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Spectacle le Moine Noir de Serebrennikov
Spectacle le Moine Noir de Serebrennikov, Festival d'Avignon 2022 © Patrick Aventurier/ABACAPRESS.COM

Festival d'Avignon : Serebrennikov, l'enfant terrible de la scène russe

Pour la 8ème année consécutive, le festival d'Avignon s'associe à Amnesty International France du 7 au 26 juillet. Car comme le rappelle le directeur artistique du festival Olivier Py, "ce ne sont pas les idéologies qui créent le monde, ce sont les histoires". Ainsi, pendant dix-neuf jours, la cité des Papes va réinventer le monde à travers des spectacles, films et débats. Dans ce cadre, nous avons rencontré le cinéaste et metteur en scène, Kirill Serebrennikov, l’un des pionniers de la création contemporaine en Russie, longtemps assigné à résidence. Un entretien à retrouver dans notre magazine d'enquêtes et de reportages "La Chronique".

Lors du dernier Festival de Cannes, une soirée est donnée pour Kirill Serebrennikov dans une villa aux splendeurs démodées. Éclats chatoyants du cristal sur les tables nappées de blanc, les conversations se perdent dans une brume de chaleur, le metteur en scène passe de l’une à l’autre, un peu là, un peu ailleurs. Avant la projection en compétition de La Femme de Tchaïkovski, ses deux films précédents, Leto et La Fièvre de Petrov sont venus sur la Croisette… sans lui. Pareil pour la pièce Outside qu’il n’a pu accompagner en Avignon en 2019, assigné à résidence au motif, souvent employé par le régime de Poutine, d’un détournement de fonds. La foudre peut tomber partout et à tout moment, Serebrennikov est l’icône d’une modernité blessée.

« Nous nous savons sous surveillance, l’arbitraire est roi »

Odin Biron, acteur du spectacle "Le Moine Noir" de Serebrennikov

« Nous nous savons sous surveillance, l’arbitraire est roi » confiait un des acteurs du Moine noir, Odin Biron, l’hiver précédent à Moscou. Le metteur en scène peut se déplacer depuis mars dernier, il en a été le premier surpris, mais le voyage sera sans retour. Il s’est exilé à Berlin. Et le cauchemar continue, Serebrennikov a dû laisser son père de 90 ans en Russie, ses paroles sont épiées. « Cette époque est terrible, déclare-t-il à Cannes, devant les micros du monde entier. Les Ukrainiens doivent fuir leur pays, certains Russes aussi. Nous sommes malheureux dans l’exil. Je devrais être heureux d’être ici, mais je ne le suis pas ».

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Spectacle le Moine Noir de Serebrennikov

Spectacle le Moine Noir de Serebrennikov, Festival d'Avignon 2022 © Patrick Aventurier/ABACAPRESS.COM

Le Moine noir de Kirill Serebrennikov, d’après Anton Tchekhov

Longtemps, Serebrennikov s’est méfié de Tchekhov. Trop vu, trop attendu pour un metteur en scène russe. Il lui fallait passer par une commande du théâtre de Hambourg. Et par une nouvelle fantastique peu connue où un intellectuel au bout de rouleau croise, dans sa retraite, le fantôme d’un moine qui va embraser son esprit, lui faire traverser tous les cercles de la folie. Déclinées en plusieurs langues, paroles et visions se mêlent et s’entrechoquent dans un montage vertigineux où s’invitent la danse et l’opéra.

Spectacle en représentation au Festival d'Avignon les 7, 8,10, 12, 13, 14, 15 juillet dans la Cour d’honneur du palais des Papes

Après le festival, il partait à Amsterdam diriger les répétitions d’un opéra. En quittant Avignon, il espère reprendre, dans de nouveaux décors, le tournage de l’adaptation du Limonov d’Emmanuel Carrère. D’autres mises en scène sont en chantier, d’autres films aussi : « J’avance, dit-il. Je vis dans l’instant. Ma vie est tout entière dans les oeuvres, elle se confond avec l’art ».

« Rebelle béni » de la contre-culture

Depuis son adolescence, la fuite en avant est un mal nécessaire. Fils d’une enseignante et d’un médecin à l’aise dans la société soviétique, Kirill Serebrennikov a toujours voulu percer les interdits, abolir les distances. Dans la lointaine ville de Rostov, il rêvait de Buñuel, de Tarkovski et de Pasolini. Après l’effondrement de l’URSS, il multiplie les mises en scène, déployant ses talents dans tous les métiers, du théâtre à la télévision. « C’était l’ère des possibles, raconte-t-il. Toutes les fleurs étaient encouragées à pousser. Il fallait du sang neuf, de nouveaux acteurs, de nouveaux auteurs, de nouvelles idées… »

À l’orée des années Poutine, il était le rebelle béni d’une scène survoltée, l’enfant chéri d’un pays qui souhaitait offrir le visage d’une démocratie ouverte sur le monde. Il était sulfureux, provocateur, libre, énergique, ingénieux. Il affichait son homosexualité, manifestait contre la manipulation des élections, contre les guerres du Caucase. Directeur du théâtre Gogol à Moscou, il en fait le centre de la contreculture.

« Je me sentais le devoir de faire émerger des voix. Je ne voulais pas rentrer dans le rang ».

Opposant de poids, figure centrale de la société moscovite, pionnier de l’avant-garde : « Je me sentais le devoir de faire émerger des voix, dit-il. Je ne voulais pas rentrer dans le rang ». Kirill Serebrennikov, cinéaste et metteur en scène russe

Puis tout a basculé. Le centre Gogol vit aujourd’hui sous pression, menacé de fermeture. Pendant longtemps, Serebrennikov a préféré dire qu’il n’avait rien vu venir. Mais dans la villa cannoise, à l’écart de la fête, il confie que l’inquiétude est apparue, il y a dix ans, avec le projet d’un film sur Tchaïkovski.

Une réunion au ministère de la Culture l’a laissé sans voix : « Non seulement il n’était pas question de parler de son homosexualité, mais il fallait que nous réalisions un film de propagande, et on nous donnait des ordres sur les directions à prendre. Nous avons rendu l’argent des subventions et mis le projet de côté ».

Spectacle le Moine Noir de Serebrennikov, Festival d'Avignon 2022

Spectacle le Moine Noir de Serebrennikov, Festival d'Avignon 2022 © Patrick Aventurier/ABACAPRESS.COM

On lui demande de se tenir à l’écart de la contestation. À l’heure de l’annexion de la Crimée en 2014, la télévision nationale s’interroge clairement sur la nécessité de laisser fleurir un théâtre d’avant-garde. Kirill Serebrennikov continue de s’engager sur les scènes européennes, mais il lui faut maintenant se défendre d’être un pilier de la culture russe : « Je comprends que ceux qui vivent des atrocités appellent au boycott de l’agresseur et refusent d’entendre sa langue, disait-il à Cannes. Avant de faire une pause et de déclarer dans le même souffle : je comprends ce sentiment, néanmoins je ne l’accepte pas. Je ne peux souscrire au rejet d’une culture sur la base de la nationalité. La culture traverse tout, c’est l’air, le vent, les nuages… Priver les gens de musique, de littérature ou de cinéma ne les rendra pas plus libres, au contraire ».

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