Les 22 et 23 octobre se tenait le week-end des Antennes Jeunes d’Amnesty International. Près de 120 jeunes de 16 à 25 ans se sont donnés rendez-vous à Paris pour se former, échanger, débattre et agir avec nous. Rencontre avec cette jeunesse qui refuse d’être « désenchantée » et qui le crie haut et fort, jusque sur la place de la République, à Paris.
« Vous voir aujourd’hui est beaucoup plus effrayant qu’être en prison ! » Ramy Shaath, sourire aux lèvres, plaisante. Face à lui, plus d’une centaine de jeunes, tous militants au sein d’une antenne jeunes d’Amnesty International. Parmi eux, certains ont participé activement à sa libération. « Lorsqu’il y a un an, je vous promettais de revenir vous voir avec Ramy s’il était libéré, ce n’était qu’un rêve. Aujourd’hui, c’est une réalité. C’est en partie grâce à vous » remercie Céline Lebrun, sa femme. Ramy, assis à côté d’elle, le regard brillant, acquiesce. Ce célèbre opposant politique et défenseur des droits humains en Egypte a été arrêté arbitrairement et détenu dans un centre de disparition forcée dans son pays pendant deux ans et demi. Libéré en janvier 2022, il n’a pas oublié. « Chacun de vos mots, chacune de vos lettres, m’a énormément apporté. Moralement, mais aussi politiquement. Les autorités ne pouvaient pas ignorer que le monde les regardait, que vous les regardiez. »
Chaque année en France, dans les universités et les lycées, plus de 180 antennes jeunes composées de militants de 16 à 25 ans, se mobilisent pour défendre nos droits et ceux des autres
Chaque année en France, dans les universités et les lycées, plus de 180 antennes jeunes composées de militants, se mobilisent pour défendre nos droits et ceux de personnes comme Ramy. Sur leurs lieux d’études, dans l’espace public, en ligne, par courrier : ces jeunes, âgés de 16 à 25 ans, sont sur tous les fronts. Lorna, 18 ans, avait 12 ans quand elle a rejoint le mouvement : « J’ai rejoint Amnesty International pour me battre dans le concret. On se bat pour la vie de quelqu’un à l’autre bout du monde, mais cette personne est en réalité plus poche de nous qu’on pourrait le penser, comme on le voit avec Ramy aujourd’hui. Ça prouve qu’avec des actions concrètes on obtient des résultats. Le slogan ‘on se bat ensemble, on gagne ensemble’ : c’est clairement ce qui me pousse à militer ici ! »
Chez nous, les jeunes, les idéalistes, les militants, on les accueille à bras ouverts. Rejoignez-nous !

La rencontre avec le militant égypto-palestinien Ramy Shaath, libéré en janvier 2022 après avoir été détenu arbitrairement en Égypte durant deux ans et demi - dans un contexte de répression de la société civile par les autorités égyptiennes - a été un temps fort du week-end. © Océane BERGONZOLI
Dans la pièce, des bandes blanches ont été collées au sol pour représenter une cellule de 23 m2. Céline Lebrun, la femme de Ramy, a demandé à une vingtaine de jeunes de se glisser à l’intérieur. Avec Ramy à leur côté, ils ont tenté d’imaginer comment s’asseoir, aller aux toilettes ou dormir dans cet espace tellement exigu où il a fallu survivre pendant plus de deux ans. « Nous avions 70 cm de large et 1m50 de long maximum pour dormir. Parfois, nous étions jusqu’à 32 » commente-t-il, debout, en leur expliquant où la porte s'ouvrait et où il fallait libérer de l'espace.

