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©VANO SHLAMOV/AFP/Getty Images
Géorgie
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 150 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains en Géorgie en 2024.
Le parti en place a continué d’usurper son pouvoir et de réprimer la dissidence. De nouvelles modifications législatives ont élargi les pouvoirs de l’État et de la police tout en restreignant abusivement les manifestations pacifiques et en affaiblissant la société civile. La police a eu recours à plusieurs reprises à une force illégale pour disperser des manifestant·e·s pacifiques, arrêtant et infligeant de mauvais traitements à des centaines d’entre eux. Le Parlement a adopté de nouvelles lois discriminatoires. Des cas de détention de civils dans des conditions inhumaines ont continué d’être signalés dans les territoires séparatistes.
CONTEXTE
Sur fond de manifestations publiques intenses, le parti Rêve géorgien au pouvoir a fait passer un certain nombre d’initiatives législatives restreignant les droits humains et affaiblissant aussi bien la société civile que l’indépendance de la justice et des institutions de l’État. Ces mesures ont poussé l’UE à suspendre le processus d’adhésion de la Géorgie en mai. La victoire du Rêve géorgien aux élections parlementaires d’octobre, qui s’est accompagnée de nombreux signalements de fraude électorale et d’actes d’intimidation, a été largement contestée. Elle a provoqué des manifestations suivies et a suscité des critiques au niveau international. D’autres manifestations ont éclaté en novembre et en décembre après que le gouvernement a annoncé qu’il allait à son tour geler les négociations d’adhésion à l’UE.
LIBERTÉ D'ASSOCIATION
Le Parlement a adopté en mai la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, qui obligeait les organisations dont plus de 20 % du financement était d’origine étrangère à se déclarer comme agents sous influence étrangère et à se conformer à des obligations de compte rendu et de contrôle lourdes et intrusives. La loi a par la suite été utilisée pour stigmatiser et discréditer des organisations critiques à l’égard du gouvernement. La Commission de Venise [Conseil de l’Europe] a jugé que cette loi violait les droits à la liberté d’expression et d’association et au respect de la vie privée ainsi que les principes de proportionnalité et de non-discrimination.
Le 9 octobre, la Cour constitutionnelle a accepté d’examiner cette loi, mais a refusé d’en suspendre les effets en attendant que sa décision soit prise.
LIBERTÉ D'EXPRESSION
Des personnes critiques envers les politiques publiques, notamment des opposant·e·s à la Loi sur la transparence de l’influence étrangère et des manifestant·e·s pro-UE, ont subi des actes de harcèlement, des campagnes de dénigrement et des violences. Plus d’une dizaine de militant·e·s, dont la plupart avaient participé à des manifestations, ont été violemment pris en embuscade par des assaillants non identifiés. Ces attaques se sont souvent soldées par des blessures graves nécessitant des hospitalisations. Certaines de ces agressions ont semblé avoir été coordonnées, cautionnées et encouragées ou fomentées par les autorités.
Le 11 juin, le militant Zuka Berdzenishvili a été roué de coups près de son domicile. Quelques heures avant, le président du Parlement l’avait publiquement accusé de participer à une campagne motivée par des considérations politiques contre le parti au pouvoir.
À la fin de l’année, aucun de ces actes de violence n’avait donné lieu à une enquête en bonne et due forme.
Une loi adoptée en décembre a permis au gouvernement de restructurer les institutions publiques et de licencier des fonctionnaires pour des raisons arbitraires et motivées par des considérations politiques. À la fin de l’année, une centaine de fonctionnaires qui avaient publiquement exprimé leur solidarité avec les manifestations avaient semble-t-il été arbitrairement renvoyés de leur poste.
LIBERTÉ DE RÉUNION PACIFIQUE
De nombreuses manifestations ont eu lieu, notamment en avril et en mai contre la Loi sur la transparence de l’influence étrangère, en octobre contre les résultats contestés des élections et en novembre contre la suspension du processus d’adhésion à l’UE.
La police a eu recours à une force illégale pour disperser des manifestant·e·s majoritairement pacifiques, en les visant avec des substances chimiques irritantes et des canons à eau, à faible distance et sans avertissement et en frappant, blessant et interpellant des centaines d’entre eux.
La police a également poursuivi des personnes ayant participé à des manifestations en dehors de ces événements, procédant à des fouilles et à des arrestations à leur domicile et sur leur lieu de travail. Quelque 500 manifestant·e·s auraient été placés en détention lors des seules manifestations de novembre et décembre.
La police a aussi pris pour cible des journalistes qui couvraient la répression. Pendant les manifestations de novembre et décembre, plus de 50 journalistes auraient été blessés et soumis à des traitements humiliants et dégradants, et auraient vu leur équipement détruit par la police, qui aurait aussi employé d’autres moyens pour les empêcher d’exercer leur activité professionnelle.
Le 3 mai, à Tbilissi, la capitale, plusieurs véhicules sont entrés dans une foule de manifestant·e·s et des hommes en civil en sont sortis et ont encerclé et agressé plusieurs personnes. Des manifestant·e·s et des journalistes ont été menacés et attaqués à plusieurs reprises en décembre par des groupes d’individus masqués non identifiés, sans que la police présente sur les lieux intervienne. Aucun de ces événements n’a fait l’objet d’une véritable enquête et aucun membre de la police ni aucun des individus masqués ayant perpétré des violences n’a été identifié ou amené à rendre compte de ces actes.
