Violences verbales sexistes, menaces de viols et autres violences sexuelles, fouilles au corps humiliantes… En Géorgie, les femmes qui osent défier les autorités sont violemment réprimées et humiliées par les forces de police. Les autorités doivent mettre un terme à ces abus et violences fondées sur le genre et garantir les droits de réunion pacifique.
Depuis que les manifestations pro-européennes et antigouvernementales ont éclaté en Géorgie l'année dernière, les scènes de brutalité et agressions physiques violentes perpétrées par les forces de police contre les manifestants ont pris une ampleur considérable. Dans notre dernière enquête intitulée "Des insultes aux agressions : l’instrumentalisation de la violence basée sur le genre contre les femmes manifestantes en Géorgie", nous révélons que la violence fondée sur le genre est utilisée de manière systémique comme un outil de répression par les forces de police pour réduire au silence les voix dissidentes. On vous explique.
Le calvaire des manifestantes
Intimidation, harcèlement, violences physiques et psychologiques : en s’imposant comme figures de proue de face aux violations des droits humains en Géorgie, les femmes sont devenues des cibles croissantes d'humiliations, d'abus et de violences psychologiques ciblées de la part des forces de l'ordre. Au cours de notre enquête, nous avons pu recueillir de multiples témoignages directs de femmes ayant été victimes d’insultes sexistes, de menaces de violences et autres traitements dégradants infligés par la police :
Natia Dzidziguri, arrêtée lors des manifestations du 19 novembre 2024, explique avoir été contrainte de s'agenouiller dans un fourgon de police entourée d'hommes pendant tout un trajet, tandis que les policiers lui lançaient des insultes et des gestes à connotation sexuelle.
Mzia Amaghlobeli, journaliste de renom arrêtée à deux reprises le 11 janvier 2025 lors de manifestations pacifiques, explique avoir été victime d'abus sexistes de la part de la police, et avoir reçu des crachats et des menaces de violences de la part du chef de la police de Batumi.
Lors de la manifestation du 2 février 2025 près du Tbilisi Mall, une personne représentant Amnesty International a vu des policiers cibler les manifestantes par le biais d’un harcèlement généralisée, ponctué de violences physiques, d’insultes sexistes et de menaces de viol et autres violences sexuelles. Plusieurs femmes participant pacifiquement au rassemblement a été violemment traînées par les forces de l’ordre, tout en étant menacées de violences sexuelles.
L’une des manifestantes présente à cette marche, qui a témoigné sous couvert d’anonymat, raconte avoir ainsi été la cible d’insultes sexistes et dégradantes de la part de policiers masqués. Lorsqu’elle explique avoir tenté de confronter l’un d’eux, un policier l’a menacé de violences sexuelles et frappée au visage, lui fendant la lèvre.
Mises à nu pour avoir protesté
Alors qu'elles étaient détenues dans le cadre de manifestations, plusieurs femmes ont par ailleurs déclaré avoir été soumises à des fouilles au corps sans fondement juridique clair ni justification appropriée :
Elene Khoshtaria, une dirigeante de l'opposition, raconte avoir été violemment maîtrisée par la police, déshabillée de force et contrainte de s'allonger nue sur le sol lors de sa détention le 28 mars 2025.
Kristina Botkoveli, cofondatrice d'un groupe de protestation sur Facebook, explique avoir été contrainte de se déshabiller devant sa mère et avoir reçu des menaces lors d'une descente de police à leur domicile le 1er février 2025.
Nino Makharadze, militante arrêtée lors d'une manifestation pacifique le 13 janvier 2025, raconte avoir été soumise à une fouille au corps invasive dans un centre de détention temporaire.
Ces pratiques illégales sont particulièrement intrusives et humiliantes, avec des conséquences émotionnelles et psychologiques potentiellement graves à long terme. Elles rendent notamment les femmes plus vulnérables, en les exposant à un risque accru de violences basées sur le genre.
Briser l’esprit de résistance
Ces exactions ne sont pas des cas isolés. Les humiliations, la rhétorique sexiste et la violence physique à l'encontre des manifestantes s'inscrivent dans le cadre de tactiques bien plus larges et généralisées par les forces de l’ordre afin d’intimider celles et ceux qui osent exprimer des opinions critiques à l’égard des autorités. La crainte de vivre de telles expériences dégradantes dissuade les manifestants, surtout les femmes, de participer à des manifestations publiques, de se déplacer librement dans les espaces publics, ou encore de signaler ces abus.