© Océane BERGONZOLI
Où met-on son sac avec ses maigres affaires personnelles ? Comment l’accrocher au mur si on n’a rien ? Comment garder contact avec sa femme et le monde extérieur ? Comment tenir bon et garder le moral face à la torture, la maladie, les pertes… « Le chant, nous permettait de montrer qu’on continuait à exister et à résister, explique Ramy. Et puis j’avais un challenge : je devais faire une blague par jour. Le rire est une arme formidable. Mais vous comprenez qu’après plus de 200 jours, elles ne sont pas faciles à trouver. » Alors Ramy raconte l'importance de garder contact avec l'extérieur, ces gardiens plus cléments que les autres, conscients de l’innocence de ceux qu’on torture le soir comme une vulgaire distraction, mais aussi ces courriers, ces mots, ces dessins, ces pensées, venant d'inconnus et volant jusqu’à lui. « Chacune de ces attentions m'a aidé à tenir » dit-il, face à ces jeunes qui pour certains lui ont écrit et ont participé, avec des milliers d'autres personnes à travers le monde, à le faire libérer.

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A la fin de son intervention, les jeunes lui demandent si, après ce qu'il a vécu, il referait les choses de la même façon en sachant le prix à payer pour son engagement. Ramy répond oui, sans hésitation. « Je savais quel était le prix à payer pour dire la vérité et défendre la liberté d'expression dans mon pays, dit-il. Vous n'êtes pas exposés aux mêmes risques, car vous vivez dans un pays démocratique, mais il y a toujours un prix à payer. »
De l’indignation à l’action
Jacob a hésité des années avant de se jeter à l’eau : « Depuis que j’ai 12 ans, j’ai envie de rentrer chez Amnesty. Un jour, j’en ai eu marre de me plaindre sans rien faire. A 23 ans, je me suis dit qu’il fallait bien commencer par quelque chose, et je me suis engagé. » Dara, 20 ans, étudiante originaire de Bulgarie, a été marquée par les discriminations des minorités et en particulier des Roms, dont elle a été témoin dans son pays. En arrivant en France, il y a un an, elle découvre le militantisme et n’hésite pas une seconde : « Avec Amnesty, on se bat pour une cause qui touche tout le monde. C’est une organisation neutre politiquement, impartiale, et c’est ça qui me plaît » résume-t-elle.
L’indignation de trop, le refus de se résigner, l’envie que sa voix compte, qu’elle soit entendue, de changer la vie d’autres personnes, de faire changer des lois… Les raisons qui poussent ces jeunes à passer à l’action sont diverses. « Mon déclic, ça a été sur l’abolition universelle de la peine de mort, explique Lorna. J’ai rencontré Antoinette Chahine, ancienne condamnée à mort au Liban : son témoignage m’a profondément touché et marqué. Elle m’a transmis son combat. Je le poursuis aujourd’hui. » Du haut de ses 16 ans, Adela s’engage quant à elle avec passion pour la cause des minorités musulmanes et notamment les Ouïghours persécutés en Chine : « Imaginer qu’on puisse stériliser des femmes pour la seule raison qu’elles sont musulmanes, ça me révolte.»
Droit au but
A 19 ans, Louise va droit au but. Cette fan de foot a été choquée quand elle a découvert la campagne menée par Amnesty International sur le Qatar : « J’ai été tellement déçue de cet univers dans lequel j’ai grandi. J’étais dégoûtée. » Aujourd’hui, elle a pris la tête de l’antenne jeunes de son école à St Germain et essaye de sensibiliser son entourage : « On essaye de monter des actions avec le BDS, le bureau des sports. Lors des premières réunions, ils étaient plutôt réticents, ils craignaient qu’on appelle au boycott. Finalement, on a réussi à se mettre d’accord pour organiser une action conjointe. C'est la preuve qu'on peut amener au débat, à réfléchir et expliquer. »
Découvrir toutes les façons d'agir avec nous, à votre échelle !
Une action menée place de la République, à Paris, par les 120 jeunes qui demandent de "ramener la Coupe à la raison". Depuis 2001, nous dénonçons l'exploitation de travailleuses et travailleurs migrants au Qatar dans le cadre de la préparation de la Coupe du monde de football. © Benjamin Girette
Depuis 2010, et l'attribution de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar, nous enquêtons sur les violations des droits des travailleuses et travailleurs migrants au Qatar dans le cadre de l'organisation du Mondial. Nous interpellons depuis des années la FFF et la FIFA pour les pousser à agir. A l'occasion du week-end des antennes jeunes à Paris, une centaine de jeunes a mené une action rapide place de la République pour "ramener la coupe à la raison".
© Benjamin Girette
Un combat qui les touche et pour lequel ils sont nombreux à s'engager sur le terrain.
« Le Qatar, ça a été notre premier combat avec mon antenne jeunes, explique un lycéen de Châlons. La Coupe du monde, c’est un moment où on se retrouve tous derrière une équipe, et la France, avec un sentiment patriotique. Mais derrière le jeu, il y a toutes ces personnes qui sont mortes, qui ont souffert pendant la construction des stades. Comment passer du bon temps en regardant la Coupe du monde en sachant qu’il y a eu tous ces morts derrière ? C’était évident pour nous de commencer par ce combat. Il touche tout le monde, et en particulier les jeunes, qui sont nombreux à regarder le foot. »