Une nouvelle loi entrée en vigueur le 30 décembre a imposé de nouvelles restrictions arbitraires aux droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique : elle prévoyait de lourdes amendes pour l’affichage de slogans ou d’affiches de protestation ainsi que pour le fait de se couvrir le visage et d’autoriser des mineur·e·s à prendre part à des manifestations. Elle accordait aussi à la police le pouvoir de détenir des personnes jusqu’à 48 heures « de manière préventive » en cas de suspicion d’infraction.
TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Au cours des manifestations d’avril et de mai, plus de 100 personnes ont fait état de violences verbales et physiques et d’autres mauvais traitements qu’elles auraient subis de la part de responsables de l’application des lois lors de leur arrestation et en détention. Les signalements d’actes de torture et d’autres mauvais traitements ont été particulièrement nombreux lors des manifestations de novembre et de décembre. Plus de 300 manifestant·e·s (la plupart de ceux qui avaient été arrêtés) auraient subi des mauvais traitements et plus de 80 personnes auraient été hospitalisées pour des blessures graves.
Les manifestant·e·s arrêtés ont en règle générale été emmenés dans des lieux tenus secrets, parfois en dehors de Tbilissi ; ils se sont vu refuser tout contact avec leur famille et leurs avocat·e·s et ont été détenus de 24 à 48 heures sans justification raisonnable, contrairement à ce qu’exigeait la loi. Dans plusieurs cas, des personnes détenues qui étaient blessées ont été privées de soins médicaux et d’opérations chirurgicales d’urgence.
Le 14 mai, des policiers se sont filmés en train de frapper et d’étrangler le manifestant pacifique Davit Katsarava. Il a été hospitalisé pour une grave commotion cérébrale et des fractures au visage. Une amende de 2 000 lari (720 dollars des États-Unis) lui a été infligée le 24 juillet au motif qu’il aurait désobéi à la police. L’enquête ouverte à propos de ses allégations de torture n’avait en revanche produit aucun résultat à la fin de l’année.
PROCÈS INÉQUITABLES
Lors des centaines d’audiences inéquitables qui ont fait suite aux manifestations d’avril-mai et de novembre-décembre, des tribunaux ont imposé à des personnes qui avaient protesté contre le gouvernement des sanctions administratives pour des infractions présumées, notamment pour houliganisme simple et désobéissance à la police.
Plus de 50 manifestants ont été poursuivis pour des charges controuvées liées aux manifestations, y compris pour des actes présumés d’obstruction d’installations stratégiques, de violences en groupe et de dommages passibles de sanctions pénales, et pour de soi-disant troubles de l’ordre public. Certains ont déclaré avoir été contraints de signer des « aveux » en l’absence de toute représentation juridique. La plupart des procès étaient encore en instance à la fin de l’année.
Omar Okribashvili et Saba Meparishvili, arrêtés le 14 mai pour avoir endommagé des barrières de police provisoires, ont été inculpés d’infractions passibles de peines allant de trois à six ans d’emprisonnement.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Un tribunal a prononcé en août des injonctions contre des manifestations lancées en mars par des habitant·e·s du village de Shukruti (région de Chiatura). Ceux-ci accusaient une entreprise minière d’endommager leurs maisons et leurs terres agricoles en extrayant du manganèse et de ne pas leur fournir d’indemnisation correcte. En septembre, plusieurs manifestant·e·s qui avaient quitté le village pour se rendre à Tbilissi ont organisé des grèves de la faim devant le Parlement pour exiger une intervention du gouvernement et une évaluation indépendante des dommages. Les négociations entre ces personnes et l’entreprise, menées sous l’égide du gouvernement, n’ont donné aucun résultat concret.
DROITS DES PERSONNES LGBTI
Le Parlement a adopté le 17 septembre une loi sur « les valeurs familiales et la protection des mineurs », qui comportait de nombreuses mesures homophobes et transphobes. Ces mesures incluaient une interdiction de partager des informations ou d’organiser des rassemblements publics considérés comme faisant la promotion des relations entre personnes du même sexe. Le lendemain, une femme transgenre bien connue a été tuée à son domicile. Des militant·e·s pour les droits des personnes LGBTI ont signalé que cette nouvelle loi et les propos tenus par le gouvernement avant son adoption risquaient d’alimenter les crimes homophobes et transphobes.
ABKHAZIE ET OSSÉTIE DU SUD (RÉGION DE TSKHINVALI)
Droit à la vie
Le 9 avril, la Cour européenne des droits de l’homme a établi que la Russie avait violé plusieurs droits humains, notamment le droit à la vie, en instaurant des frontières et des mesures de contrôle sur la ligne de démarcation des territoires séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. La Cour a jugé que les drames se produisant à la frontière étaient « suffisamment nombreux et liés entre eux » pour en conclure que la Russie autorisait des violations systématiques des droits humains.
Conditions de détention inhumaines
Tout au long de l’année, dans la région d’Ossétie du Sud, des civil·e·s auraient été soumis à la détention dans des conditions éprouvantes, avec un accès restreint à une assistance juridique ou à des soins médicaux.