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Mort de Nahel 

il est urgent de mener une véritable réforme du maintien de l'ordre

Nahel est mort. Il a été tué à bout portant par un policier. Il avait 17 ans. Nous publions une analyse du contexte dans lequel sa mort s’inscrit. Nous appelons à la justice, mais aussi à une révision des règles d’utilisation des armes à feu par la police et à la fin du racisme systémique dans l'application des lois.

Mardi 27 juin 2023, à 8h 15. Un policier tue par balle Nahel, un mineur de 17 ans, lors d’un contrôle routier à Nanterre, en banlieue parisienne. Dans la voiture se trouvent deux autres garçons âgés de 17 et 14 ans. Deux jours plus tard, le policier auteur du tir mortel est mis en examen pour « homicide volontaire par une personne dépositaire de l’autorité publique ». Maintenu en détention provisoire, il fait actuellement l’objet d’une enquête officielle de l’Inspection générale de la police (IGPN). 

Nahel est au moins la 15e personne à avoir été tuée par la police dans un véhicule depuis le début de 2022. Selon l’agence de presse Reuters, la majorité de ces victimes étaient des personnes racisées. Nahel était lui-même français d’origine algérienne. 

D’après la vidéo rendue publique et que nous avons analysée, le tir semble constituer un recours illégal à la force meurtrière. 

Depuis ce nouveau drame, des mobilisations nationales sont organisées partout en France. La colère de la population doit être entendue. 

Lire aussi : Notre pays est en deuil et en colère

Il est urgent de mener une véritable réforme du maintien de l’ordre et de reconnaître enfin le racisme systémique dans l’application de la loi.

Ce que nous dénonçons :  

les règles actuelles du maintien de l’ordre en France ne sont pas conformes aux normes internationales ; 

l'incapacité de longue date à mettre fin au profilage racial ; 

l’incapacité à garantir la responsabilité des agents qui font un usage excessif de la force. 

Ce que nous demandons :  

une réforme complète des règles régissant l'utilisation des armes à feu et de la force meurtrière par les responsables de l'application des lois ; 

la fin du dangereux déni des autorités concernant les effets du racisme systémique dans le maintien de l'ordre ; 

la création d'un organisme indépendant chargé d'enquêter sur les plaintes déposées contre des agents des forces de l'ordre.  

Combien de Nahel n’ont pas été filmés ?

Combien de policiers n’ont pas été jugés ?

Combien de familles de victimes attendent encore justice ?

Les autorités françaises ne peuvent plus délibérément refuser d’admettre la réalité et laisser couver ces injustices.Il est urgent que le gouvernement agisse. Pour ne pas condamner la France à voir les mêmes drames se reproduire.

Marche blanche pour Nahel, Nanterre, 29 juin 2023. © Inès Mermet

Contrôles routiers  : un problème de longue date

Les tirs mortels, lors de contrôles routiers par la police, sont un problème de longue date. Il s’est aggravé ces dernières années. 

Le tir mortel d’un policier sur Nahel - le plus récent d’une longue série d'homicides illégaux commis par la police lors de contrôles routiers - souligne l’urgence d’une refonte totale des règles françaises régissant l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, qui sont dangereusement imprécises et permissives.

Nils Muižnieks, directeur régional Europe d'Amnesty International

En 2017, un article ajouté au Code de la sécurité intérieure a élargi les motifs d’utilisation des armes à feu. Si le recours à la force doit répondre à une « absolue nécessité » et à « une stricte proportionnalité », l’usage des armes à feu et de la force meurtrière n’est plus strictement limité aux seuls cas de « menace imminente de mort » ou « de blessure grave ». Il est autorisé dès lors qu’il existe un risque "présumé" ou "anticipé" de blesser d'autres personnes.

Depuis 2017, la force meurtrière utilisée à la suite d'un "refus d'obtempérer" a été multipliée par cinq. Et l'utilisation d'armes à feu contre des personnes se trouvant dans des véhicules en mouvement a augmenté de manière significative, selon les données du ministre de l'Intérieur. 