© Benjamin Girette
Enora, lycéenne à Quimper, très impliquée dans le milieu du sport, est révoltée : « Le sport devrait être un environnement plus responsable et soucieux des droits humains. Je pense que l’engagement d’Amnesty a permis d’informer sur ce qui se passait. Mais au-delà de la Coupe du monde, il faut lutter pour rendre le milieu du sport meilleur. A notre échelle, on a fait signer beaucoup de pétitions et on va organiser un tournoi de foot dans notre lycée pour sensibiliser à la cause des travailleurs migrants au Qatar. »
Avec son antenne jeunes, Dara elle, a organisé un ciné-débat autour du documentaire d’Amnesty International et invité Frédéric Lecloux à faire une exposition dans sa fac : « On a exposé les photos des travailleurs népalais dans les couloirs de notre campus. Son exposition est très touchante car ça montre des petits moments du quotidien de ces personnes qui vivent dans des conditions insalubres. Il a beaucoup pris en photo les femmes qui attendent leur mari parti travailler au Qatar. Il raconte comment ces familles restent sans nouvelles de leur mari ou qui apprennent son décès sans plus d’informations. C’est une campagne qui a beaucoup marqué les esprits. »
Paulet, représentant du lycée Pierre Gilles-de-Gennes, 16 ans, a grandi dans un milieu militant : « J’ai toujours aimé militer, manifester, me documenter, mais ce que j’aime surtout, c’est permettre aux autres d’accéder au militantisme, de les aider à monter les actions qu’ils ont envie de mener et de leur donner l’opportunité de faire entendre leur voix. »
Pour Liz, il est plutôt question de vécu. Pour elle, les ressorts de l'engagement sont à chercher dans nos failles et cicatrices intimes : « On s’est tous retrouvé un jour un peu démuni face à une injustice qui nous touchait directement ou indirectement. On s’est dit « c’est trop tard ou je ne peux rien faire » et on a subi. Ça laisse des traces. Des violences sexistes et sexuelles ? J’ai pu en vivre et je trouve ça révoltant qu’on laisse passer ça. Alors j’agis. Au lycée, avec mon antenne jeunes, on va faire une conférence de sensibilisation pour les classes de premières. On va expliquer comment se prémunir des violences sexistes et sexuelles, mais surtout rappeler que ça peut arriver à tout le monde, et qu’on ne doit pas s’en cacher : ce n’est pas une honte, il faut que ça change. »
Lorna, avec ses huit années de militantisme au compteur, avoue avoir milité sur toutes les campagnes : « Je considère que dès qu’on touche à quelqu’un à l’autre bout du monde, c’est comme si on touchait à un frère ou une sœur. C’est ce que j’appelle l’humanité solidaire… »
© Benjamin Girette
« C’est à nous de hausser le ton »
Mais avoir moins de 25 ans n’est-il pas un frein pour se faire entendre sur des sujets aussi sérieux et parfois complexes ? « Peu importe l’âge, ce qui compte, c’est le degré de connaissance, assure Adela, la voix douce mais déterminée. On peut penser "t’es jeune, tu ne connais rien à la vie, tu n’as aucune expérience". Mais si on arrive devant quelqu’un qui semble avoir de l’influence et qu’on en sait plus que lui : là on t’écoute. » Liz, 17 ans, acquiesce :
Ce n’est pas une question de vécu et d’années au compteur. Ce sont les connaissances qui priment. Être jeune et militant c’est une force. On parle de notre avenir.
« Et si seul, on ne fait pas le poids, reprend Adela, avec Amnesty, on n’est plus seul : on est un groupe de personnes, et c’est ça qui nous permet d’agir efficacement ».
Demain, jeune ou pas, Lorna n'imagine pas arrêter de militer, consciente que le combat pour les droits humains est celui d'une vie : « Je considère qu’il n’y a aucun droit humain qui est totalement acquis. Simone de Beauvoir disait que les droits des femmes, c’est une lutte perpétuelle, et qu’il suffit qu’il y ait une crise majeure pour que ces droits soient remis en cause – on l’a vu avec le droit à l’avortement aux Etats-Unis, c’est une lutte perpétuelle, et qu’il suffit qu’il y ait une crise majeure pour que ces droits soient remis en cause – on l’a vu avec le droit à l’avortement aux Etats-Unis. C’est vrai pour tous les droits en général. Et si parfois, on a la chance d’avoir obtenu un droit, comme l’abolition de la peine de mort depuis 1981 en France, il faut continuer à se battre pour que ce soit la même chose partout. Nos combats sont universels. »
« Le droit c’est un bout de papier, conclut Jacob. Si on ne continue pas à le faire vivre, il n’en restera rien. Il faut faire des piqûres de rappel, s’exprimer, dénoncer, manifester, faire pression… Bref, le défendre et le faire vivre. Si tout le monde se mobilise, c’est là qu’on fait changer les choses. C’est à nous de hausser le ton. »
© Benjamin Girette

