre ans et demi est autiste. Il demande beaucoup d’attention. Ce sont eux qui me font tenir, c’est pour eux que je me bas.

Avant d’obtenir son titre de séjour, de 2016 à 2020, Célia était rémunérée en argent liquide pour ses heures de travail effectuées dans la restauration ou en tant que femme de ménage. Depuis l’obtention de son premier titre de séjour, elle a obtenu un compte bancaire sur lequel sont versées ses salaires générés par son emploi à temps partiel d’auxiliaire de vie, à Toulouse, le 22 Octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France
Je voudrais partir de mon travail mais j’ai peur de ne pas pouvoir renouveler ma carte. Je suis fatiguée. Au travail pendant plusieurs mois j’avais des taches d’aide-soignante, donner les médicaments, les douches, mais j’étais payée comme auxiliaire de vie. Je me suis épuisée. Je cherche autre chose mais avec cette carte d’un an, c’est difficile. Sans CDI, c’est toujours précaire. Et à chaque renouvellement, il faut payer, payer, payer… Les timbres, les papiers, les traductions. C’est cher, et ça recommence sans fin.

Titre de séjour actuel de Célia, d'une durée d'un an, à Toulouse, 22 Octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France
Toutes mes collègues sont dans la même situation. Toutes étrangères, toutes avec des titres d’un ou deux ans. Personne n’a de carte de dix ans. Une de mes collègues sénégalaises a subi beaucoup de racisme. On se serre les coudes, c’est dur, mais je ne veux pas baisser les bras.
Mes parents sont toujours en Colombie. Ils m’aident un peu mais tout coûte cher, je compte chaque euro tout en essayant d’apporter une vie digne à mes enfants.
Quand ma fille me voit fatiguée, elle me dit : « Maman, tout va s’arranger. » Ses mots me donnent du courage. Les employeurs savent que nous avons peur de perdre nos papiers. Alors ils profitent. Ils savent qu’on ne dira rien, qu’on reviendra même malades, qu’on ne refusera pas une mission.
Les Français ne veulent pas faire ce travail. Nous, les immigrées, on le fait avec amour, avec respect. J’aimerais juste un vrai travail, payé au juste salaire et un logement digne. Je vis aujourd’hui dans un 14m2. Nous y vivons à quatre. Si j’avais un titre de séjour stable de quatre ans ou une carte de résident de 10 ans, je chercherais un logement plus grand. Ce qui me porte aujourd’hui c’est de pouvoir faire grandir mes enfants, français, dans les meilleures conditions possibles.

Chaque semaine, Célia tient à nourrir convenablement ses deux enfants, l’un âgé de 6 ans et l’autre âgé de 4 et demi en situation de handicap, en leur achetant des légumes et des fruits frais sur un marché de Toulouse aux prix abordables, 22 Octobre 2025 © Camille Millerand pour Amnesty International France
Aujourd’hui, Célia travaille toujours à temps partiel comme auxiliaire de vie, à Toulouse. Elle a toujours une carte de séjour d’un an, qu’elle devra bientôt renouveler. Fatiguée mais déterminée, elle rêve d’un emploi stable auprès d’enfants, d’un logement sûr et d’une vie enfin apaisée. Malgré la précarité, elle continue d’avancer, courageuse, portée par un seul espoir : offrir un avenir stable à ses enfants en commençant par un logement digne.
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