Cette formulation, trop vague, laisse une trop grande part d’arbitraire et de liberté d’appréciation aux policiers et est contraire au droit international relatif aux droits humains. L’homicide de Nahel est un exemple tragique des failles de ce cadre juridique. La vidéo montre clairement que l’avancée du véhicule ne constituait pas une menace pour les policiers. 

17personnes ont été tuées lors de leur contrôle dans leur véhicule par la police entre 2002 et 2017 d’après le site indépendant Basta.
26décès ont eu lieu dans de telles circonstances dans les cinq ans qui ont suivi l’adoption de l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure en 2017 selon la même source.
60%des coups de feu tirés par des policiers en 2020 ont visé des véhicules en mouvement selon l’IGPN.

Le jour de la mort de Nahel, la député Caroline Abadie, vice-présidente de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, a déclaré dans une interview : « C’est quand même la police qui détient le droit de faire usage de la force. […] On est dans un état de droit, il faut […] rappeler les fondamentaux, quand il y a un barrage de police, on s’arrête, point barre […] Il faut aussi rappeler ces principes basiques17. » Ce raisonnement, largement répandu, est erroné. 

Selon le droit international, le simple fait qu’une personne refuse d’obtempérer ou tente de s’enfuir, sans mettre en danger la vie de quiconque, n’est pas une raison suffisante pour utiliser une arme à feu. Un refus d’obtempérer à un ordre d’arrêter une voiture ne constitue pas en soi un motif légitime de recours à la force.  L’usage d’une arme à feu dans une telle situation ne peut être justifié que par des considérations autres que le simple fait qu’un véhicule a forcé un poste de contrôle : il doit y avoir une menace imminente de mort ou de blessure grave pour des tiers.

👉 Ce que nous dénonçons.

Le cadre juridique français sur les règles d'utilisation des armes à feu n'est pas conforme au droit international relatif aux droits humains ni aux normes internationales en la matière. 

👉 Ce que nous demandons.

Les responsables de l’application des lois ne doivent être autorisés à utiliser leurs armes à feu qu’en dernier recours, en situation de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave. 

On the eve of New Year's Eve, police checks to check certificates during curfew hours are stepped up. This year, a curfew was introduced to prevent the spread of Covid-19 in France during New Year's Eve. In Bordeaux, December 30, 2020. Photo by Thibaud Moritz/ABACAPRESS.COM

© Thibaud Moritz/ABACAPRESS.COM

Le poids du racisme systémique 

Si les autorités doivent revoir la politique générale de la police en matière d'utilisation des armes à feu, elles doivent aussi prendre des mesures significatives pour lutter contre le racisme systémique dans le maintien de l'ordre.  

En France, l’utilisation illégale des armes à feu dans le contexte de contrôles routiers semble en effet être associée à un préjugé raciste, puisque beaucoup des victimes d’homicides illégaux survenus dans ce contexte sont des personnes racisées. Selon l'agence de presse Reuters, la majorité des personnes tuées par la police dans un véhicule étaient racisées. Nahel était lui-même français d’origine algérienne.  

En 2021, avec une coalition d’organisations (la Maison communautaire pour un développement solidaire, Pazapas, le Réseau Égalité, Antidiscrimination, Justice interdisciplinaire, Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative) nous avons engagé une action de groupe contre l’État français pour son inaction depuis des années. Nous avons saisi la plus haute juridiction administrative française, reprochant aux autorités de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour empêcher et sanctionner les contrôles d’identité au faciès menés par la police, malgré des preuves accablantes faisant état de discrimination systémique.  

Les pratiques de contrôle au faciès ne naissent pas de rien.  

Le profilage racial est à la fois une cause et une conséquence du racisme systémique. De telles pratiques n’existent pas dans un contexte vierge et leur prévalence en France peut être considérée comme un reflet de la persistance d’un racisme sociétal systémique.