Activité brise-glace à l'arrivée des jeunes des quatre coins de la France devant le siège d'Amnesty International. © Océane BERGONZOLI

Intervention de Jean-Claude Samouiller, président d'Amnesty International France : « Les jeunes sont l’avenir de notre mouvement qui est un mouvement de militants. Il y a de nouvelles thématiques qu’ils vont devoir s’approprier : l’impact du changement climatique sur les droits humains, la bioéthique, la surveillance de masse, les enjeux liés aux réseaux sociaux et les discours de haine… On compte sur eux pour s’emparer de ces thématiques nouvelles qui n’existaient pas dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme. Il leur appartient de s’en saisir ! » © Océane BERGONZOLI

Spectacle-atelier animé par Jean Francois Auguste, co-directeur avec Morgane Bourhis de la compagnie For Happy People and Co qui crée des objets artistiques sur la base de sujets de société, pour sensibiliser la population à des problématiques actuelles. © Océane BERGONZOLI

Lors des ateliers animés par For happy people and co, les jeunes sont sensibilisés de manière interactive aux questions de la pauvreté, des chemins de l’exil, de l’inclusion des personnes sourdes dans notre société et des violences faites aux femmes. © Océane BERGONZOLI

Week-end des antennes jeunes à Paris. © Océane BERGONZOLI
Week-end des antennes jeunes à Paris. © Benjamin Girette

Atelier d'Education aux droits humains. © Benjamin Girette
Atelier sur les clés d’animation de son Antenne Jeunes. © Benjamin Girette
Session maquillage avant l'action pour défendre les droits des travailleurs migrants au Qatar. © Benjamin Girette
Des jeunes militants place de la République à Paris. © Benjamin Girette
On se bat ensemble, on gagne ensemble. © Benjamin Girette
REJOINDRE UNE ANTENNE JEUNES
Présentes dans les universités et les lycées, les antennes jeunes (AJ) organisent des projections de films, des conférences, des flashmob, font signer des pétitions et font connaître nos combats autour d’eux. Chez Amnesty International, les jeunes, les idéalistes, les militants, sont accueillis à bras ouverts.