De nombreuses victimes de traitements humiliants de la part de la police gardent ainsi le silence par peur ou par honte. À ce jour, aucune enquête efficace n'a été menée sur les exactions commises par les forces de l’ordre et aucun des agents responsables de ces violations n'a été amené à rendre des comptes. Malgré cela, les femmes géorgiennes continuent de se mobiliser pour faire entendre et valoir leurs droits.
Les fouilles au corps sont interdites par la législation géorgienne et strictement encadrées par le droit international. Elles ne doivent être réalisées que dans des circonstances exceptionnelles, en respectant les principes de légalité, nécessité, proportionnalité et dignité.
Des exigences supplémentaires sont prévues pour les femmes en détention : elles imposent le recours à du personnel féminin spécialement formé, selon des méthodes appropriées et conformément à des procédures établies. Réalisées en dehors du cadre légal, les fouilles au corps peuvent relever d’actes de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En laissant les forces de police agir en toute impunité, les autorités géorgiennes violent non seulement la législation nationale mais aussi les obligations qui lui incombent en vertu du droit international, notamment la Convention des Nations unies contre la torture, et des normes internationales.
Les autorités ont peut-être espéré qu’en ciblant les femmes avec des menaces de violence sexuelle, des descentes à leur domicile, des fouilles au corps illégales et des détentions arbitraires, elles écraseraient l’esprit de résistance, dissuaderaient les manifestant·e·s de se rassembler à nouveau et les réduiraient au silence. Cependant, les femmes de Géorgie se sont révoltées encore plus vigoureusement, en dénonçant ces violences, en demandant justice et en affichant leur résistance et leur défiance face à la répression
Denis Krivosheev, directeur adjoint pour l’Europe de l’Est et l’Asie centrale à Amnesty International.
Une répression accrue à l’encontre des manifestant·es
Ces derniers mois, les élections législatives du 26 octobre 2024 contestées car jugées frauduleuses par l’opposition ainsi que l’annonce par le gouvernement du parti au pouvoir, Rêve géorgien, de suspendre les négociations sur l’adhésion du pays à l’Union européenne ont poussé des dizaines de milliers de personnes dans les rues en Géorgie.
Récemment, le parti au pouvoir s’est par ailleurs appliqué à armer le système de justice pénale du pays ainsi qu’à introduire une série d'amendements législatifs indûment restrictifs visant à saper la liberté d'expression et les rassemblements publics.
Les modifications récemment apportées à la « loi sur les assemblées et les manifestations » ont considérablement augmenté les amendes, porté de 15 à 60 jours la durée de la détention administrative en cas de violation de la loi et interdit des actes tels que le fait de se couvrir le visage.
D'autres mesures législatives ont visé les organisations de la société civile et les médias indépendants, notamment des restrictions sur le financement étranger, un contrôle accru de l'État sur les subventions et l'introduction de nouveaux délits tels que l'insulte à l'égard des fonctionnaires.
En mars, sur la base de cette nouvelle législation, le gouvernement a ainsi procédé au gel des comptes bancaires de cinq organisations de défense des droits humains. Ces ONG avaient notamment fourni une aide financière et juridique précieuse à des manifestants détenus arbitrairement par les forces de polices.
Le déploiement de ce nouvel arsenal législatif par les autorités géorgiennes a gravement porté atteinte au droit de réunion pacifique et ont imposé aux manifestant·es un énorme fardeau financier et juridique.
Nos recommandations :
Les arrestations massives, les punitions humiliantes et sans fondement légal, le harcèlement de personnes et l’usage de violences basées sur le genre envers des personnes qui ont simplement manifesté pacifiquement ou critiqué les autorités constituent une violation du droit des personnes à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. C’est pourquoi nous appelons les autorités géorgiennes à immédiatement :
Mettre fin à la répression implacable menée à l’encontre la société civile et des manifestant·es pacifiques
Mettre fin à toutes les formes de représailles fondées sur le genre et à tout recours illégal à la force par les forces de l'ordre
Enquêter sur toutes les allégations d'abus durant les manifestations et veiller à ce que les responsables des exactions et violences commises rendent des comptes à tous les niveaux
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