TendayiAchiume,Ex-rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance

👉 Ce que nous dénonçons.

L'incapacité de longue date à mettre fin au profilage racial.

👉 Ce que nous demandons.

La fin du dangereux déni des autorités concernant les effets du racisme systémique dans le maintien de l'ordre.

Aller plus loin : Discriminations : à quand la fin du déni ?

Le grand déni des autorités  

« Nous sommes préoccupés par le meurtre d’un jeune homme de 17 ans d’ascendance nord-africaine par la police en France mardi dernier. Nous notons qu’une enquête a été ouverte concernant des allégations d’homicide volontaire. Le moment est venu pour le pays de s’attaquer sérieusement aux problèmes profonds liés au racisme et à la discrimination dans le contexte du maintien de l’ordre. Nous tenons également à insister sur l’importance du respect du droit de réunion pacifique. Nous demandons aux autorités de veiller à ce que le recours à la force par la police afin de lutter contre les éléments violents durant les manifestations respecte toujours les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de non-discrimination, de précaution et de responsabilité. Toute allégation de recours disproportionné à la force doit rapidement faire l’objet d’une enquête. »  

Cette brève déclaration d’une porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) a immédiatement suscité de vives réactions.  

Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré en retour : « Toute accusation de racisme ou de discrimination systémiques par les forces de l’ordre en France est totalement infondée. […] L’usage de la force par la police et la gendarmerie nationales est régi par les principes d’absolue nécessité et de proportionnalité, strictement encadré et contrôlé ». 

Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, a répondu sur BFMTV : « Non, certainement pas, il n’y a pas de racisme dans la police. »  

Les autorités préfèrent réduire le racisme à des incidents isolés, en mettant l’accent sur les motivations de l’auteur à titre individuel, plutôt que de remettre en question les pratiques discriminatoires généralisées dont sont victimes les personnes racisées.

Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors d’une interview au journal britannique The Telegraph : « Je leur répète avec vigueur qu’il est inacceptable de dire que la police française est raciste, c’est totalement inacceptable ». Selon ce même article, le ministre a écarté les accusations concernant le tir mortel, le qualifiant d’« incident isolé » dans un maintien de l’ordre qui « respecte l’état de droit et fait son travail dans des conditions difficiles ».  

Six jours après la mort de Nahel, la présidente du Parlement français, Yaël Braun-Pivet, a même affirmé haut et fort : « La police exerce sa mission de façon merveilleuse ! ». 

Ces déclarations de haut·es responsables du gouvernement français sont symptomatiques d’un refus de reconnaître l’existence d’un recours excessif à la force dans le cadre du maintien de l’ordre et d’un racisme systémique dans l'application des lois.

Les affres de l’impunité

Le déni des autorités renforce le sentiment d’impunité des forces de l’ordre et alimente une violence pourtant maintes fois dénoncée.

👉 Ce que nous dénonçons.

Ces dernières années, plusieurs de nos recherches montrent que, dans les affaires où des responsables de l’application des lois sont mis en cause, l’enquête – lorsqu’enquête il y a – n’est pas conforme aux critères de rapidité, d’indépendance, d’impartialité et d’efficacité établis par les normes internationales relatives aux droits humains. 

👉 Ce que nous demandons. 

La reconnaissance du caractère systémique du racisme dans le maintien de l’ordre et la création d’un organisme indépendant disposant de ressources suffisantes pour enquêter sur toutes les allégations de graves violations des droits humains imputées à des agents de la force publique.

 

L’homicide de Nahel ne saurait être séparé de ce contexte. Il est impossible de ne pas y voir le manque d’action concrète de l’État français pour garantir l’obligation de rendre des comptes et mettre en œuvre une réforme systémique garantissant la non-répétition des pratiques abusives récurrentes. Il est urgent de mener une véritable réforme du maintien de l’ordre et de reconnaître enfin le racisme systémique dans l’application des lois.